[B]Êtes-vous capables de solitude[/B] Yannick Haenel [I]Charlie Hebdo n°1378 19 décembre 2019[/I] On a la sensation qu'à nouveau tout est foutu. Les attentats recommencent, les "gilets jaunes" rentrent chez eux, et il fait si froid que plus personne n'a envie de rien: le désir est gelé, il va se coucher tout seul. Dans ce cas-là, une seule solution: aller voir de l'art. Et justement, à Centre Pompidou, a Paris, dans le cadre de la "Saison roumaine", il y a en ce moment une oeuvre passionnante d'Adrian Ghenie (né en 1977) - à mes yeux le plus grand peintre actuel. Cette oeuvre n'est d'ailleurs pas une peinture, mais une installation: mieux, une chambre - "une chambre dans une chambre, comme il dit. [IMG]https://artcheologie.files.wordpress.com/2014/10/rembrandt-le-philosophe-en-meditation.jpg[/IMG] Rembrandt, [I]Philosophe en méditation[/I] J'imagine que vous connaissez le [I]Philosophe en méditation[/I] de Rembrandt, ce tout petit tableau de 28x34cm, qui est au Louvre, et que Beaubourg expose exceptionnellement, en regard de l'installation, jusqu'à la fin du mois de janvier 2019: un penseur est assis paisiblement devant sa table; et au feu de l'âtre répond harmonieusement la lumière qui, venue de la fenêtre, inonde le vieil homme; on ressent intimement l'infini de la pensée, laquelle se matérialise dans la spirale stupéfiante de l'escalier. [IMG]https://scontent-sea1-1.cdninstagram.com/vp/1b653bfbbe4da969ec9928a6613f0f2b/5C8C8668/t51.2885-15/e35/s480x480/45822405_263939130890657_345848553644256239_n.jpg?_nc_ht=scontent-sea1-1.cdninstagram.com[/IMG] Adrian Ghenie, [I]La chambre de Darwin[/I] L'installation d'Adrian Ghenie, s'appelle [I]La chambre de Darwin[/I], reproduit le tableau de Rembrandt en trois dimensions - il l'accomplit à notre époque: c'est devenu un espace dix fois plus grand, de 350x435x735cm, mais le clair-obscur, qu'engendre un assemblage de morceaux de bois disparates, y est très sombre, le plafond tombe en ruine, une peau de bête est accrochée au mur, les portes sont condamnées; et là où Rembrandt logeait un penseur, Ghenie vide la pièce de toute personne. En général, je n'aime pas tellement les installations, mais celle-ci est inoubliable: face à elle, on perçoit le trait fondamental de notre époque qui est le manque de solitude. Vous vous souvenez du diagnostic célèbre de Blaise Pascal: "[I]Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.[/I]" Nous n'avons plus de solitude: nos têtes connectées ne cessent d'être occupées par un flux d'informations, elles sont activées par une sollicitation communicationnelle ininterrompue, qui entrave toute pensée. Que dirait Darwin de cette "évolution de l'espèce"? S'il n'y a personne dans la lumière de la chambre, c'est parce que plus personne n'est capable de se tenir là. Le fauteuil est vide. C'est l'image implacable de notre cerveau de consommateur: une chambre avec personne dedans. Nous sommes intoxiqués par notre affairement, nous ne sommes plus capable d'habiter la chambre du philosophe, nous ne sommes plus capables de méditer. À l'époque de Rembrandt, un petit espace de lumière nous faisait penser; aujourd'hui, il nous faut des immensité, mais elles sont vides, et notre pensée s'éteint. ●
Koolseb Il y a 5 ans

Êtes-vous capables de solitude
Yannick Haenel
Charlie Hebdo n°1378
19 décembre 2019


On a la sensation qu'à nouveau tout est foutu. Les attentats recommencent, les "gilets jaunes" rentrent chez eux, et il fait si froid que plus personne n'a envie de rien: le désir est gelé, il va se coucher tout seul.

Dans ce cas-là, une seule solution: aller voir de l'art. Et justement, à Centre Pompidou, a Paris, dans le cadre de la "Saison roumaine", il y a en ce moment une oeuvre passionnante d'Adrian Ghenie (né en 1977) - à mes yeux le plus grand peintre actuel. Cette oeuvre n'est d'ailleurs pas une peinture, mais une installation: mieux, une chambre - "une chambre dans une chambre, comme il dit.


Rembrandt, Philosophe en méditation

J'imagine que vous connaissez le Philosophe en méditation de Rembrandt, ce tout petit tableau de 28x34cm, qui est au Louvre, et que Beaubourg expose exceptionnellement, en regard de l'installation, jusqu'à la fin du mois de janvier 2019: un penseur est assis paisiblement devant sa table; et au feu de l'âtre répond harmonieusement la lumière qui, venue de la fenêtre, inonde le vieil homme; on ressent intimement l'infini de la pensée, laquelle se matérialise dans la spirale stupéfiante de l'escalier.


Adrian Ghenie, La chambre de Darwin

L'installation d'Adrian Ghenie, s'appelle La chambre de Darwin, reproduit le tableau de Rembrandt en trois dimensions - il l'accomplit à notre époque: c'est devenu un espace dix fois plus grand, de 350x435x735cm, mais le clair-obscur, qu'engendre un assemblage de morceaux de bois disparates, y est très sombre, le plafond tombe en ruine, une peau de bête est accrochée au mur, les portes sont condamnées; et là où Rembrandt logeait un penseur, Ghenie vide la pièce de toute personne.

En général, je n'aime pas tellement les installations, mais celle-ci est inoubliable: face à elle, on perçoit le trait fondamental de notre époque qui est le manque de solitude. Vous vous souvenez du diagnostic célèbre de Blaise Pascal: "Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre."

Nous n'avons plus de solitude: nos têtes connectées ne cessent d'être occupées par un flux d'informations, elles sont activées par une sollicitation communicationnelle ininterrompue, qui entrave toute pensée. Que dirait Darwin de cette "évolution de l'espèce"?

S'il n'y a personne dans la lumière de la chambre, c'est parce que plus personne n'est capable de se tenir là. Le fauteuil est vide. C'est l'image implacable de notre cerveau de consommateur: une chambre avec personne dedans. Nous sommes intoxiqués par notre affairement, nous ne sommes plus capable d'habiter la chambre du philosophe, nous ne sommes plus capables de méditer. À l'époque de Rembrandt, un petit espace de lumière nous faisait penser; aujourd'hui, il nous faut des immensité, mais elles sont vides, et notre pensée s'éteint. ●

[B]Ce caca bovin qui tue les abeilles[/B] Fabrice Nicolino Charlie Hebdo n°1379 26 décembre 2018 Lecteur chéri, prenons un parti radical : tu n'as jamais entendu parler de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). C'est un machin professionnel qui permet aux vétos de se tenir au courant et d'être représentés au cours des contacts avec l'administration. Un numéro spécial de son bulletin rapporte un article en vérité ébouriffant, qui risque bien de passer inaperçu. Comment sont traités les innombrables troupeaux de France ? Comment leur évite-t-on parasites, infections, prolifération d'insectes ? Par une pharmacopée un poil délirante, faite de 300 médicaments - antiparasitaires, antibios, anticoccidiens - et de plusieurs centaines de biocides, bestioles chimiques qui permettent, entre autres usages, de désinfecter les locaux et les véhicules. Prudents contre l'évidence, les chercheurs de l'Inra qui signent ce travail notent que ces biocides « sont responsables d'une contamination plus ou moins importante de l'environnement et sont désormais considérés comme des contaminants émergents ». Les molécules, souvent très résistantes, se retrouvent dans le milieu naturel, dont les mares et les rivières via le pipi et le caca. Et qui morfle ? Quantité d'animaux, dont les insectes, dont les abeilles, qui n'avaient certes pas besoin de cela. La bonne nouvelle, pour les marchands, c'est qu'on ne lance pas d'études, ce qui fait que cela peut durer dix siècles. L'alerte est renforcée par un beau travail mené par les apiculteurs. Dans «Comment les pesticides utilisés dans les élevages menacent les abeilles» [I](1)[/I], on apprend des choses guillerettes. Lactones, macrocycliques, pyréthrinoïdes, ­organophosphorés sont massivement utilisés, avec des conséquences très lourdes sur les insectes, dont les abeilles. Nul ne sait vraiment quelles sont les quantités épandues, et la question de la contamination des insectes est simplement ignorée au moment de l'évaluation des produits. L'abeille ou comment s'en débarrasser.● [I](1)[/I] https://www.unaf-apiculture.info/actualites/comment-les-pesticides-utilises-dans-les-elevages-menacent-les-abeilles-un.html
Koolseb Il y a 5 ans

Ce caca bovin qui tue les abeilles
Fabrice Nicolino
Charlie Hebdo n°1379
26 décembre 2018

Lecteur chéri, prenons un parti radical : tu n'as jamais entendu parler de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). C'est un machin professionnel qui permet aux vétos de se tenir au courant et d'être représentés au cours des contacts avec l'administration. Un numéro spécial de son bulletin rapporte un article en vérité ébouriffant, qui risque bien de passer inaperçu.

Comment sont traités les innombrables troupeaux de France ? Comment leur évite-t-on parasites, infections, prolifération d'insectes ? Par une pharmacopée un poil délirante, faite de 300 médicaments - antiparasitaires, antibios, anticoccidiens - et de plusieurs centaines de biocides, bestioles chimiques qui permettent, entre autres usages, de désinfecter les locaux et les véhicules.

Prudents contre l'évidence, les chercheurs de l'Inra qui signent ce travail notent que ces biocides « sont responsables d'une contamination plus ou moins importante de l'environnement et sont désormais considérés comme des contaminants émergents ». Les molécules, souvent très résistantes, se retrouvent dans le milieu naturel, dont les mares et les rivières via le pipi et le caca. Et qui morfle ? Quantité d'animaux, dont les insectes, dont les abeilles, qui n'avaient certes pas besoin de cela. La bonne nouvelle, pour les marchands, c'est qu'on ne lance pas d'études, ce qui fait que cela peut durer dix siècles.

L'alerte est renforcée par un beau travail mené par les apiculteurs. Dans «Comment les pesticides utilisés dans les élevages menacent les abeilles» (1), on apprend des choses guillerettes. Lactones, macrocycliques, pyréthrinoïdes, ­organophosphorés sont massivement utilisés, avec des conséquences très lourdes sur les insectes, dont les abeilles. Nul ne sait vraiment quelles sont les quantités épandues, et la question de la contamination des insectes est simplement ignorée au moment de l'évaluation des produits. L'abeille ou comment s'en débarrasser.●

(1) https://www.unaf-apiculture.info/actualites/comment-les-pesticides-utilises-dans-les-elevages-menacent-les-abeilles-un.html

[quote="Lénitram"]" il y aura des drones, à la place des curés" Dans le Charlie du jour : [url=https://pix.blizzart.net/image/1546688697][img]https://pix.blizzart.net/image/1546688697/medium.jpg[/img][/url][/quote]
Koolseb Il y a 5 ans

" il y aura des drones, à la place des curés"

Dans le Charlie du jour :

[B]Smartphone, pourquoi il rend con[/B] Antonio Fischetti Charlie Hebdo n°1380 02 janvier 2019 On ne va pas jouer les vieux schnocks incapables de vivre dans leur temps, ce n'est pas notre genre. Le téléphone portable est très utile, et même à [I]Charlie[/I] les plus réfractaires ont fini par en avoir un. Il n'empêche que cet engin rend con. C'est ce que prouve Pierre-Marc de Biasi, chercheur émérite au CNRS, dans son dernier livre: [I]Le Troisième Cerveau. Petite phénoménologie du smartphone[/I] (CNRS Éditions). Il y a le premier cerveau, dans la tête. Ce qu'il est convenu d'appeler le deuxième cerveau, c'est le système digestif, lui aussi doté de neurones. Le smartphone serait donc le troisième, en raison des tâches qu'il permet de réaliser. L'ennui, c'est que ce troisième cerveau nuit aux deux autres - surtout au premier. C'est la thèse développée par Pierre-Marc de Biasi, et qu'il argumente de chiffres très éloquents. Il y a d'abord la dépendance: 91% des utilisateurs déclarent ne jamais sortir sans cette prothèse. Une dépendance chronophage, puisqu'en moyenne on consulte son smartphone 85 fois par jour. Les 16-24 ans sont évidemment les plus atteints, avec plus de deux heures et demie d'addiction quotidienne. Pour Pierre-Marc de Biasi, le smartphone "à quelque chose du copain à qui vous demandez un coup de main pour régler un problème et qui vient s'installer chez vous, avec sa brosse à dents, pour s'occuper de tout". Certes, le smartphone permet de trouver en deux clics les noms de tous les rois de France, ou n'importe quelle autre info tout aussi indispensable. Mais du coup, on n'a plus besoin d'utiliser sa propre mémoire: C'est le processus d'amnésie numérique. Selon une étude menée auprès de 6000 personnes, la moitié des gens ne connaissent plus les numéros de téléphone de leur lieu de travail, et un tiers ne connaissent même plus celui de leur conjoint. Or la mémoire, c'est bien connu, moins on l'en sert, plus on la perd. Le smartphone affecte aussi la capacités de concentration. Quand il est à portée de main ou de vue, on attend plus ou moins consciemment un message de sa part, et on est moins à ce que l'on fait. Pierre-Marc de Biasi cite une enquête montrant que "les performances du travailleur sont meilleures de 26% lorsque les mobiles sont carrément mis a l'écart et rendus inaccessibles en étant placés dans une autre pièce". D'autres travaux ont également conclu que, dans les collèges où le smartphone est complètement interdit, le bénéfice pédagogique équivaut en moyenne à une semaine de cours supplémentaire par année. Aux dégâts sur le cerveau, il faut ajouter le bilan écologique du portable. Contrairement aux technologies dont il est le produit, ce bilan n'a rien de "nano" quand ont sait que plus de 1,5 milliard de portables sont vendus chaque année dans le monde, qu'on en change en moyenne tous les deux ans, et qu'il faut 70kg de matières premières primaires (venues des quatre coins de la planète) pour fabriquer un smartphone de 160 grammes. A ce rythme-là, il y aurait de quoi assigner les fabricants de portables pour atteinte irrémédiable au cerveau humain autant qu'à la planète. ●
Koolseb Il y a 5 ans

Smartphone, pourquoi il rend con
Antonio Fischetti
Charlie Hebdo n°1380
02 janvier 2019

On ne va pas jouer les vieux schnocks incapables de vivre dans leur temps, ce n'est pas notre genre. Le téléphone portable est très utile, et même à Charlie les plus réfractaires ont fini par en avoir un. Il n'empêche que cet engin rend con. C'est ce que prouve Pierre-Marc de Biasi, chercheur émérite au CNRS, dans son dernier livre: Le Troisième Cerveau. Petite phénoménologie du smartphone (CNRS Éditions).

Il y a le premier cerveau, dans la tête. Ce qu'il est convenu d'appeler le deuxième cerveau, c'est le système digestif, lui aussi doté de neurones. Le smartphone serait donc le troisième, en raison des tâches qu'il permet de réaliser. L'ennui, c'est que ce troisième cerveau nuit aux deux autres - surtout au premier.
C'est la thèse développée par Pierre-Marc de Biasi, et qu'il argumente de chiffres très éloquents. Il y a d'abord la dépendance: 91% des utilisateurs déclarent ne jamais sortir sans cette prothèse. Une dépendance chronophage, puisqu'en moyenne on consulte son smartphone 85 fois par jour. Les 16-24 ans sont évidemment les plus atteints, avec plus de deux heures et demie d'addiction quotidienne. Pour Pierre-Marc de Biasi, le smartphone "à quelque chose du copain à qui vous demandez un coup de main pour régler un problème et qui vient s'installer chez vous, avec sa brosse à dents, pour s'occuper de tout".

Certes, le smartphone permet de trouver en deux clics les noms de tous les rois de France, ou n'importe quelle autre info tout aussi indispensable. Mais du coup, on n'a plus besoin d'utiliser sa propre mémoire: C'est le processus d'amnésie numérique.

Selon une étude menée auprès de 6000 personnes, la moitié des gens ne connaissent plus les numéros de téléphone de leur lieu de travail, et un tiers ne connaissent même plus celui de leur conjoint. Or la mémoire, c'est bien connu, moins on l'en sert, plus on la perd. Le smartphone affecte aussi la capacités de concentration. Quand il est à portée de main ou de vue, on attend plus ou moins consciemment un message de sa part, et on est moins à ce que l'on fait. Pierre-Marc de Biasi cite une enquête montrant que "les performances du travailleur sont meilleures de 26% lorsque les mobiles sont carrément mis a l'écart et rendus inaccessibles en étant placés dans une autre pièce". D'autres travaux ont également conclu que, dans les collèges où le smartphone est complètement interdit, le bénéfice pédagogique équivaut en moyenne à une semaine de cours supplémentaire par année.

Aux dégâts sur le cerveau, il faut ajouter le bilan écologique du portable. Contrairement aux technologies dont il est le produit, ce bilan n'a rien de "nano" quand ont sait que plus de 1,5 milliard de portables sont vendus chaque année dans le monde, qu'on en change en moyenne tous les deux ans, et qu'il faut 70kg de matières premières primaires (venues des quatre coins de la planète) pour fabriquer un smartphone de 160 grammes. A ce rythme-là, il y aurait de quoi assigner les fabricants de portables pour atteinte irrémédiable au cerveau humain autant qu'à la planète. ●

Il y a ceux qui ont un smartphone et il y a ceux qui, dépourvus de smartphone, demandent à leur voisin-e qui en est pourvu-e d'aller chercher des informations. 😊
John Loudon McAdam Il y a 5 ans

Il y a ceux qui ont un smartphone et il y a ceux qui, dépourvus de smartphone, demandent à leur voisin-e qui en est pourvu-e d'aller chercher des informations. 😊

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Koolseb Il y a 5 ans

[B]Le "nudge", la carotte libérale[/B] Guillaume Erner Charlie Hebdo n°1372 07 novembre 2018 Il y a pire que les modes vestimentaires: les modes idéologiques. Et pire que le pire: les modes idéologiques qui se pensent scientifiques. C'est le cas d'un machin appelé [I]nudge[/I] - "coup de pouce" in [I]English[/I] -, popularisé par le "Prix Nobel" d'économie en 2017, Robert Thaler. Qu'est ce que le [I]nudge[/I]? L'idée selon laquelle on peut inciter les individus à bien faire, en les motivant de manière plus ou moins explicite, mais sans recourir à l'arme légale. Un exemple: comment empêcher les hommes de rater l'urinoir par négligence ou par incivilité? En peignant une fausse mouche sur la faïence, laquelle deviendra une cible, et guidera ainsi ces messieurs. L'artifice est parait-il plus efficace que les cris, l'amende ou la serpillière. Une telle méthode peut sortir des urinoirs pour nous aider à mieux manger, ou à mieux conduire. Oui, mais voilà: tout cela n'est pas aussi neutre qu'il y paraît. Car l'autre nom du [I]nudge[/I], c'est le "paternalisme libéral", un oxymore aujourd'hui pris très au sérieux par nos dirigeants. C'est ainsi que nombreux politiques visent désormais à indiquer le "bon chemin", en incitant les personnes à l'emprunter. L'incitation peut être implicite - des mouches peintes - ou explicite - une incitation financière. Et c'est ici que le caractère parfaitement pernicieux du [I]nudge[/I] se révèle le mieux. Prenez un problème concret: l'engorgement des urgences à l'hôpital. Trop de Français s'y précipitent avec un simple bobo, au lieu d'aller voir un généraliste. Mais heureusement, le [I]nudge[/I] est là. Sa solution? Non pas dessiner des mouches à l'entrée de l'hôpital pour décourager d'éventuels patients, mais motiver le personnel de l'hôpital. À mieux soigner? Ah ben non! À refuser un individu qui viendrait encombrer les urgences pour une raison jugée bénigne. La méthode est simple: offrir à l'hôpital une prime de 20 à 60 euros pour chaque patient renvoyé vers la ville, à charge pour l'éconduit d'y trouver un généraliste qui veuille bien le recevoir. La méthode va être testée dans une poignée d'hôpitaux. Mais quelle que soit l'issue de cette expérimentation, on voit à quelle absurdité elle peut mener: payer un hôpital pour qu'il refuse de soigner. Payer quelqu'un pour qu'il refuse de travailler, cela mériterait bien un "Nobel", non? ●
Koolseb Il y a 5 ans

Le "nudge", la carotte libérale
Guillaume Erner
Charlie Hebdo n°1372
07 novembre 2018

Il y a pire que les modes vestimentaires: les modes idéologiques. Et pire que le pire: les modes idéologiques qui se pensent scientifiques. C'est le cas d'un machin appelé nudge - "coup de pouce" in English -, popularisé par le "Prix Nobel" d'économie en 2017, Robert Thaler.

Qu'est ce que le nudge? L'idée selon laquelle on peut inciter les individus à bien faire, en les motivant de manière plus ou moins explicite, mais sans recourir à l'arme légale. Un exemple: comment empêcher les hommes de rater l'urinoir par négligence ou par incivilité? En peignant une fausse mouche sur la faïence, laquelle deviendra une cible, et guidera ainsi ces messieurs. L'artifice est parait-il plus efficace que les cris, l'amende ou la serpillière. Une telle méthode peut sortir des urinoirs pour nous aider à mieux manger, ou à mieux conduire.

Oui, mais voilà: tout cela n'est pas aussi neutre qu'il y paraît. Car l'autre nom du nudge, c'est le "paternalisme libéral", un oxymore aujourd'hui pris très au sérieux par nos dirigeants. C'est ainsi que nombreux politiques visent désormais à indiquer le "bon chemin", en incitant les personnes à l'emprunter. L'incitation peut être implicite - des mouches peintes - ou explicite - une incitation financière. Et c'est ici que le caractère parfaitement pernicieux du nudge se révèle le mieux.

Prenez un problème concret: l'engorgement des urgences à l'hôpital. Trop de Français s'y précipitent avec un simple bobo, au lieu d'aller voir un généraliste. Mais heureusement, le nudge est là. Sa solution? Non pas dessiner des mouches à l'entrée de l'hôpital pour décourager d'éventuels patients, mais motiver le personnel de l'hôpital. À mieux soigner? Ah ben non! À refuser un individu qui viendrait encombrer les urgences pour une raison jugée bénigne. La méthode est simple: offrir à l'hôpital une prime de 20 à 60 euros pour chaque patient renvoyé vers la ville, à charge pour l'éconduit d'y trouver un généraliste qui veuille bien le recevoir. La méthode va être testée dans une poignée d'hôpitaux. Mais quelle que soit l'issue de cette expérimentation, on voit à quelle absurdité elle peut mener: payer un hôpital pour qu'il refuse de soigner. Payer quelqu'un pour qu'il refuse de travailler, cela mériterait bien un "Nobel", non? ●

ah ben du coup tu fais un peu trop concis là @Koolseb, je ne lis pas tout ici, mais cet article je le lirais bien. j'avais lu un livre il n'y a pas si longtemps qui parlait de ce nudge qui nous pousse sous couvert de libre arbitre à choisir ce que l'on veut que nous choisissions. c'était dans un bouquin de Raphaël Enthoven dont j'avais parlé ici https://www.saezlive.net/topics/view/1419/le-dernier-bouquin-que-vous-avez-lu?page=39 ça parle de la même chose l'article de Charlie Hebdo? pas compris le "popularisé par le prix nobel"??? edit: merci @Koolseb, j'ai été trop réactive à ton post. ça ressemble à une farce -triste farce- ce truc de payer les hôpitaux qui envoient les patients ailleurs :(
Eléa Il y a 5 ans

ah ben du coup tu fais un peu trop concis là Koolseb, je ne lis pas tout ici, mais cet article je le lirais bien. j'avais lu un livre il n'y a pas si longtemps qui parlait de ce nudge qui nous pousse sous couvert de libre arbitre à choisir ce que l'on veut que nous choisissions.

c'était dans un bouquin de Raphaël Enthoven dont j'avais parlé ici https://www.saezlive.net/topics/view/1419/le-dernier-bouquin-que-vous-avez-lu?page=39

ça parle de la même chose l'article de Charlie Hebdo?

pas compris le "popularisé par le prix nobel"???

edit: merci Koolseb, j'ai été trop réactive à ton post. ça ressemble à une farce -triste farce- ce truc de payer les hôpitaux qui envoient les patients ailleurs

Raphaël Enthoven est une pute ! Qu'on se le dise.
John Loudon McAdam Il y a 5 ans

Raphaël Enthoven est une pute ! Qu'on se le dise.

[quote="John Loudon McAdam"]Raphaël Enthoven est une pute ! Qu'on se le dise.[/quote] ben c'est qui? il a écrit des trucs intéressants dans son bouquin
Eléa Il y a 5 ans

Raphaël Enthoven est une pute ! Qu'on se le dise.


ben c'est qui?

il a écrit des trucs intéressants dans son bouquin

https://youtu.be/8dxRvlKjC34 Richard Thaler, prix Nobel d'économie (je savais pas si je pouvais le mettre dans l'autre topic)
AnonymeIl y a 5 ans


https://youtu.be/8dxRvlKjC34
Richard Thaler, prix Nobel d'économie
(je savais pas si je pouvais le mettre dans l'autre topic)

Message déplacé depuis la discussion : Trollages divers.

Désolé @Eléa , mon doigt a ripé sur "valider" alors que j'étais entrain de recopier l'article, désormais il est complet! ;) Le journaliste pointe le phénomène du [I]nudge[/I] car c'est le gadget sociologique à la mode, mais le vrai sujet de l'article c'est que les hôpitaux vont être rémunérés pour refuser des patients. Et ça c'est vraiment scandaleux... https://mobile.francetvinfo.fr/sante/politique-de-sante/un-amendement-pour-inciter-les-services-d-urgence-a-renvoyer-les-patients-vers-les-medecins-generalistes-fait-polemique_2987377.html#xtref=https://www.google.com/ Pour ce qui est du [I]nudge[/I] à proprement parlé, ceux que je trouve marrant sont ceux mis en place par la SNCF. Sur certains transiliens, des mâchoires sont peintes sur les portes pour dissuader les gens de s'engouffrer au dernier moment lorsqu'elles se referment: [IMG]https://cdn.radiofrance.fr/s3/cruiser-production/2017/11/cf7743f9-a676-498b-a0ef-56a3ae45f154/870x489_pour_sans_titre-6.jpg[/IMG] Pour éviter les conflits dans les escalators entre les oisifs et les pressés, un autre exemple de [I]nudge[/I] visuel: [IMG]http://www.smtk-communication.com/wp-content/uploads/2017/12/Nudges.jpg[/IMG]
Koolseb Il y a 5 ans

Désolé Eléa , mon doigt a ripé sur "valider" alors que j'étais entrain de recopier l'article, désormais il est complet!

Le journaliste pointe le phénomène du nudge car c'est le gadget sociologique à la mode, mais le vrai sujet de l'article c'est que les hôpitaux vont être rémunérés pour refuser des patients. Et ça c'est vraiment scandaleux...

https://mobile.francetvinfo.fr/sante/politique-de-sante/un-amendement-pour-inciter-les-services-d-urgence-a-renvoyer-les-patients-vers-les-medecins-generalistes-fait-polemique_2987377.html#xtref=https://www.google.com/

Pour ce qui est du nudge à proprement parlé, ceux que je trouve marrant sont ceux mis en place par la SNCF. Sur certains transiliens, des mâchoires sont peintes sur les portes pour dissuader les gens de s'engouffrer au dernier moment lorsqu'elles se referment:


Pour éviter les conflits dans les escalators entre les oisifs et les pressés, un autre exemple de nudge visuel:

Merci @Damnée , ça répondra à la question de @Eléa ! ;)
Koolseb Il y a 5 ans

Merci @Damnée , ça répondra à la question de Eléa !

Message déplacé depuis la discussion : Trollages divers.

ok ce clip a sa place dans l'autre topic, c'est pas du trollage. nan mais nudge je pige bien hein, c'est juste que moi je pensais que le bouquin de Enthoven paru en 2017 était le premier à avoir parlé de la mouche dans l'urinoir. je voyais pas bien ce que le prix Nobel venait faire ici.
Eléa Il y a 5 ans

ok ce clip a sa place dans l'autre topic, c'est pas du trollage.

nan mais nudge je pige bien hein, c'est juste que moi je pensais que le bouquin de Enthoven paru en 2017 était le premier à avoir parlé de la mouche dans l'urinoir. je voyais pas bien ce que le prix Nobel venait faire ici.

Message déplacé depuis la discussion : Trollages divers.

[IMG]https://pix.blizzart.net/image/1547673564/large.jpg[/IMG] [IMG]https://pix.blizzart.net/image/1547673592/large.jpg[/IMG] [IMG]https://pix.blizzart.net/image/1547673616/large.jpg[/IMG] [IMG]https://pix.blizzart.net/image/1547673639/large.jpg[/IMG]
Koolseb Il y a 5 ans







[B]La caverne de la servilité[/B] Yannick Haenel Charlie Hebdo n°1381 05 janvier 2019 Avec l'[I]Encyclopédie[/I] (de 1751 à 1772), Diderot se targuait de détruire l'obscurantisme; et grâce aux lumières de la connaissance et de la raison, de "lancer une bombe dans la maison du Seigneur". Mais aujourd'hui, où sont passées les Lumières? Peuvent-elles encore gagner? Où se cache la raison, à quoi s'emploie la connaissance? Je pense que les Lumières ont été escamotées: en lieu et place du grand projet occidental d'affranchir les hommes de leurs croyances, un réseau a connecté intégralement la planète; et voici qu'en quelques années l'instantanéité des flux a soumis l'entièreté du monde à la cybernétique, remplaçant l'idée même de liberté par celle de communication. C'est peu dire que l'esprit des Lumières ne peut pas grand chose contre un tel conditionnement, d'autant plus redoutable qu'il n'offre aucune prise: le Dispositif est un ennemi sans visage et sans nom, qui obscurcit notre volonté, qui nous aveugle. Je crois que c'est pourtant le vrai lieu de combat. Alors quand j'essaie de penser aux lumières de la raison - aux formes possibles de leur existence aujourd'hui, et à l'obscurcissement qui affecte nos libertés - me revient le souvenir de la caverne de Platon. Avec ce mythe, on comprend en effet que les hommes n'ont jamais eu accès aux lumières: Platon décrit des hommes enchaînés aux cuisses et au cou depuis l'enfance, qui ne peuvent regarder que ce qui est face à eux. Derrière, il y a un feu; et entre les enchaînés et ce feu, un chemin où des montreurs de marionnettes remuent des figures de pierre et de bois, dont les spectateurs perçoivent les ombres sur les parois de la caverne. Ils croient que ce qu'ils voient est vrai, ils pensent que ces ombres sont le monde. Nous en sommes là, rivés à nos écrans, prisonniers de ce qu'on nous montre. Comme les enchaînés de la caverne, nous ne percevons que des ombres: la lumière, ce serait de sortir de la caverne, mais tout est organisé pour que la connexion nous maintienne dans la caverne, désormais globale, du virtuel. Il existe une photo de Mark Zuckerberg qui vend la mèche sur l'asservissement dont nous sommes l'objet. Le patron de Facebook entre dans une salle remplie de participants dont les visages sont masqués par un casque de réalité virtuelle; lui avance en chaussures de sport, tout sourire; les autres sont assis, prisonniers du masque qui les prive de leur identité. Ils assistent à l'entrée de Zuckerberg, mais à travers l'appareillage qui les enferme dans le virtuel. On dirait des zombis enchaînés à un spectacle d'ombres. Zuckerberg, quant à lui, est décontracté: il n'a pas besoin d'être connecté - il règne sur la connexion des autres. Les "Lumières", aujourd'hui? C'est ce qui saura nous libérer de cette emprise - nous réapprendra à voir. ● [IMG]https://www.usine-digitale.fr/mediatheque/5/4/3/000344345_homePageUne/mark-zuckerberg-samsung-unpacked-2016.jpg[/IMG]
Koolseb Il y a 5 ans

La caverne de la servilité
Yannick Haenel
Charlie Hebdo n°1381
05 janvier 2019

Avec l'Encyclopédie (de 1751 à 1772), Diderot se targuait de détruire l'obscurantisme; et grâce aux lumières de la connaissance et de la raison, de "lancer une bombe dans la maison du Seigneur". Mais aujourd'hui, où sont passées les Lumières? Peuvent-elles encore gagner? Où se cache la raison, à quoi s'emploie la connaissance?

Je pense que les Lumières ont été escamotées: en lieu et place du grand projet occidental d'affranchir les hommes de leurs croyances, un réseau a connecté intégralement la planète; et voici qu'en quelques années l'instantanéité des flux a soumis l'entièreté du monde à la cybernétique, remplaçant l'idée même de liberté par celle de communication.

C'est peu dire que l'esprit des Lumières ne peut pas grand chose contre un tel conditionnement, d'autant plus redoutable qu'il n'offre aucune prise: le Dispositif est un ennemi sans visage et sans nom, qui obscurcit notre volonté, qui nous aveugle. Je crois que c'est pourtant le vrai lieu de combat.

Alors quand j'essaie de penser aux lumières de la raison - aux formes possibles de leur existence aujourd'hui, et à l'obscurcissement qui affecte nos libertés - me revient le souvenir de la caverne de Platon.

Avec ce mythe, on comprend en effet que les hommes n'ont jamais eu accès aux lumières: Platon décrit des hommes enchaînés aux cuisses et au cou depuis l'enfance, qui ne peuvent regarder que ce qui est face à eux. Derrière, il y a un feu; et entre les enchaînés et ce feu, un chemin où des montreurs de marionnettes remuent des figures de pierre et de bois, dont les spectateurs perçoivent les ombres sur les parois de la caverne. Ils croient que ce qu'ils voient est vrai, ils pensent que ces ombres sont le monde.

Nous en sommes là, rivés à nos écrans, prisonniers de ce qu'on nous montre. Comme les enchaînés de la caverne, nous ne percevons que des ombres: la lumière, ce serait de sortir de la caverne, mais tout est organisé pour que la connexion nous maintienne dans la caverne, désormais globale, du virtuel.

Il existe une photo de Mark Zuckerberg qui vend la mèche sur l'asservissement dont nous sommes l'objet. Le patron de Facebook entre dans une salle remplie de participants dont les visages sont masqués par un casque de réalité virtuelle; lui avance en chaussures de sport, tout sourire; les autres sont assis, prisonniers du masque qui les prive de leur identité. Ils assistent à l'entrée de Zuckerberg, mais à travers l'appareillage qui les enferme dans le virtuel. On dirait des zombis enchaînés à un spectacle d'ombres. Zuckerberg, quant à lui, est décontracté: il n'a pas besoin d'être connecté - il règne sur la connexion des autres.

Les "Lumières", aujourd'hui? C'est ce qui saura nous libérer de cette emprise - nous réapprendra à voir. ●

[quote="Koolseb"][B]La caverne de la servilité[/B] Yannick Haenel Charlie Hebdo n°1381 05 janvier 2019 Avec l'[I]Encyclopédie[/I] (de 1751 à 1772), Diderot se targuait de détruire l'obscurantisme; et grâce aux lumières de la connaissance et de la raison, de "lancer une bombe dans la maison du Seigneur". Mais aujourd'hui, où sont passées les Lumières? Peuvent-elles encore gagner? Où se cache la raison, à quoi s'emploie la connaissance? Je pense que les Lumières ont été escamotées: en lieu et place du grand projet occidental d'affranchir les hommes de leurs croyances, un réseau a connecté intégralement la planète; et voici qu'en quelques années l'instantanéité des flux a soumis l'entièreté du monde à la cybernétique, remplaçant l'idée même de liberté par celle de communication. C'est peu dire que l'esprit des Lumières ne peut pas grand chose contre un tel conditionnement, d'autant plus redoutable qu'il n'offre aucune prise: le Dispositif est un ennemi sans visage et sans nom, qui obscurcit notre volonté, qui nous aveugle. Je crois que c'est pourtant le vrai lieu de combat. Alors quand j'essaie de penser aux lumières de la raison - aux formes possibles de leur existence aujourd'hui, et à l'obscurcissement qui affecte nos libertés - me revient le souvenir de la caverne de Platon. Avec ce mythe, on comprend en effet que les hommes n'ont jamais eu accès aux lumières: Platon décrit des hommes enchaînés aux cuisses et au cou depuis l'enfance, qui ne peuvent regarder que ce qui est face à eux. Derrière, il y a un feu; et entre les enchaînés et ce feu, un chemin où des montreurs de marionnettes remuent des figures de pierre et de bois, dont les spectateurs perçoivent les ombres sur les parois de la caverne. Ils croient que ce qu'ils voient est vrai, ils pensent que ces ombres sont le monde. Nous en sommes là, rivés à nos écrans, prisonniers de ce qu'on nous montre. Comme les enchaînés de la caverne, nous ne percevons que des ombres: la lumière, ce serait de sortir de la caverne, mais tout est organisé pour que la connexion nous maintienne dans la caverne, désormais globale, du virtuel. Il existe une photo de Mark Zuckerberg qui vend la mèche sur l'asservissement dont nous sommes l'objet. Le patron de Facebook entre dans une salle remplie de participants dont les visages sont masqués par un casque de réalité virtuelle; lui avance en chaussures de sport, tout sourire; les autres sont assis, prisonniers du masque qui les prive de leur identité. Ils assistent à l'entrée de Zuckerberg, mais à travers l'appareillage qui les enferme dans le virtuel. On dirait des zombis enchaînés à un spectacle d'ombres. Zuckerberg, quant à lui, est décontracté: il n'a pas besoin d'être connecté - il règne sur la connexion des autres. Les "Lumières", aujourd'hui? C'est ce qui saura nous libérer de cette emprise - nous réapprendra à voir. ● [IMG]https://www.usine-digitale.fr/mediatheque/5/4/3/000344345_homePageUne/mark-zuckerberg-samsung-unpacked-2016.jpg[/IMG][/quote] <3 lu ce jour "notre époque vit selon l'ordre platonicien: on sait que dans l'allégorie de la caverne, platon dénonce les abusés qui croient à la vérité des ombres et ignorent qu'elles procèdent de la vérité d'objets réels. Enchaînés, autrement dit entravés par leur ignorance du mécanisme de production des simulacres, les esclaves se trompent en prenant le virtuel pour le réel. Le téléspectateur s'avère lui un esclave enchaîné qui prend pour vraie la construction d'une fiction et méconnaît la vérité de la réalité qui est réalité de la vérité. Nombre d'auditeurs et de téléspectateurs, sinon de dévots des écrans, croient plus à l'illusion qu'à la matérialité du monde. Le temps du cosmos, un ordre plurimillénaire, a disparu au profit du temps des machines à produire de la virtualité." michel onfray dans cosmos des sosies de mon ex tous ces mecs :) (manque plus que la grenouillère panda pour adulte), il a trouvé une femme cyborg.
suffragettes AB Il y a 5 ans

La caverne de la servilité
Yannick Haenel
Charlie Hebdo n°1381
05 janvier 2019

Avec l'Encyclopédie (de 1751 à 1772), Diderot se targuait de détruire l'obscurantisme; et grâce aux lumières de la connaissance et de la raison, de "lancer une bombe dans la maison du Seigneur". Mais aujourd'hui, où sont passées les Lumières? Peuvent-elles encore gagner? Où se cache la raison, à quoi s'emploie la connaissance?

Je pense que les Lumières ont été escamotées: en lieu et place du grand projet occidental d'affranchir les hommes de leurs croyances, un réseau a connecté intégralement la planète; et voici qu'en quelques années l'instantanéité des flux a soumis l'entièreté du monde à la cybernétique, remplaçant l'idée même de liberté par celle de communication.

C'est peu dire que l'esprit des Lumières ne peut pas grand chose contre un tel conditionnement, d'autant plus redoutable qu'il n'offre aucune prise: le Dispositif est un ennemi sans visage et sans nom, qui obscurcit notre volonté, qui nous aveugle. Je crois que c'est pourtant le vrai lieu de combat.

Alors quand j'essaie de penser aux lumières de la raison - aux formes possibles de leur existence aujourd'hui, et à l'obscurcissement qui affecte nos libertés - me revient le souvenir de la caverne de Platon.

Avec ce mythe, on comprend en effet que les hommes n'ont jamais eu accès aux lumières: Platon décrit des hommes enchaînés aux cuisses et au cou depuis l'enfance, qui ne peuvent regarder que ce qui est face à eux. Derrière, il y a un feu; et entre les enchaînés et ce feu, un chemin où des montreurs de marionnettes remuent des figures de pierre et de bois, dont les spectateurs perçoivent les ombres sur les parois de la caverne. Ils croient que ce qu'ils voient est vrai, ils pensent que ces ombres sont le monde.

Nous en sommes là, rivés à nos écrans, prisonniers de ce qu'on nous montre. Comme les enchaînés de la caverne, nous ne percevons que des ombres: la lumière, ce serait de sortir de la caverne, mais tout est organisé pour que la connexion nous maintienne dans la caverne, désormais globale, du virtuel.

Il existe une photo de Mark Zuckerberg qui vend la mèche sur l'asservissement dont nous sommes l'objet. Le patron de Facebook entre dans une salle remplie de participants dont les visages sont masqués par un casque de réalité virtuelle; lui avance en chaussures de sport, tout sourire; les autres sont assis, prisonniers du masque qui les prive de leur identité. Ils assistent à l'entrée de Zuckerberg, mais à travers l'appareillage qui les enferme dans le virtuel. On dirait des zombis enchaînés à un spectacle d'ombres. Zuckerberg, quant à lui, est décontracté: il n'a pas besoin d'être connecté - il règne sur la connexion des autres.

Les "Lumières", aujourd'hui? C'est ce qui saura nous libérer de cette emprise - nous réapprendra à voir. ●



<3

lu ce jour
"notre époque vit selon l'ordre platonicien: on sait que dans l'allégorie de la caverne, platon dénonce les abusés qui croient à la vérité des ombres et ignorent qu'elles procèdent de la vérité d'objets réels. Enchaînés, autrement dit entravés par leur ignorance du mécanisme de production des simulacres, les esclaves se trompent en prenant le virtuel pour le réel. Le téléspectateur s'avère lui un esclave enchaîné qui prend pour vraie la construction d'une fiction et méconnaît la vérité de la réalité qui est réalité de la vérité. Nombre d'auditeurs et de téléspectateurs, sinon de dévots des écrans, croient plus à l'illusion qu'à la matérialité du monde. Le temps du cosmos, un ordre plurimillénaire, a disparu au profit du temps des machines à produire de la virtualité." michel onfray dans cosmos
des sosies de mon ex tous ces mecs (manque plus que la grenouillère panda pour adulte), il a trouvé une femme cyborg.

Belle trouvaille @Suffragettes_AB , les similitudes entre les réflexions d'Haenel et de Onfray sont saisissantes! Le mythe de la caverne des temps modernes...
Koolseb Il y a 5 ans

Belle trouvaille suffragettes AB , les similitudes entre les réflexions d'Haenel et de Onfray sont saisissantes! Le mythe de la caverne des temps modernes...