Saez à Dijon. Quelques écoutes appliquées de « Debbie », son futur troisième album, et me voilà gentiment convié dans sa maison familiale. A quelques minutes de la capitale mais si loin de la mégacité inhumaine déclamée haut et fort dans son disque le plus cohérent, l’auteur de « Jeune et con » s’offre avec ses chansons, ses repères et ses doutes. Avant d’aborder ses nouvelles chansons le mois prochain, place au portrait d’un homme pas comme les autres.
Damien, tu nous fais le plaisir de nous recevoir chez toi, à Dijon, doit-on y voir un signe particulier ?
Non mais je me suis dit que c’était simplement beaucoup plus sympa qu’à une terrasse d’un café. Je suis attaché affectivement à Dijon par l’humain, pas par la ville en elle-même. Ce n’est pas ma ville d’origine. C’est là où réside mon petit frère. C’est là aussi que j’ai fait mon conservatoire de musique. C’est vraiment plus par les gens que j’ai rencontré à Dijon que je suis attaché à cette ville. Ca compte pour moi d’y revenir. Ca me donne aussi l’envie de repartir ailleurs après. J’ai composé mon dernier album presqu’entièrement ici. C’est un endroit où je peux tranquillement travailler. Pour « Debbie », j’ai passé plus de temps sur les textes, j’ai pu mieux me concentrer chez moi. Il fallait que je ne sois pas perturbé par Paris, où il y a tout le temps des concerts, des amis, des occasions de sortir.
Tu es quelqu’un qui sort beaucoup ?
Par période oui. Je sors pour la musique, pour les bars. Du coup, je n’arrive pas bien à travailler à Paris. Mais le jour où je voudrais me poser, comme j’aime bien ici, je le ferai à Dijon ou ailleurs en province. En fait, je m’en rends compte que peux plus facilement travailler en étant ailleurs…
Ce qui implique pour toi aussi des changements dans ta vie, des orientations différentes…
Oui, pour les rencontres, pour plus de réel. Mon Paris à moi n’a rien à voir avec le Paris d’un mec qui aurait mon âge, qui aurait fait des études et qui viendrait juste de les terminer. Mon Paris tourne finalement autour de mes connaissances dans la musique, et là, tu n’es plus trop dans le réel.
Besoin des autres
Tu cherches à t’évader de ton milieu professionnel ?
Oui car écrire des chansons, c’est quand même raconter des histoires. Raconter des histoires, c’est rencontrer des gens. Raconter mes histoires aussi. C’est raconter son histoire à travers celle des autres. J’ai besoin des autres, des inconnus surtout car ça joue beaucoup sur l’image qu’ils ont de toi. Et aussi le fantasme que tu as de toi sur leur propre vie. Ce qui est intéressant, c’est le fait d’envisager ces rêves pour mieux connaître les choses de la vie, pour rentrer dans les détails des existences.
C’est ce qui t’a aidé à écrire de meilleures chansons ?
Non, c’était juste ce dont j’avais envie sur ce disque. Je n’avais pas envie d’accentuer trop ma part – on va dire – brelienne, plus nostalgique et mélancolique. J’avais plus envie de fantasme. De plus, j’étais parti pour faire un disque un peu plus rock, ça collait bien avec.
C'était la guerre
Tu as souvent cette démarche de jouer aux ruptures de ton entre deux disques…
Oui, à l’inverse de mon second disque, je voulais faire quelque chose de beaucoup plus concis. Quelque chose qui ne fasse qu’un. Le maître-mot étant la cohérence. Je ne pense pas qu’on puisse me reprocher, notamment sur ce troisième album, de faire la même chose notamment dans ce disque.
Avec un peu de recul désormais, quelle expérience retires-tu de second LP ?
Que j’ai eu l’impression d’être vachement suivi. Tout simplement, parce que lorsque je me balade à pied, je rencontre plein de gens qui ont été touchés par les chansons de ce disque. Alors que peu de personnes me parlent du premier album. Je pense que je n’étais pas dans la bonne maison de disques à l’époque (Island-Mercury – ndr) et pour cet album là spécifiquement. Il y avait des choses qui étaient très difficiles à travailler pour eux dans ce disque. Des choses qu’ils ne comprenaient même pas. Tout ce qui est plus classique, justement toutes les longues parties de piano, n’ont pas été mises en avant, ils n’ont rien fait pour en tout cas. Alors que dans le spectacle, c’étaient les chansons que les gens chantaient le plus. Et puis, j’étais en conflit avec eux, c’était quand même la guerre… C’était bizarre pour moi, car c’était une période étrange. On a fait au moins trois fois plus de personnes sur scène qu’au moment du premier album. La réussite du deuxième album, c’est aussi par la scène que je l’ai observée. Faire des grandes salles même si je ne suis pas un partisan de ne faire que ça, a été une aventure réussie.
Un disque de rock
On a souvent l’impression que les grandes salles conviennent plutôt mieux à ta musique que les plus petites…
Ouais, y a quand même un côté grandiloquent dedans qui va bien avec. Mais j’aimerai bien pouvoir alterner, faire une grande salle et enchaîner le lendemain avec une beaucoup plus petite avec une autre formation, inventer autre chose.
Avec le changement de maison de disques, Barclay, tu as pris de nouvelles dispositions ?
Oui. Changer pour les gens qui travaillent dedans. De toute façon, je pense qu'un bon disque reste un bon disque. Pour les débuts de « Debbie », j'avais carrément fait un autre album avec des chansons que j'ai abandonnées car je me suis dit que j'avais envie de faire un disque de rock. J'ai retravaillé avec les mêmes musiciens et les mêmes gens de studio que les deux premiers disques.
C'est important pour toi la fidélité dans le travail avec les gens de la musique ?
Oui parce qu'on ne retombe pas dans les mêmes réflexes, entre guillemets, car on se connaît bien. Je suis resté fidèle à cette équipe anglaise parce qu'ils restent meilleurs à mes yeux. Ils ont moins de barrières culturelles et vivent plus la musique au quotidien même s'ils ne captent pas toujours le sens et la saveur exacte des textes et de ce que tu es en train de faire. Cela étant, ce n'est pas forcément un mal non plus. Ils écoutent chaque morceaux et c'est la voix qui dirige et envahit tout. Quand tu écoutes Alanis Morissette ou U2, la voix est super en avant même si les productions anglo-saxonnes dans d'autres registres mettent les voix carrément en retrait. Parce que la musique dégage suffisamment d'énergie et que la voix s'intercale dans un tout sans en être l'élément central.
Tailler le diamant
Quel jugement as-tu de ta musique quand tu viens de le faire...
J'ai plus de confiance en moi. J'ai aussi plus travaillé tous les détails des textes. Je suis parti sur des choses qui n'étaient pas de l'auto-satisfaction, du genre trouver la pépite qui arrive comme ça et qu'on aime regarder parce que tu viens de la trouver. En revanche, je ne sais pas toujours ce qui est le plus beau : est-ce que c'est le diamant bien taillé, ou est-ce que c'est le diamant brut. Je dis ça aussi parce que c'est bien de ne pas faire que du brut. C'est bien de temps en temps de savoir comment on taille le diamant. Tu vois.
Composes-tu des morceaux dans le but d'être à l'aise sur scène ensuite ?
Je pense que ce disque là le fera vraiment sur scène. Mon spectacle sera d'ailleurs très basique, très simple au niveau des orchestrations (basse-guitare-batterie), très rock. Beaucoup plus rock que le disque. Parce que la musique s'y prête et aussi parce que les textes sont très poétiques, plein d'images, avec beaucoup de mots dedans. Comme dans mon disque, d'ailleurs, « Debbie », l'album est extrêmement urbain. Plus urbain que les deux précédents. D'où toutes ces guitares. J'avais aussi envie de parler de choses modernes, comme de dépeindre des atmosphères de cités. Le début du disque pose ce décor là, une certaine urbanité et puis, après, il y a des chansons comme « J'hallucine » où là ça part bien plus loin. Comme des voyages fantasmés.
Tu te nourris des musiques des autres ?
Non pas trop, finalement. C'est par période que j'écoute de la musique. Mais quand je vois les derniers disques de Johnny Cash, je me dis : wouah ! C'est à tomber par terre d'émotions. C'est sans âge, c'est comme Dylan produit par Daniel Lanois.
Tes morceaux s'étalent de plus en plus, te faut-il plus de temps pour dire les choses en musique ?
e n'est pas vraiment une volonté, plutôt un hasard. Les textes sont ce qu'ils sont mais j'ai tellement passé de temps là dessus que je n'avais pas envie de couper pour couper et faire plus court. Je reconnais que j'ai une tendance à faire long...
Chansons de Brel
Comment tu te sens après avoir fini « Debbie » et à avoir à le défendre maintenant ?
C'est toujours bien après qu'on sent si ce qu'on a fait a de la valeur. C'est souvent un dilemme. Dans tous les cas, je ne penserai jamais à celui qui va écouter mes chansons quand je les écris. Mais c'est toujours plus réussi quand l'écoute de l'autre participe à l'élaboration de la chanson. Rock ou pas rock, une chanson est importante un peu comme une personne peut l'être. Ce qui est important quant à la démarche, c'est de ne pas faire la chanson pour qu'elle touche. Parce là, tu ne vas voir que les ficelles, la technique, tu vois ? C'est dur d'être fier d'une chanson mais en revanche, quand tu vois une fille les larmes aux yeux en écoutant ta chanson, tu sens que tu as touché à quelque chose d'important et d'intime aussi. Que tu as réussi mais c'est un retour que tu as bien après pour « juger » la qualité de ta chanson. Vente ou pas vente, c'est pas ça qui compte. De toute façon, il faut du temps aux choses. C'est pour ça aussi que la scène est importante, comme quand tu fais sans actualité et sans pub particulière le plein en à peine trois jours de locations dans une salle comme la Cigale avec un piano-voix. Tu n'es pas en formation rock, c'est complètement autre chose. Et les gens viennent parce que cela les touche quand on a livré de soi quelque chose d'assez honnête pour perdurer. On peut dire ce qu'on veut, même moi, il y a des chansons de Brel, « Ne me quitte pas » par exemple qui est une chanson extrêmement riche, je pense que c'est une de ses pièces maîtresse quoi qu'on en dise parce que c'est elle qui est le plus restée.
Faire des chansons qui touchent et qui restent, c'est pas la meilleure façon pour les maisons de disques de résister culturellement et économiquement ?
Je pense que sans signatures nouvelles, tu ne fais rien. C'est le problème aujourd'hui. Il faut que les maisons de disque cherchent plus et se posent plus la question : qu'est-ce qu'on sort qui mérite l'intérêt ? Faut pas déconner quoi. Quand tu dis des choses, il faut un minimum de profondeur. Je suis récemment tombé sur une chanson de Miossec « Brest » que j'ai trouvé sublime, extraordinaire. C'est rare un si beau texte avec un refrain qui dit « Tonnerre de Brest », il fallait oser. Et le faire bien.
Damien, es-tu toujours en rébellion par rapport à ta maison de disques ?
Je pense sincèrement qu'Universal n'est pas, et de loin, la plus mauvaise boite de disques en France, il y a bien pire ailleurs. Chaque label n'a pas la même fonction. Je pense qu'Universal a un patrimoine énorme (Barbara, Brassens, Ferré, Brel...) notamment chez Barclay, mon label. Quand j'ai été signé, je suis arrivé sur Island qui était collé à Mercury, je trouvais bien d'être dans la maison de U2, Pulp, Marley, mais c'est vrai que comme tous les bulldozers, c'est capable du meilleur comme du pire. Et que c'est à toi d'en tirer le meilleur.
Marcher avec l'ennemi
On te sent un esprit indépendant très proche de celui d'un Manu Chao qui a aussi des problèmes avec sa maison de disques...
Oui, en même temps, indépendant, je ne sais pas ce que cela veut dire. On est tous obligés d'aller faire distribuer ses disques au supermarché. On peut tourner les trucs comme on veut, dans la mesure où tu ne vends pas tes disques dans la rue – et encore ça n'aurait pas de raison d'être ou alors il faudrait juste chanter dans la rue. Et puis, je ne pense pas que tu puisses être indépendant dans une major mais l'indépendance peut se situer autre part que par ceux qui labellisent tes disques. Je crois que ce que je fais va au-delà de à qui appartient ce groupe-là, à qui il appartiendra dans trois ans, objectivement, je m'en fous. En revanche, c'est clair que par rapport au discours, il faut quand même que les majors signent de nouveaux artistes pour que cela vaille le coup. Et même dans le rock, dans tous les registres, c'est un peu l'ère des castings et puis le tour est joué. Et pas que sur TF1. Je ne crois pas que cela soit si simple que ça. Les radio-crochets, c'est quand même ce qui a bouffé la culture française. Peut-être qu'un jour, dans un truc comme ça, tu tomberas sur la perle, pourquoi pas. Il ne faut pas se baser là-dessus, tu marches vite avec l'ennemi à ce jeu là, franchement, la télé, c'est la cata.