Mister Malaise a balancé sa nouvelle chanson, « P’tite pute ». Internet s’affole, a-t-il raison ?
2002. Entre deux menthols crapotées, ma cousine m’offre un CD gravé. Jours Étranges est écrit à l’indélébile bleu. Je ne vais pas mentir, le mec a su parler à la pré-ado désabusée que j’étais, ou du moins que j’essayais d’être. Ça a été la révélation. Enfin quelqu’un qui ressentait la même chose que moi. Qui me laissait penser que je n’étais pas seule sur cette terre hostile colonisée par des crétins. En 2018, la jeune adulte que je suis a presque honte d’avoir passé de longues heures à broyer du noir en écoutant « Usé » sur son Discman Sony.
Que s’est-il passé ?
Le 19 novembre, l’idole des incompris balance sa nouvelle chanson au titre délicat, « P’tite pute ». S’en suit un shitstorm majestueux sur les Internets, et l’ensemble de la population féminine qui monte au créneau. Pour vous éviter d’avoir à écouter cette catastrophe, voilà de quoi ça parle : dénonciation intransigible des influenceuses et des filles qui « vendent leur cul sur les réseaux ». Bien. Jusque là, Angèle a fait pareil avec la thune. Mais comme c'est Angèle, elle a évidemment réussi à faire ça de manière mignonne.
Pourquoi faut-il en parler ?
Si vous avez été ado dans les années 2000, vous faisiez peut-être partie de ceux qui ont succombé à la Saez mania. Concerts, t-shirt, albums. J’avais tout, je connaissais tout.
« Le monde partait en couille, mais Saez était toujours là, on était dépressifs ensemble, on s’aimait et c’était rassurant. »
Les planètes se sont alignées quand il a sorti Varsovie-L'Alambrah-Paris. Tous les chagrins d’amour d’une génération semblaient avoir été pressés en trois albums. Le monde partait en couille, mais Saez était toujours là, on était dépressifs ensemble, on s’aimait et c’était rassurant.
Il faut donc en parler, car pour beaucoup, Saez a été un refuge. Mais depuis J’accuse en 2010, j’ai regardé avec vous mon idole se transformer en être abject, d’album en album, de malaise en malaise. Ses textes ont changé. Il sonne comme un vieux réac’ grotesque, anti-capitaliste, moralisateur, faussement anti-système, et révolté contre un monde qu'il ne comprend plus. Sans oublier de mentionner que depuis quelques temps, il développe un propos de plus en plus déplacé envers les meufs, lui qui auparavant les portait en déesses. Avec « P’tite pute », il donne le coup de grâce. C’est la fin de son ascension vers le sommet du pathétique. Enfin, on l’espère. On pourrait décrire ce nouveau titre comme un ‘ worst of’ de toute sa discographie. Les réseaux sociaux, les putes à clic, la société, le fric, les nantis, la corruption. C’est bon, Damien, on la connaît, ta chanson. Ça fait sept ans que tu recycles un phrasé pompeux en haranguant les foules le doigt pointé. Cela dit, il m’arrive souvent de réécouter ses 4 premiers disques.
Il faut en parler car les plus jeunes doivent savoir qu’avant toute cette merde, il avait du talent. Qu’on aime ou qu’on déteste, le mec savait écrire et composer. Et là, les seules choses qu’on peut lire sous le hashtag, ce sont des critiques acerbes (et tristement justes) sur ce jeune con devenu vieux fou (c’est la punchline pseudo-originale la plus répandue dans la presse, je ne sais qu’en penser).
Pourquoi ne faut-il pas en parler ?
Car c’est l’hôpital qui se fout de la charité. Il a si bien chanté le corps de femmes, et maintenant il largue ce pamphlet misogyne, facile, accusateur, triste. De la part d’un type qui se vend sur le net pour promouvoir son futur album, c’est pas très crédible. Sans doute que tout ça est fait exprès, comme se tuent à le démontrer les fans inconditionnels et conditionnés, et que de toute manière on ne comprend rien, nous les moutons aveugles, le mec est un génie, il nous encule, etc.
« Qu’est ce qui est pire que le Damien Saez de 2018 ? Les fans de Damien Saez en 2018. »
Bien sûr qu’il a sans doute cherché cette déferlante 2.0 afin de ranimer un notoriété depuis longtemps éteinte. On ne fait que lui rendre service en rajoutant de l’eau au moulin. Et Daminou, ressemblant maintenant à Di Caprio dans The Revenant, regarde tout ça dans une coin obscur de sa cave, éclairé à la bougie, sirotant un litre d’absinthe en se frottant les mains d’un air maléfique.
Mais cette promo mal déguisée ne mérite pas tout ce bruit et sert juste d’espace public d’expression pour les fans complètement fermés. Car qu’est ce qui est pire que le Damien Saez de 2018 ? Les fans de Damien Saez en 2018. Il faut aller les lire, c’est un bijou. J’espère du fond du coeur que ce sont des fans acquis ces dernières années, parce que les fans « Des Condamnés » et d’« À bout de souffle » ne peuvent pas cautionner « P’tite Pute ». Ou alors y a un truc que j’ai pas bien compris. Il ne faut pas en parler pour l’abandonner à son nouveau public. Ou à ceux qui, voulant prendre part au combat, essayent maladroitement de justifier cette chanson en la comparant à certains titres de rap avancés comme sexistes.
Le message de « P’tite Pute » n’est pas en soi complètement insensé (même si superficiel, accusateur, archaïque et moralisateur) mais le plus gros problème reste sa mise en forme, qui frappe carrément à côté.
Mais finalement, il faut en parler ou pas ?
Je ne m’étendrai pas sur le débat du plagiat de « L’homme pressé », ni sur la tracklist qui ressemble à un prospectus du FN. Il ne faut sans doute pas en parler car sérieusement, qui ça surprend ? On l'a vu arriver de loin, ce désastre. On a grandi, Damien Saez pas vraiment. Mieux vaut se taire et le laisser s'étouffer dans son aigreur et son délire d'anar' à deux balles, oublier le déclin d'un artiste. Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, au nom d’un amour adolescent, je le défendais. C’est un peu comme voir son père qui perd la boule, crier des insanités et se pisser dessus en pleine rue. On se est gêné et mal à l’aise, ça nous attriste mais en même temps, jamais personne n’aura le droit de se moquer de lui devant nous. Parce qu’on sait bien quelle personne il a été avant d’en arriver là.
Marine Coutereel
Source : www.vice.com