De retour avec Debbie sur le front rock français, l'écorché Damien Saez signe une nouvelle collection de titres soignés sur fond de symphonie pour amplis. Champion d'un romantisme fiévreux branché sur canal saturé, l'auteur du titre-slogan Jeune et con livre une nouvelle sortie plus directe, plus réfléchie, parfois un rien trop solennelle mais dont le carburant reste un rock cérébral, aux frontières de la prétention.
Il fume cigarette sur cigarette, tremble d'une arrogance fragile, du haut d'une maturité que la fronde n'a pas quittée. On peut s'irriter de son phrasé nasillard, de ses vocalises grandiloquentes, de sa façon de torturer les voyelles, Damien Saez n'en a cure. Grande et belle gueule, il lâche des arabesques choisies, écorche, insolent, l'industrie du disque et prône le retour à l'humain. Entre deux gorgées de Coca et une marque d'insoumission, l'auteur de l'hymne Jeune et con (sur son premier disque, Jours étranges) s'exprime sur son nouvel album. Rencontre.
Debbie est dans l'ensemble très raffiné, très travaillé. Tu sembles moins rechercher la 'chanson évidente' que sur les albums précédents. Que s'est-il passé ?
Je crois que l'évidence, je ne la cherchais pas : je l'avais! J'avais écrit Jeune et con en deux heures à peine. L'évidence vient avec une forme de naïveté juvénile, ce qui est bien. Avec le côté "trois accord, message et mots très clairs". Après, on n'est pas touché par les mêmes problèmes à 18 qu'à 27 ans. Et on ne les gère pas de la même manière.
L'évidence sur Debbie, c'est cette écriture mise très en avant...
La seule difficulté par rapport à ça, c'est que ce type d'album n'a pas forcément beaucoup de chance aujourd'hui. Je suis assez pessimiste par rapport à un succès potentiel.
Le pessimisme est presque chez vous une seconde nature !
Oui, mais quand je vois comment fonctionne ce métier, je me rends compte que le fait d'aborder la musique comme je le fais devient de plus en plus rare. Aujourd'hui 99% des groupes ou de ce que je peux entendre à la radio est très formaté.
Il y a chez vous un côté un peu passéiste, une façon de mettre en valeur les mots qui rappellent certains chanteurs du patrimoine comme Brel ou Ferré, toutes proportions gardées...
C'est ma culture. Je pense être apparenté à tout ça. Je n'ai très clairement pas, aujourd'hui à 27 ans, la prétention de me comparer à eux...je pense avoir un sens de ce qui me reste à accomplir, par rapport aux mots, à ce travail... Mais c'est la voie que j'ai choisie. Et ça ne marche pas avec 80 % des radios, 99,9% des TV ! J'espère qu'Internet continuera sa route, parce que ça nous aide pas mal. C'est l'occasion de zapper quelques médias. Plus ce sera gros, moins on aura besoin des médias pour exister.
Saez, pensionnaire de la maison de disque Universal se voit donc en artiste alternatif ?
C'est évident, vu la façon dont je mène l'ensemble depuis le début. Et je pense que je suis l'un des derniers, oui. Quand je vois ceux qui vont vendre leur soupe dans des émissions de TV, au milieu d'une star du porno et d'un homme politique venu vendre son bouquin... C'est peut-être prétentieux de tenir ce discours, mais j'accepte le côté extrêmement prétentieux de cette démarche là.
La prétention est pour vous synonyme de survie artistique ?
Oui. Sinon, je mourrais, c'est clair. J'arrêterais. Le prix à payer est trop dur. Ce n'est pas un monde pour les intègres. Donc forcément, le rester coûte, parce que ça fatigue, que ce n'est pas évident. En même temps je fais ce dont j'ai rêvé, je suis fier de mes disques, et je continuerai à en faire. Mais c'est le système qui est...pour avoir son rêve, faut payer le prix.
Nourrir son art de la contestation est ceci dit un principe fondamentalement rock'n'roll...
Oui. Sauf que le carburant ne peut pas être qu'antagoniste. L'humain est plus intéressant ailleurs qu'au sein de ce métier. C'est pour ça qu'à un moment donné, pour sa survie artistique, il ne faut pas traîner trop longtemps dans ces sphères parisiennes. Avec cet album, je suis revenu sur l'humain je crois. Je m'en étais écarté, j'avais beaucoup de chansons généralistes, de vues par satellite. Je suis revenu sur des personnages, des gens croisés réellement. C'est pour ça que je l'ai appelé Debbie. Il y a deux façons différentes de parler des choses: ça peut être une chanson comme Ton nom sur God blesse, où il y a un engagement par rapport à un fait - c'est carrément du combat ouvert. Puis il y a Le poinçonneur des lilas, qui pour moi revendique: c'est Les temps modernes de Chaplin. A travers le récit de la vie d'une personne sur laquelle on met l'accent, on peut en tirer toute la rébellion d'un monde qui ne va pas forcément bien.
Vous avez moins l'envie aujourd'hui de chanter du poing fermé ?
Oui, je crois.Ça, je l'ai plus en dedans. Je pense être beaucoup plus dur que je ne l'étais. Intransigeant par rapport à des valeurs - au sens éthique, pas au sens moral.
Il y a un besoin de se sentir différent pour donner de la vie à ce que vous écrivez ?
Oui. Ce n'aurait peut être pas été le cas à une autre époque, mais je crois que je suis un peu extra-terrestre.
Loïc Bussières