Il est celui que l’on adore détester, que l’on hait sincèrement, ou que l’on encense. Presque vingt ans après Jeune et Con, Damien Saez le libertaire, l’amoureux de Victor Hugo, a offert à des milliers de convaincus une prestation étourdissante samedi 22 avril 2017, au Zénith de Paris.
« Merci d’être si fidèles » termine Damien Saez presque 4h30 après le début de son concert. Sur les notes encore sépulcrales de ses musiciens, il regarde intensément la foule, le poing levé. Il trinque, s’allume une clope, s’assoit, puis se relève. L’homme vient d’offrir une prestation édifiante, brassant ballades saisissantes, rock contestataire et courts-métrages : son Manifeste. Il est celui qu’on adore ou qu’on déteste mais samedi 22 avril 2017 au Zénith de Paris, il est celui que l’on respecte.
L’artiste est revenu, trois ans après l’opus Miami avec Le Manifeste, sorte de concept-album, une « poésie résistante » en trois actes. Le premier s’appelle L’Oiseau Liberté, dont il dévoile quelques titres dès le début de son spectacle, encore emmitouflé dans son gilet en laine marronâtre. Il est assis sur une chaise, les yeux rivés sur un pupitre, ses doigts dansant sur son piano ou sa guitare. Le ton est donné : « Ils étaient des sourires, ils étaient des sanglots, ils étaient de ces rires que font les chants d’oiseaux ». Certaines larmes cathartiques s’échappent – déjà – d’yeux sensibles. D’autres hurlent. Les briquets s’allument, les flammes semblent représenter les 130 victimes de ce « vendredi noir », de ces « amoureux qui se sont blottis l’un contre l’autre à deux contre la tyrannie ». Le chanteur entonne Les Enfants Paradis, un titre hommage aux victimes des attentats du 13 novembre. Ce sera cependant l’une des seules ballades du concert.
Un anticonformiste
Peu de temps avant le début du concert, un fan nous a confié : « Damien Saez est un gourou, qui a depuis vingt ans en face de lui des milliers de disciples ». Il est vrai que sa nonchalance est bien vite pardonnée. Il est ce rebelle libertaire qui se refuse à écumer les médias – qu’il décrit comme « concessionnaires du fascisme » dans le récent titre Peuple Manifestant – et qui vend pourtant des milliers d’albums, remplit tous ses Zénith. A Telerama – dans l’une des rares interviews qu’il a faite – il confie :
Mon métier n’est pas de nourrir une machine que je n’aime pas, sous prétexte que ça me fera vendre. Ma trace est peut-être modeste, mais c’est la mienne
Plus généralement, Saez est un insatiable mécontent. Un criard, dénonçant la société de consommation, les gens qui « parlent mal, les gens qui sont cons », les « OGM dans les biberons » dans J’accuse. Le fait que l’on soient tous « rien de rien, que du vide que du vent » dans Pilule. Titres qui, dès les premières notes, font hurler la salle, soulèvent les gens assis, et font lever les poings, aussi.
Force est de constater que Damien Saez va bien au-delà de la mélancolie. Ce soir-là au Zénith, il est las, rompu. Avec lui, nous sommes des résistants. Il enchaîne ce qui sont des tubes, pour les plus fidèles : Messine, Fin des mondes, Les échoués, Betty, puis Je suis. Le chanteur devient parfois un poète messager, tient une feuille blanche. A un moment, il lit sa Lettre à Politique : « A ta santé Fillon ! A ta santé Macron ! » scande-t-il après une tirade de dix minutes, à la veille du premier tour de l’élection présidentielle. Il enchaîne avec Mon Terroriste, face à une foule pogotante. Hurlante.
Il est pas beur ou maghrébin, pas pakistanais ni indien, mon terroriste. Il est plutôt vachement français, du genre courtier costume banquier, mon terroriste
Assorti de ses six musiciens (dont un accordéoniste), il captive avec ses plus grands succès : Ma petite couturière, Marguerite, Rue de la Soif – son dernier titre. Il parle de son amertume, de ses crachats à la gueule des loups les plus voraces, mais aussi de celles qu’il a aimées.
La dictature de l’amour
Car Le Manifeste de Saez c’est aussi l’amour. Celui qui fait mal, certes (l’artiste a quand même écrit un triple-album après une rupture), mais l’homme est un militant de l’amour sous toutes ses formes. Que ce soit celui pour Marguerite, « belle comme un accident de bagnole », ou pour Marie, « bien plus jolie que Paris », qui arrivent toutes devant nous en hologrammes lorsque Damien crie leurs noms.
En quatre heures de concert, nous en passons une trentaine avec les comédiens Ana Moreau et Nathan Cholbi, qui ont enregistré des courts-métrages où ils se mettent en scène, seuls. A part un ou deux gueulards, la salle reste étonnamment patiente et silencieuse. Ils nous parlent en noir et blanc de badinages, d’angoisses, de tourments. Tentent de mettre des mots sur des sentiments. On les écoute, on les regarde. Perdus et captivés à la fois.
« Allume la salle, j’veux voir mes p’tits potes »
J’veux qu’on baise sur ma tombe, chanson sortie en 2002 sur l’album God Blessé fut l’un des plus grands succès de Damien Saez. Elle est encore plus éloquente et vibrante en live. Après trois heures trente de concert, les premières notes surgissent. Les fans la reconnaissent immédiatement et chantent par-dessus le poète des temps modernes, le poing levé – donnant à la salle, parfois, une allure de meeting. Elle durera en tout une quinzaine de minutes, jusqu’à ce que les musiciens partent un par un, laissant l’accordéoniste seul sur scène.
Puis Damien revient. Ce qui sonnait très nettement comme une fin de show n’en était pas une. L’artiste semble ne pas vouloir laisser ses « p’tits potes ». Il empoigne sa guitare, les lumières se reteignent. Il continue en guitare/voix avec ses plus gros tubes : Jeunesse lève-toi, Jeune et Con, Des P’tits Sous… devant une foule comblée. Le show durera encore une heure, peu de temps avant les derniers métros.
S’il a peut-être prêché des convaincus ce soir-là, il a aussi célébré la fin de sa tournée d’une manière intense, poétique, engagée – ni trop, ni pas assez. Une nouvelle génération de poings levés, à corps et à cris face à un gourou de la poésie peut naître.
Angèle Chatelier
Source : www.ouifm.fr