Hier soir c’était le round 2 de la tournée du Manifeste. Voilà qu’on revient à la case départ, mais ce n’est pas pour boucler une boucle. Non, c’est plutôt pour fêter une date anniversaire, celle d’une rencontre, celle d’un unique. Ça a commencé comme ça, un certain soir d’avril dans la nuit lyonnaise à la Halle Tony Garnier en 2010. 7 années de concert.
Alors hier ça avait un goût particulier, comme si on contemplait nos souvenirs sur la route de ces 7 dernières années. Depuis 2010, je comptabilise 5 concerts tous plus impressionnants les uns que les autres. Je traîne d’ailleurs encore avec moi la folie de Clermont en mars dernier qui reste inégalée même après hier.
La Halle est un cadre atypique pour un concert, son allure très métallique, ses lumières jaunes or rappellent un peu le décor parisien des nuits. Ce temple de la musique a quelque chose de rock, d’électrique parce qu’il a sans doute été pensé pour l’effervescence humaine, celle où se mélange des gens différents, des cris, des discussions, des échanges et des rencontres. La Halle Tony Garnier est comme un bout de quelque part pour des tas de quelqu’un. Dans l’obscurité de la fosse, cette fois le concert se vivra directement dans le coeur, là où les pulsations vous frappent de face, sans retenue. On attend aussi impatiemment que 15 jours avant, même si la surprise est moins totale.
Le film commence, mais je cherche déjà le piano, chanceuse de savoir qu’il va entrer discrètement pour animer les images. On oublie parfois qu’il a la formation classique du conservatoire, qu’il a joué très longuement du piano, qu’il maîtrise autre chose que l’art des mots. Lorsqu’il s’installe face à nous, seul face à des milliers d’yeux qui le scrutent en attente de son souffle de voix, je chavire déjà. Revenir ici après toutes ces années, retrouver un peu de moi émerveillée et puis surtout l’entendre entonner « l’humaniste » qui décidément me fait couler les larmes. Les premières phrases ont sans doute un pouvoir secret, qui lorsque je les entends me parle au plus profond parce qu’elles sonnent la re-rencontre, d’entendre sa voix originale quand il choisit de faire telle ou telle envolée. Il est peu bavard, enchaîne les chansons dans la partie acoustique en limitant le nombre, mais il fait tout de même monter la pression. Définitivement, « l’oiseau liberté » est un boulet de canon en live, c’est une chanson à frissons, qui galvanise. Il sait rendre encore plus belle des chansons qui sont déjà magnifiques en version studio. Il se reprend lui-même, s’améliore, bouleverse ses chansons, les tord, étire les mélodies et chante en seul maître qu’il est de ses morceaux.
L’ambiance dans la fosse est unique pour un concert de Saez. C’est ici que fusionne la passion, la déchirure, l’exaltation et l’euphorie. C’est aussi ici que sa voix vient nous frapper à chaque écho dans les enceintes, et ça nous transperce, nous use puis nous relève. C’est le combat du corps et de l’esprit, de l’art et de l’écoutant. Lorsque l’ambiance monte en suivant notre chef d’orchestre, c’est pour élancer le chant dénonciateur. « Lettre à politique » toujours aussi percutante sert d’introduction à une longue session coup de poing. C’est à partir de là qu’il installe vraiment le rock dans la salle, la foule se déchaîne toujours autant haranguée par Damien qui ne laisse pas une seule minute de répit. Mais ce n’est pas gênant, on bouscule tout et on avance dans le fil de la nuit sur ce grand navire où à la fin il ne restera que lui (c’est lui qui le dit !). Je danse, saute, profite tout simplement comme quand la musique est seule maîtresse, seule reine. Damien se libère un peu aussi sur scène, il danse un peu, gesticule et fait son hallucinant solo de guitare sur « j’hallucine », rappelant ici aussi qu’il est bon guitariste ! Il s’amuse avec un projecteur à éclairer le public petit à petit, endroit par endroit, on sent qu’il s’attarde sur le centre de la fosse où les pogos et l’ambiance sont à température très élevée. Juste avant ça, c’est ce même projecteur qui dessinait son ombre immense sur le plafond de l’Halletine, au-dessus de nous dans ce ciel flamboyant le noir de son dessin mariait le rouge des lumières. On est de ceux qui croient qu’un artiste sauvera le monde, chaque soirée comme ça en tout cas il nous le laisse croire à ses côtés. C’est sans doute l’origine de beaucoup d’arts, s’élever en sauvetage d’un monde en perdition, essayer, y croire le temps de 4 ou 7 minutes d’une chanson, ou presque 4 heures d’un concert. « Rue de la soif » est un festival qui emporte tout, elle est faite pour motiver la foule et créer une union de folie pour que « le Rhône soit l’Atlantique ».
D’autres moments désormais grands classiques du voyage saezien nous font vibrer. « Putain vous m’aurez plus » reprise par la salle, comme beaucoup d’autres morceaux, me ramène à 2010. Si vous avez lu d’autres textes sur Saez sur ce site, vous devriez comprendre la référence. Je crois que je n’arriverais pas à rester en état sur scène si la foule chantait à l’unisson ou en même temps que moi, c’est tellement bouleversant, émouvant, prenant, déchirant de beauté. les « héhé » de cette chanson sont pour toujours mon patrimoine immatériel. Damien remercie son public encore, l’émotion au bout des doigts lorsqu’il frappe son coeur de son poing, lorsqu’il le sert toujours un peu en le rapprochant de lui comme dévoré par des sanglots de reconnaissance, de fierté peut-être, par l’amour qu’on peut échanger entre inconnus. Entre deux têtes de spectateurs devant moi, quand je pouvais le regarder fixement, parfois je voyais encore son visage adolescent, son air d’insouciance qu’on revoit sur les images des lives d’avant. Quelques fois on dirait même que c’est l’enfant qu’on regarde. Et puis bien sûr « je veux qu’on baise sur ma tombe » qui est inévitable, inattaquable, inoubliable. Je me demande parfois s’il choisit les morceaux qu’il joue en fonction des choix de son public, j’ai toujours eu le sentiment que certaines chansons ont été adopté par les gens et qu’il sait pertinemment qu’elles sont le ciment du lien. Sur cette chanson, le duo entre l’accordéoniste et le public est un monstrueux moment d’émotions. C’est juste incroyable de beauté. Beauté qui ne quitte plus la fin du concert, lorsqu’il termine sur « tu y crois » qui est à ce jour l’une des plus belles versions lives que j’ai pu entendre. J’ai pu me rapprocher encore un peu de la scène, je suis sous les enceintes et la musique me frappe entièrement, je ressens les coups, les vibrations en moi. On aurait dit que c’était ce qu’on appelle être possédé par un rythme, une chanson, un air. Là aussi tout semblait me traverser pour continuer à toucher, secouer les gens derrière, continuer dans la foule pour monter décorer le plafond de la salle, pour ranimer nos petits coeurs ébranlés par la performance unique d’un être définitivement et totalement unique. Sa voix qui s’envole, s’envole toujours, pointe jusque dans les aigus les plus sensibles me bouleverse totalement. Même si l’au revoir approche, on espère qu’il décide de continuer encore un peu, toute la nuit s’il le veut même. Presque 4 heures de concert, et Lyon a tenu ses promesses.
Voilà 7 ans que les nuits de rencontre ont commencé, 7 années en amour ou en amitié lorsqu’on les franchit s’inscrivent dans l’éternité, on ne se quitte plus, on se garde farouchement les uns les autres pour tenir la flamme, l’étincelle et tout l’incendie le plus intact possible. Alors je vais le dire ici, si on me permet d’être peu objective, d’avoir des mots tendres et affectueux pour un art, si on m’autorise à dire du bien pour un artiste sans m’en vouloir de n’être que peu critique, accordez-moi de faire cela pour Damien Saez. Et puisqu’il aime tant Barbara, que la tournée touche peu à peu à sa fin, qu’on sait des projets mais toujours en mystère … Damien, dis quand reviendras-tu ?
Julie G.
Source : vingtquatreheureune.wordpress.com