On l’aura attendu ce premier album du Manifeste, le projet de Damien Saez. Tout a commencé au mois d’août avec quelque belle poésie laissée sur www.culturecontreculture.fr pour les manifestants - ceux qui ont payé 60 euros un peu à l’aveugle pour adhérer au projet -, puis enfin une date annoncée pour la sortie en streaming et en CD de L’Oiseau Liberté, le premier album du projet.
L’aspect musical commence à devenir sérieux lorsque, le 4 novembre dernier, l’artiste met en ligne deux nouveaux titres : "Les Enfants Paradis" et "Tous Les Gamins Du Monde" ; nous reviendrons dessus un peu plus bas.
Après l’incident des extraits dévoilés de L’Oiseau Liberté sur Amazon, Saez un peu vénère nous sort alors un "Peuple Manifestant" percutant, parfois dur mais criant de vérité. Encore une petite claque sur nos joues surprises… une grosse claque en fait. La révolte est puissante.
Sort alors L’Oiseau Liberté le 9 décembre, accompagné de son Prélude Acte II.
----------------
Il nous faudra clairement attendre un peu plus longtemps pour avoir du rock puisque, même si l’on s’y attendait un peu, L’Oiseau Liberté c’est sept titres calmes qui reflètent bien l’orientation musicale qu’a choisie de prendre l’artiste particulièrement depuis 2008 ; une voie de poésie rentrant dans les rangs de la plus belle des chansons françaises.
Tout le monde se souvient des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, tout le monde se souvient de l’horreur qui a été commise aux terrasses des cafés, et puis au Bataclan…C’est à partir de ces tragiques événements que Saez enregistrera L’Oiseau Liberté, qui fera résonner dans ses textes les thématiques de la liberté, la fraternité, la culture, le combat, la lutte, l’espoir ; parce que ouais, on est en France, et que la France bah elle a quand même bien de la gueule !
Le piano, instrument de musique cher à Saez – puisque le bonhomme l’a étudié en conservatoire dans sa jeunesse – revient de plus belle. On avait déjà été assez étonné avec Messine, lorsque Damien commençait le premier couplet de "Aux Encres Des Amours", pour une fin surprenante ; ou encore avec "Châtillon-Sur-Seine" avec Nelly et Bruno. On avait halluciné parce qu’avant Messine Saez était discret avec cet instrument sur ses disques. Hormis quelques titres comme "Thème II", "Saint-Petersbourg", "Usé", "Marta", "Les Bars Du Port" ou encore "Is It Ok?" qui étaient joués (en partie pour certains) au piano en version studio, on n’avait pas vraiment l’habitude d’entendre beaucoup de cet instrument donc sur les albums de Saez. Lorsque le triptyque Messina est sorti quelle a été la surprise d’entendre des accords pondus aux touches noires et blanches sur plusieurs morceaux !
Sur sept titres, L’Oiseau Liberté en comporte trois joués au piano du début à la fin. Le poète nous emporte dans ses tristes mélodies avec "Mon Pays Je T’écris". Mélancolie, constats sombres, on y parle de Voltaire, de Rimbaud, bien sûr des victimes des attentats du 13 novembre 2015 et d’assassinat de la culture ("ils sont morts fusillés oui d’avoir été libres, d’avoir été de ceux qui n’ont pas lu qu’un livre"). Ce morceau trouvera son écho plus loin dans l’album avec "Les Enfants Paradis", hommage poignant envers ceux qui un soir de novembre étaient là devant les aigles à écouter "Kiss The Devil" avant qu’une marée de balles ne vienne brûler leur peau. Chanson émouvante dans laquelle Saez fait revivre les ombres de Barbara, de Brel, Molière, Voltaire, et les champs de bataille de Valmy…En continuant sur les touches noires et blanches, "L’Humaniste" nous démontre en quatre minutes que Damien Saez est un artiste talentueux, un des seuls à écrire et composer une chanson française avec toute l’alchimie qui va avec. On se souviendra de ces vers:
"Je resterai de ceux qui luttent toujours pour cet humain qui croit,
Qu’il vaut mieux tendre l’autre joue, qu’il vaut mieux s’offrir bras ouverts,
A celui qui vous met en joue pour vous faire fermer vos paupières,
Qu’il vaut mieux donner son amour oui je crois que de faire des prières."
L’écriture de Saez sur L’Oiseau Liberté nous donne l’impression que c’est le dernier artiste à qui la culture de son pays importe. On le constate facilement en se laissant porter par les triolets de guitare de "L’Oiseau Liberté" et sa grosse caisse discrète, lorsque, parmi tant d’autres vers apparaissent "Nous sommes fils des Ardennes, nous sommes fils de Provence, et jusqu’aux Aquitaines oui nous sommes la France, nous sommes pays du libre, pays des tolérances" et "Et même s’il s’envole tué par l’infamie, renaîtra de ses cendres mon oiseau infini". On trouve du beau dans la tristesse et c’est pareil avec "Le Dernier Disque", le dernier titre de l’album dans lequel on trouve un Saez un peu résigné ("Si vont nos littératures je crois vers l’enterrement, si je crois les poètes ne sont plus de ce temps, si je suis le dernier alors dis à quoi bon, si sur la terre des hommes il n’est plus d’horizon ?" ) mais qui portera le fardeau un peu plus longtemps ("Si j’ai trop combattu, si je passe la main, sûr à la résistance que fera-t-on gamin ?"). D’ailleurs ce titre n’est pas sans nous rappeler les chansons de Varsovie, avec guitare sèche et voix résonnante.
Il y a aussi un thème qui ressort pas mal du disque : l’union. On sent en écoutant ce disque qu’il faut être ensemble face à la haine, qu’il faut se serrer les coudes, se faire confiance les uns en les autres. Avec "Tous Les Gamins Du Monde", partant d’un hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo début janvier 2015, Saez nous rappelle bien que "Nous sommes tous les enfants du même pays", et c’est ensuite que plusieurs pistes de voix viennent lentement se rajouter à la voix principale. C’est grâce à cet exercice que la notion de fraternité, de groupe, d’harmonie, d’unité que le morceau devient véritablement puissant, avec une simple guitare et des balais sur la caisse claire.
Et nous retrouvons la même chose sur "Les Enfants Lune", titre dans lequel Damien Saez se met à la place de Pierrot le rêveur lunatique qui avait paumé sa Colombine à l’époque où elle s’était barrée avec Arlequin. Aujourd’hui Pierrot est plus âgé, il a traversé la vie et instaure un message de paix. Saez utilise le pronom "nous" pour mieux instaurer cette notion d’union collective, avec ses voix derrière.
"Nous posons nos bouquets à ce pays de croix
Nous cherchons un abri pour Colombine et moi
Avec nos gueules peintes en blanc au vent du désespoir
Pour toujours poing levé, le drapeau rouge et noir
Et si tombent les roses sur les champs de bataille
Si marchent sur les fleurs les peuples de mitraille
Eternel est l’espoir à ton sourire gamin
Pour mener le combat et l’amour en chemin"
Avec L’Oiseau Liberté est proposé le Prélude Acte II, trois titres qui nous font passer à quelque chose de différent, de plus rock et qui nous aèrent un peu après L’Oiseau Liberté. "C’est La Guerre", le premier titre, en guitare-voix, s’ouvre à une plus grande perspective. L’argent, l’or noir, le peuple mouton et la société de consommation, thèmes chers à Saez qui sont regroupés dans ce titre, plutôt calme mais avec un vent de révolte dans la voix.
Pour le coup "Mon terroriste" est une petite pépite ; le terroriste visé étant le président de la république, le gouvernement et j’en passe. L’écriture y est intéressante puisque Saez se sert de ceux que l’on pointe du doigt dans les médias, pour en fait en conclure que le vrai terroriste est le "roi d’la France". Sur mélodie entraînante l'artiste enchaine les coups de poing.
"Oh non mon ami tu peux croire qu’il a jamais vu d’parloir, mon terroriste
Il bosse plutôt dans les médias, roi de la propagadencia, le terroriste
Il taille des pipes à la finance, j’crois qu’il est plutôt roi d’la France, le terroriste"
On réécoutera ce titre pour sûr.
Le dernier morceau, "Je Suis", nous transporte dans les rues parisiennes, vitrines infinies pour l’inspiration artistique. Sur fond d’accordéon, sur une musique pop-rock, Damien Saez s’identifie à ces traits de la vie, de sa vie, de la Vie. On attend la suite.
---------------
Ce que l’on retient de L’Oiseau Liberté c’est qu’il y a beaucoup de travail derrière. C’est un album comme on n’en voit plus en France, avec des textes travaillés, de la poésie, sur des thèmes chers à Damien Saez, pour donner une lumière de plus à ce monde. En parlant de lumière on note de l’espoir dans cet album, plus que dans les autres. Après tout cela est logique, lorsque tout va très mal, lorsque l’on voit ses valeurs se faire assassiner l’espoir est la seule chose à laquelle se rattacher.
On notera également un travail dans la voix. On avait pu penser lors de la sortie de Messina que la v
oix de Saez devenait plus sèche encore, à certains endroits pas toujours très juste ; ici avec L’Oiseau Liberté on sent qu’il a travaillé pour faire un bel album, qu’il a peaufiné chaque détail de chaque chanson.
Le bémol de l’album est sa redondance au premier abord. En effet les sept titres ont des thèmes (certes plus ou moins) communs, on retrouve aussi parfois les mêmes expressions, les mêmes mots, ce qui peut être un peu lourd à digérer.
On voit bien que c’est un album qui tient à cœur à Saez, et qu’il l'a sûrement fait passer en priorité devant des projets déjà entamés. Là est tout le talent de cet artiste qui privilégie la beauté, et qui pose ses pierres à l’édifice petit à petit, auquel le temps n’échappe jamais.
Pour ce qui est du Prélude Acte II, c’est une belle mise en bouche à laquelle nous avons droit là, la suite nous en dira plus.
Loann meignant
Source : www.lagrosseradio.com