Trois ans se sont écoulés depuis la dernière apparition sur scène de Damien Saez pendant l’été 2013. Trois années de silence, pendant lesquelles l’artiste n’a donné aucun signe de vie, musical ou médiatique. Durant sa dernière tournée déjà, Saez apparaissait marqué physiquement : un certain laisser-aller capillaire ainsi qu’une prise de poids. Alors beaucoup l’ont cru fini, pensant que sa tendance à l’alcool et sa dépendance à la mélancolie avaient eu raison de lui, et que Damien Saez ne reprendrait plus sa carrière, entamée il y a maintenant seize ans.
Début à contre-courant
Seize ans. Il y a seize ans, Damien Saez était « Jeune et Con ». LA chanson de référence pour les non-initiés à la musique saezienne. Une voix originale, une gueule d’ange, un peu de distorsion à la guitare, et le tour était joué : il vendait son premier album, Jours Etranges à plus de 240 000 exemplaires. Le chanteur, alors âgé de 22 ans, est ainsi nommé dans la catégorie des révélations de l’année aux Victoires de la musique 2001. France 2 l’invite à se produire sur le plateau de la cérémonie. Damien Saez entre en scène, bonnet sur la tête et texte à la main. Il propose une reprise de la chanson Thank you de Dido, puis enchaîne sur Solution un titre à lui : « Trop de sang sur le mur, trop de mur entre les pays, trop de pays dans l’union, trop d’union monétaire. […] trop de business dans les shows, trop de merde à la télévision. » Damien quitte la scène laissant derrière lui un public béat et un Jean-Luc Delarue peinant à trouver ses mots. La production a certainement dû beaucoup regretter après.
Entre révolte et poésie
Damien Saez venait de faire son premier coup d’éclat. Le public français venait de découvrir cet artiste original, détesté par les uns et adulé par les autres, mais qui ne laisse certainement pas indifférent. A l’heure où l’industrie musicale nous sert la même soupe réchauffée à chaque saison, Saez a donc décidé d’emprunter un chemin à contre-courant. Pas de médias, une promotion sommaire pour ses albums et ses tournées, plus de maisons de disques à partir de 2005 ; Damien Saez, c’est l’artiste indépendant et révolté, puisant son inspiration dans la chanson engagée de Ferré ou de Noir Désir. Les actes d’activisme musical se multiplieront durant les seize années de carrière de l’artiste : En 2002, Saez enregistre en une soirée la chanson Fils de France pour s’opposer à la présence du Front National au deuxième tour des présidentielles. En 2009, il récidive aux Victoires de la musiques en accaparant la scène de France 2 pendant 9 minutes pour y interpréter un texte à tendance explicitement anticapitaliste. En 2010, l’affiche de promotion de son album J’accuse, représentant une femme nue dans un caddie est censurée des couloirs du métro par l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité). Damien Saez réagit « Cette photo choque, car elle reflète une idée que les gens refusent de regarder en face : la société d’aujourd’hui veut que l’individu, et particulièrement la femme, soit réduit à un bout de viande dans un Caddie. » En 2013, lors de sa dernière tournée, il règle ses comptes en live aux Francofolies avec le ministère de la Culture, lors d’une diatribe musicale bien pensée : « Ministère de la culture, ministère du vent, ministère des merdes, ministère des télés ouais. »
Damien Saez, c’est aussi des textes et des choix musicaux à contre-courant. Quand la plupart des artistes de sa génération multiplient les textes insipides, le chanteur affectionne les écrits réfléchis et travaillés. Damien Saez c’est l’artiste-poète, puisant son inspiration dans les titres mélancoliques de Brel ou de Barbara mais aussi dans la poésie française du XIXème. Damien Saez démontre tout son talent dans des titres comme S’en Aller (2008) ou A nos amours (2012). Des textes poétiques, où le chanteur est souvent seul, sa guitare à la main ou derrière son piano, et entonne une chanson mélancolique. Par exemple, les trente chansons de l’album God Bless sorti en 2002 ont été composées par Saez en deux semaines, suite à une rupture douloureuse, ravivant ainsi le cliché de l’artiste heureux d’être triste, qui écrit mieux dans ces moments-là.
Retour à contre-culture
Trois ans donc, que nous demeurions sans nouvelle du chanteur. Jusqu’à cette journée du 11 juin où l’artiste fit le choix des réseaux sociaux pour annoncer son retour imminent, prévu cinq jours plus tard. Le Saez Juin deux mille Saez, Damien dévoile, à la suite de quelques messages mystérieux postés sur son compte personnel, son nouveau projet. L’artiste laisse le lien d’un site : www.culturecontreculture.fr. « A l’heure des guerres des champs d’horreur, faire de la terre des champs de fleurs… » Voilà, Saez est de retour. Sur ce site, une vidéo. Elle s’ouvre sur le film d’une plage, où poussent des fleurs. A mesure que la musique démarre, un texte apparaît, expliquant le projet lancé par l’artiste. Tout semble prendre une autre dimension. Damien Saez souhaite s’aventurer dans un art total, qui cumulera poésie, musique, photographie, cinématographie, représentation scénique… « Le Nouvel Art n’est pas un Art, il est l’Art des Arts ». Il propose une aventure collective s’intitulant Le Manifeste. La description du projet se fait dans une atmosphère flottante, presque mystique, où le mystère sur le support du projet se lève peu à peu : « De chants révolutionnaires en tendresses magnifiques, de monologues en danses de cygnes, de sonates en requiems, de scènes de films en scènes de concert, chaque concert, un nouvel acte du Manifeste. » S’en suit ce qui est certainement le premier acte du Manifeste : un court-métrage de quelques minutes où un mime au style de Chaplin, interprété par Damien Saez, plante et arrose des fleurs sur un bord de mer. En fond sonore, une musique envoutante. Sur la vidéo, se succède des phrases, racontant une histoire. Cette atmosphère onirique se conclut par un magnifique texte de Saez, pour lequel les puristes ont certainement versé leur petite larme. « Ici culture contre-culture, ici tendresse contre torture, ici c’est pas l’Art aux ordures, ici les mots contre des murs ».
Après trois ans de repli sur soi, Damien Saez revient à contre-culture, comme il a l’habitude de le faire. Cependant, son œuvre prend ici une dimension nouvelle. Saez portera peut-être le masque d’artiste visionnaire, d’artiste total, si son projet se concrétise comme il l’a souhaité. Le 31 juillet 2016 débutera l’ère du Manifeste, et certainement l’artiste nous révèlera tous les projets à venir, tous les actes du dit Manifeste. A suivre de très près pour tous les amateurs de culture, ou plutôt, de contre-culture.
Thibault Boyer
Source : radio-londres.fr