Interview fictive
Qu’on le veuille ou non, qu’on l’accepte ou pas, Damien Saez est aujourd’hui l’une des plus flamboyantes incarnations du rock en France. Nous voulions en parler avec lui mais il a décliné l’invitation. Comment dans ce cas aborder tous ces points d’interrogation que soulèvent sa carrière, depuis ses débuts discographiques en 1999 jusqu’à la sortie récente de son album « J’accuse » ? Qu’à cela ne tienne, SERGE vous propose de découvrir ce qui s’est dit lors de ce dialogue qui n’a jamais eu lieu. Inversion fantasmée des rôles au plus près de la vérité, imagination romancée sans autorisation, c’est Damien Saez qui s’interroge et SERGE qui lui répond.
Saez : Bonjour, je m’appelle Damien Saez.
Serge : Je vous écoute.
Saez : Une question que je n’avais pas prévue jusqu’à présent mais qui s’impose désormais, de quel droit écrivez-vous tout ça à ma place ?
Serge : Ecoutez, quand on devient une personnalité publique, il faut s’attendre à ce genre de choses. On ne s’appartient plus vraiment. On devient l’objet de nombreux fantasmes, de clichés, de quolibets, de sobriquets, de tous les trucs en [é] du dictionnaire et de bien plus encore. Il faut accepter ces nouvelles règles du jeu. Mais revenons-en à vous, que voulez-vous savoir ?
Saez : Comment tout ça a commencé ?
Serge : C’est simple : en se tirant une balle dans le pied à 22 ans en se déclarant dès son premier album « Jeune et con ». Je n’ai pas oublié. Votre maison de disques de l’époque non plus d’ailleurs, Universal s’en frotte encore le tiroir-caisse.
Saez : Vous parlez de Jours étranges en 1999. J’en ai fait d’autres depuis !
Serge : Oui effectivement, vous avez sorti plusieurs albums.
Saez : Non non, je voulais dire que je me suis tiré d’autres balles dans le pied. D’ailleurs, je préfère que l’on utilise une autre expression.
Serge : Comme vous voulez. De toute façon, le résultat reste le même. Rappelez-vous vos apparitions aux Victoires de la musique, en 2001 d’abord, reprenant Dido déguisé en Eminem, et en 2009 ensuite, en chemise de bûcheron et jean déchiré, tel un apprenti Kurt Cobain. Au cours de cette prestation, vous avez extorqué dix minutes de liberté au monde ultracalibré de la télé pour gueuler après les pollueurs de chez Total, les riches trop riches et les pauvres trop pauvres… Un vrai Guevara dans la cour de récré. Cette séquence continue d’être vue et commentée tous les jours sur Internet. Et puis il y a aussi cette chanson pondue au cours d’une soirée électorale où la France républicaine a pris une sacrée claque.
Saez : « Fils de France » ?
Serge : Oui, c’était en 2002. A l’époque, vous dépendiez d’un label, qui avait autorisé le téléchargement gratuit du titre sur le Net.
Saez : Des labels, j’en ai vu passer…
Serge : Oui. Il y a d’abord eu Island, à vos débuts, puis Barclay, le temps d’un album en 2004. Vous avez ensuite décidé de créer votre propre structure, 16art.
Saez : Oui, et alors ?
Serge : … Et alors, vous avez mis toutes vos billes dans ce sac –vous avez même déclaré avoir vécu pendant trois ans sans carte bancaire – et vous l’avez jeté comme une bouteille à la mer.
Saez : Mais pourquoi j’aurais fait un truc pareil ?
Serge : Certainement pour devenir le seul maître à bord et ne plus avoir à dépendre de qui que ce soit. Pour garder le contrôle et votre indépendance. Etre libre, libre de chanter de Varsovie à Paris, en passant par l’Alhambra, si vous en aviez envie.
Saez : Justement, publier ce triple album, Varsovie – L’Alhambra – Paris , en 2008, alors que le monde de la musique était aux abois, c’était logique ?
Serge : C’était un risque, et vous l’avez pris. Les amours malheureuses autorisent les actes les plus fous. Ça faisait déjà un moment que vous n’aviez pas publié un album. Sur celui-ci, vous chantiez donc les amours tristes en piétinant les plates-bandes du grand Jacques (Brel), vous en appeliez à la jeunesse, pour qu’elle se lève, qu’elle lutte.
Saez : Vous ne pouvez pas nier que ce disque était différent des autres…
Serge : En effet, celui-ci était acoustique. La plupart des titres sont des guitares-voix.
Saez : En gros, je me suis mis à poil…
Serge : En quelque sorte. En tout cas, le public a apprécié votre démarche. Vous avez beaucoup vendu. Une sorte de retour en grâce. Et à propos de mise à nu, je me dois de vous rappeler votre dernier disque en date, J’accuse, sa pochette avec une fille à poil dans un caddie et sa campagne d’affichage censurée.
Saez : Ça m’a d’ailleurs extrêmement froissé. J’ai eu l’impression que l’on bafouait ma liberté d’expression. Je me suis senti obligé de réagir et d’apparaitre à ma façon sur quelques plateaux télé et dans les journaux, chose que je refuse habituellement. J’aime contrôler ma communication.
Serge : Votre public a dû prendre ça comme une preuve supplémentaire de votre bravoure. Vous savez, la fameuse théorie du complot. Ne sont bâillonnés que ceux qui ont des choses à dire. Et il vous a suivi, une fois de plus.
Saez : Et l’album a bien marché…
Serge : Autant que le précédent ou presque, vous approchez les 100 000 exemplaires écoulés. Un fait suffisamment rare de nos jours pour être mentionné. Votre public semble prêt à vous suivre partout où vous allez, partout où vous l’emmenez. Et puis cette idée de faire disparaitre les codes-barres de vos pochettes, ça doit lui plaire aussi. Il doit se dire que vous n’êtes pas un produit comme les autres. Que vous n’êtes pas un numéro.
Saez : Vous en dites quoi de ce que je raconte sur ce disque ?
Serge : C’est toujours un peu la même chose. Vous continuez à vous adresser à la jeunesse, à lui demander d’y croire. Vous continuez à prendre des poses, des attitudes. Vous tirez encore et toujours sur cette sempiternelle grosse ficelle pour faire bouger un pantin que vous abhorrez depuis le début, la société de consommation, ses excès et tout le cirque qui l’entoure.
Saez : Je me dis parfois que je tourne en rond…
Serge : Essayez donc de voir les choses de façon différente. Dites-vous que vous devez enfoncer le clou. Que la perfection n’est approchable que par la répétition. Tant que les gens n’auront pas compris, et tant qu’ils seront là à vous écouter, vous n’aurez qu’à continuer. Ça ne peut leur faire que du bien. Regardez pendant les manifestations, vous êtes l’un des mieux placés, toujours en tête de cortège, à jaillir de la sono. C’est que vous avez votre utilité. Vous répondez à une attente. Les gens sont en manque de porte-parole. Ils ont besoin d’entendre quelqu’un s’exprimer à leur place, quelqu’un capable de mettre des mots sur leurs idées. Vous dites tout haut ce que les gens pensent en bas.
Saez : J’ai parfois l’impression de les prendre pour des cons.
Serge : Faute avouée est à moitié pardonnée, je pense surtout que vous croyez en ce que vous chantez et c’est bien le principal. La sincérité. C’est d’ailleurs ce que les jeunes doivent apprécier chez vous. Enfin quelqu’un qui dit vraiment ce qu’il pense. Qui n’a pas peur. Qui chante avec ses tripes, son cœur, quelqu’un qui dénonce. Pour les moins jeunes, tout cela semble bien loin. Eux ont grandi, se sont détachés, ont appris à mélanger le noir et le blanc, à fermer les yeux sur les choses qu’ils ne veulent plus voir ou à accepter celles qu’hier ils n’auraient jamais tolérées. Et puis à chaque époque, son spécialiste. Il y a eu Brassens, Renaud, Bérurier Noir, Noir Désir. A chacun ses forces, ses faiblesses. Vous avez su vous installer dans une place laissée vacante, celle de la conscience collective du rock hexagonal, celle du chanteur contestataire.
Saez : A 33 ans, je me demande si j’ai encore ma place chez ces jeunes.
Serge : C’est vrai qu’on peut s’interroger sur la tête que feraient des étudiants en vous voyant débarquer un matin au milieu de leur cour d’école avec vos cheveux longs, votre barbe drue, vos godillots, à demander à la ronde « mais elle est où la salle de français ? » Ils vous considéreraient sûrement comme l’un des leurs parce que vous continuez à vous comporter, à agir, à réagir et à gueuler comme eux, et puis sûrement qu’ils vous demanderaient de signer des autographes. Mais les jeunes ne sont pas les seuls à acheter vos disques. D’ailleurs les jeunes n’achètent plus de disques.
Saez : C’est grave à votre avis ?
Serge : Oui, c’est triste que les jeunes se désintéressent du support physique.
Saez : Non, je parlais de moi. C’est grave de chanter comme un jeune à 33 ans ?
Serge : Vous savez Damien, la vie nous demande de grandir mais rien ne nous y oblige.
Nicolas « Serge » Preschey