Une blonde nue en escarpins posée dans un chariot de supermarché : la pochette de l’album J’accuse de Damien Saez expose bien son propos de révolte contre la marchandisation du monde.
Peu de chanteurs en France sont autant détestés par leurs pairs et par les médias que Damien Saez, et peu d’artistes s’en fichent autant que Damien Saez. De manière beaucoup plus radicale qu’un Hubert-Félix Thiéfaine il y a trente ans, il a choisi d’être un créateur trônant sur les nuées, très éloigné du sol où rampent les artistes de basse-cour.
Cela attire des inimitiés et permet des libertés : personne dans ce pays ne peut écouter le nouveau Saez sans s’y entendre traiter de con, que ce soit parce qu’on regarde la télévision, qu’on se connecte à internet, qu’on fréquente les hypermarchés le samedi ou qu’on ne manifeste pas contre les délocalisations.
Mais J’accuse porte bien son titre : à la manière des litanies vengeresses de Léo Ferré, des décharges d’adrénaline rouge de la jeunesse de Gilles Servat, des contes contestataires de François Béranger, Saez s’en prend à son époque, à ses concitoyens, aux maîtres du pays, aux oppositionnels qui se repaissent du même gâteau que les gouvernants.
De la médiocrité en MP3 au sport en salle, de la faillite du féminisme ("Y a une époque les filles avaient le poing levé/Aujourd’hui c’est plutôt culotte baissée", trop classe !) au culte des écrans plats, de l’idéologie sécuritaire à l’addiction au portable, il tire dans toutes les directions avec une faconde et des bonheurs d’écriture qui laissent parfois l’auditeur sonné devant l’abondance des formules bien venues.
Mais la verdeur du verbe, la brutalité de l’expression et l’absolu refus de l’autocensure a cet effet parfois surprenant de rapprocher Saez de territoires dont il se croit étranger. Par exemple, dans Marguerite, c’est un Saez bizarrement beauf que l’on entend dire : "C’est pas vraiment un bon coup/Mais c’est dans l’mille à tous les coups".
Il gagne pourtant au jeu du contrepied, puisqu’il clôt son album par Tricycle jaune, mélodie taillée pour tourner longtemps sur les platines et les baladeurs, quelque part entre de vieux titres psyché-folk et des classiques de Crosby, Stills, Nash & Young. S’il en était encore besoin, une confirmation du talent de compositeur et d’interprète de Damien Saez.
Bertrand Dicale
Source : www.rfimusique.com