Musique. L'auteur de Jeune et con aime les défis. Pour preuve son dernier et prolifique (20 titres) enregistrement aussi rebelle que provocateur.
Après Jours étranges, Damien Saez vient de sortir God blesse et Katagena. Un double album aux textes intenses, plein de rage et de romantisme qui fait échos aux attentats du 11 septembre. Rencontre.
Damien Saez est un écorché vif à l'humeur changeante. D'annulation de concerts en dernières minutes en provocation incandescente - ce qui lui vaut un clip (Sexe), " interdit " à la télévision -, il bouscule les certitudes. Il agace aussi, voir irrite tous ceux qui trouvent déjà son attitude arrogante. Les mêmes qui ont oublié que si on n'est pas insolent à vingt-quatre ans, on ne le sera jamais. Saez donc, ne laisse personne indifférent. · l'image de son excellent enregistrement, double album pour le prix d'un, comme le voulait le chanteur, originaire de Dijon. Un concept qu'a su parfaitement intégrer sa maison de disques (Mercury/ Universal) qui en fait maintenant un argument de marketing. Composé de vingt titres, l'album de Saez est très ambitieux. Avec d'un côté, un CD, God Blesse, plein de rage, dans lequel il dit son dégoût de la mondialisation, " trop d'impérialisme ", (Solution). De l'autre, un CD plus romantique, Katagena, où s'expriment violons et piano à la Keith Jarret. Un double album qui fait échos aux attentats du 11 septembre. Occasion pour lui de citer Massoud, sans en faire son héros, affirmant sa colère devant ceux qui se veulent les représentants du monde libre. L'auteur de Jeune et con (single du précédent enregistrement, Jours étranges) crache ses émotions naïvement, mais sincèrement. Il le fait avec la conviction d'un ange rock croyant en son étoile, focalisant les tourments d'une Jeunesse France à qui il a longtemps reproché de ne pas brûler pour ses rêves. Le résultat est une esthétique musicale aux mots forts - capitalisme, guerre, mort, sang, sexe - balancés tripes dehors. Comme pour se sentir vivre : corps et âme.
Que voulez-vous dire par God bless America ?
Damien Saez. Cette phrase, qui se situe dans J'veux du nucléaire, va bien avec l'idée de dieu blesse Katagena (titre du deuxième album) qui serait une sorte d'absolue qu'on aimerait atteindre. J'ai souhaité la référence au 11 septembre, parce que j'ai été choqué par les mots qui ont été employés de part et d'autre et très déçu par le point de vue occidental. Face à ce qui représente une horreur, le discours qui suit, fait de notion du bien et du mal, n'est pas intelligent. Je ne peux pas entendre parler de " diable ", adhérer à ce vocabulaire. Cette linguistique est d'un autre temps. Il y a eu aussi le mot croisade. En fait, on parle de guerre de religion et non d'un acte horrible dont il faut trouver le coupable. Ça veut dire qu'on se pose comme étant le leader du monde. Je trouve ça hallucinant.
Dans Solution, vous chantez " trop d'impérialisme, trop de capitalisme, trop de libéralisme sans libération ". C'est un véritable cri de révolte vis-à-vis du système...
Cette chanson est la caricature d'un cri, de manière voulue parce que l'explication, l'analyse plus pertinente, ne m'intéresse pas. Je préfère me tenir à la phrase du début qui évoque l'idée de liberté vendue au profit du commerce. Tout est dit.
Dans un recueil de textes "A ton nom", vous allez plus loin en écrivant : " Je suis souvent déçu par ma jeunesse. Nous ne sommes pas des changeurs de monde. " Comme si vous reprochiez aux jeunes de tout accepter...
En fait, je suis un peu revenu de ces propos. J'ai l'impression qu'entre l'époque de mes dix-sept ans où je ressentais les choses comme cela et ce qui se passe aujourd'hui, je crois que ça a un peu changé. On va commencer à surfer sur une autre vague. Je n'ai pas le souvenir de manifestations sociales, il y a cinq ou dix ans, comme on en voit aujourd'hui. Je pense au combat antimondialiste, aux luttes dans les usines où des mecs résistent. Les gens en ont marre de l'économie reine et des actionnaires rois. L'ère du profit à tous crins, j'ai tendance à penser que ça ne va pas durer. Ça ne m'étonnerait pas qu'on en revienne aux syndicats puissants dans les entreprises. Je verrais bien dans quatre ou cinq ans des syndicats chez Universal.
Qu'entendez-vous par J'veux du nucléaire ?
J'ai écrit la première partie de ce texte quand j'avais dix-sept ans, au moment des essais nucléaires à Mururoa. C'est une dénonciation du nucléaire militaire. · force, il ne faut pas s'étonner que la société devienne violente. Au-delà, les médias qui ne font que parler de la violence ne peuvent-ils pas un jour faire un vrai reportage sur les éducateurs spécialisés de façon à ce qu'on voit le travail positif réalisé auprès des jeunes ? On montre toujours la facette négative : plus on donne de moyens au social, plus le social va bien. Je dis à un moment : " Enfant, on se branle devant les bombardements. " C'est sexe et sang. Dans quel délire est-on ? Aujourd'hui, les médias invitent des actrices porno auxquelles on demande de réagir à l'actualité. Comment veut-on que les mômes ne fassent pas des tournantes dans les cités ? On s'étonne que les vrais repères aient disparu, mais par quoi ont-ils été remplacés ?
Comment vous situez-vous politiquement ?
Il faudrait recréer un vocabulaire. Je ne peux pas dire extrême gauche parce que quand j'entends quelqu'un parler de "travailleur", je ne peux pas m'associer rien qu'à cause du mot. Pour moi, le meilleur système serait celui de partage, peut-être moins extrémiste qu'il a pu être dans le bloc de l'Est. Je me sens à gauche, extrêmement - j'aurais tendance à dire "communiste" dans les textes - en sachant qu'il faudrait changer le mot. Il faut la même idée mais avec le vocabulaire d'aujourd'hui.
Avec Sexe, vous n'avez pas peur de vous mettre à dos les ligues de vertus ?
C'est la version crue et sans jeux de mots de Annie aime les sucettes. La chanson de Gainsbourg chantée par France Gall était la version dandy. Là, c'est la version hard...
Diriez-vous que c'est une chanson pornographique ?
Elle est à l'image de ce qu'est devenue la société. C'est l'une des chansons les plus rock du disque. Elle est importante parce qu'elle parle de l'individu qui fait les chansons d'une autre façon que Saint-Pétersbourg, un titre beaucoup plus romantique. Sexe est son pendant. Pour moi, les deux font partie de l'être humain. On voit des publicités (pub Miko etc.) extrêmement explicites sur le sujet. Je ne fais que retracer ce que je vois, l'ambiance dans laquelle les femmes, réduites à des objets sexuels face à des hommes consommateurs, baignent en permanence. L'image qu'on donne de la femme est dramatique. Nous sommes en totale régression par rapport à l'envie d'exister qu'elle avait dans les années soixante. Tout ça est mort et enterré. C'est affligeant.
Vous vous donnez beaucoup lors de vos concerts. Pourtant, vous dites ne pas aimer la scène. C'est plutôt paradoxal.
On pense toujours qu'être sur scène est quelque chose d'unique. Sauf que je n'ai pas l'impression de recevoir plus d'amour que j'en donne. Le rapport avec le public est très passionnel, violent. La passion, ça crée des dégâts, des lésions au niveau de l'affectif. Quand on veut tout donner sur scène, ça n'est pas toujours facile d'être à la hauteur. C'est un moment de vérité. C'est pour ça que c'est dur. Mais quand ça se passe bien, ça atteint un summum.