De retour sur une vraie scène pour la première fois depuis la sortie de l'album God Blesse, Saez a pris possession de La Cigale à Paris le 1er juillet. En délicatesse avec son ex-tourneur, il avait été contraint d'annuler la date du 10 avril au Printemps de Bourges, tout comme celle prévue le 23 avril à l'Elysée Montmartre… Cette fois-ci les retrouvailles n'ont pas été manquées …
Resté relativement silencieux depuis la sortie de l'album God Blesse en mars 2002, Saez est enfin revenu sur le devant de la scène un an et demi après le concert de l'Elysée Montmartre du 19 décembre 2000, qui avait clôturé la période Jours Etranges. Bref, l'attente aura été longue et la seule perspective de revoir le petit prince du rock face à son public avait de quoi en allécher quelques-uns, surtout lorsqu'on sait que la véritable tournée ne sera lancée qu'en octobre. Impatient comme toute la foule amassée devant la salle parisienne, me voilà donc au rendez-vous avec trois quarts d'heure d'avance, puisque le chanteur ne prendra place qu'à 20h45. Petit tour au bar et reconnaissance des lieux permettant vite de me rendre compte que la soirée devrait réserver quelques surprises. On se demande bien pourquoi mais la scène a été élargie et semble avoir gratté un bon mètre ou deux sur la fosse. La configuration semble pourtant offrir les conditions habituelles : un micro, des amplis guitare de chaque côté, un ampli basse en retrait, un clavier et une batterie… Pas de déco encombrante non plus, ce qui pourrait vouloir dire que le groupe a misé sur tout cet espace pour son seul confort. En attendant, la salle se remplit à vue d'œil et se retrouve complètement bondée quand les premiers cris de fans annoncent l'arrivée de Saez sur scène.
Entrée en force
Une boucle indus traverse La Cigale, le beat de batterie qui se pose est d'une lourdeur hallucinante, tandis que les guitares qui entre doucement se la jouent de plus en plus agressives. Un nouveau morceau en ouverture, Monster, sur lequel les faibles spots de lumière ne permettent pas de distinguer ce qui se passe réellement. La voix de plus en plus distincte sort enfin de nulle part, pendant que la partie instrumentale s'énerve encore un peu plus. La tension est au plus fort quand la silhouette de Damien Saez, assis en tailleur, se dessine dans l'ombre. Les cris d'hystérie partent de tous les côtés, alors que les vocalises se font toujours plus aériennes. L'entrée en matière promet un début de set bien noisy et les premiers accords de Solution ne font que confirmer la tendance. Le titre se termine en larsen, une nouvelle boucle s'installe et l'on reconnaît l'ambiance night-clubbing de Sexe. En live, le morceau prend une autre dimension, même si la retranscription reste plutôt fidèle à l'original. Pour quelques minutes, la salle se transforme en boîte de nuit, le maître des lieux y va de son petit pas de danse avant de se rouler par terre pour finir allongé. Sur le final emmené par une fatale rythmique de batterie, il se remet en tailleur pour profiter du moment. Les yeux grands ouverts, un sourire en coin, il prend son pied en tâtant le pouls du public. Sevré de ce genre de concerts depuis un bout de temps, il a bien l'intention de s'imprégner à fond de toute l'énergie que lui rend La Cigale à laquelle il finit par adresser un : " Bonsoir, ça faisait longtemps, je voulais vous dire que j'étais désolé pour les annulations. " Acclamations, qui le rappellent à son trip d'acteur spectateur : " Vous pouvez éclairer un peu, histoire de les voir ? " Le groupe enchaîne alors sur un entraînant Killy présenté pour l'occasion.
Pas si tranquille
Après ce titre, il fait mine d'être exténué, appelle l'auditoire à un retour au calme et parvient à ses fins avec l'aide de J'veux qu'on baise sur ma tombe. Trois chaises sont alors installées sur scène à l'intention des guitaristes, Saez et Franck Phan en occupent chacun une avant d'attaquer Jungle, un nouveau titre inédit qui se prolonge sans discontinuer sur Light the way. La Cigale tremble de bonheur, les applaudissements n'en finissent plus et c'est le moment choisi pour jouer Perfect World, certainement l'un des morceaux phare du dernier album. Les voix du chanteur et d'Antoine Rogge se répondent sur fond de guitares tranquilles et mélodieuses. Le set s'excite alors clairement pour voir débouler Sauver cette Etoile, une séance de pogo s'impose, les bras se tendent, les paroles sont reprises en chœur et les premiers rangs, majoritairement féminins, se retrouvent littéralement compressés contre l'avant scène. Le rythme redescend ensuite avec la douceur mélancolique de Jours Etranges où les traditionnels briquets sont de sortie. La première partie du concert se termine dans une véritable apothéose avec un medley débutant sur Massoud pour aboutir sur Voici la Mort dans un nuage de saturations. L'instru devient apocalyptique, le ton criard de Saez resurgit à plein volume, la batterie déroule, les guitares deviennent hypnotiques. Le son crade est de retour et l'on assiste certainement là au plus grand moment musical de ce concert avant que toute l'équipe ne regagne les backstages.
Le tarif classique
L'heure du rappel n'a pas sonné que déjà les roadies s'affairent à dégager l'accès au centre de la scène. La surprise est pour maintenant, un piano à queue prend place là où trônait l'ampli de Frank Phan. Saez s'extirpe des coulisses, cigarette à la main. Deux, trois notes pour s'assurer du son et voilà le thème de Les Hommes qui se met à résonner dans toute la salle, tandis que la voix prend des allures breliennes. Menacés mais libres poursuit dans la même direction. Les cris laissent définitivement place à une écoute aussi religieuse, qu'intense. Les applaudissements qui n'arrivent que 3 ou 4 secondes après la fin des morceaux, laissent planer un instant, un silence de cathédrale. Une fois cet interlude classique terminé, le chanteur part sur un speech concernant l'histoire du titre qui va suivre, alors que le piano débarrasse le plancher. Antoine Rogge le rejoint alors pour un duo voix/guitare acoustique. Après un retour en backstages, tous les musiciens reprennent ensuite leur place pour Fils de France. Comme sur Sauver cette Etoile, le public est survolté. Eux, contrairement à d'autres, n'ont pas oublié et ils concluent le morceau avec un " La jeunesse emmerde le Front National. " Pause, re-tchatche avant de partir sur A Ton Nom, la fin voit alors les paroles " God Blesse, Blesse, America, Inh'Allah " reprises en chœur. Sur scène, seul le batteur continue à jouer, alors que les autres ont déjà tous déserté. La Cigale continue pourtant d'embrayer sur le même gimmick. Saez revient pour s'assurer de ce qu'il est en train d'entendre. Les autres musiciens arrivent derrière, la batterie s'arrête aussi et ils se retrouvent spectateurs d'un public qui s'occupe de mettre la touche finale aux deux heures de live écoulées. Après une dernière révérence, ils quittent la scène, la bronca de l'assistance réussira à faire trembler le pied de micro esseulé, mais ne parviendra pas à les faire revenir. Rideau. Il est 23h et Saez vient d'assurer le principal. On aura rarement vu une telle complicité et une telle communion entre un artiste et son public. Un concert sert finalement à ça et c'est à l'aune d'une telle prestation que l'on se rend compte que ce rapport d'échange et de partage est de moins en moins courant. Il reste maintenant à voir ce qu'il en sera le 12 novembre au Zénith de Paris, dans une salle de plus grande contenance, un lieu rarement propice aux démonstrations intimistes.