Avec God Blesse, double album ambitieux aux faces radicalement opposées, Damien Saez tente de faire tomber l'étiquette " jeune et con " sans valeurs qui lui colle à la peau depuis Jours Etranges, son premier disque. Mise au point
On habitait dans une cité de Dijon. Je suis rentré un midi, et j'ai demandé à mes parents, comme ça, ce qu'il fallait faire pour jouer du piano… Ils m'ont répondu qu'il fallait demander, et trois jours après, le piano était là quand je suis revenu. Mes parents n'avaient vraiment pas beaucoup de thunes, mais pour eux, c'était normal d'assurer ça. Ils avaient une notion de l'éducation un peu classique, qui les poussait à penser que la musique et le dessin étaient mis de côté à l'école… Je suis rentré au Conservatoire à 9 ans, puis j'ai continué… La musique est pas mal venue de mon entourage, de mes parents d’abord, qui écoutent aussi bien les Suites de violoncelle de Bach que Bartok, Coltrane ou Herbie Hancock en passant pas Pierre Henry et les Stones… A cause de ça, de mes goûts plutôt chanson - Barbara, Brassens et Brel - et de ma formation classique, j'ai découvert la musique que mes copains écoutaient avec trois ans de retard (sourire)… Je ne captais pas le truc, Nirvana par exemple, et je suis rentré dedans bien plus tard. Je me suis ensuite tourné vers la guitare, et j'ai commencé à écrire mes premières chansons à l'age de 16 ans.
Puis ton premier disque, et maintenant ton deuxième, qui est, chose rare, un double album. Quand l'idée est-elle née ?
Il y a un an et demi environ. J'avais envie de parties classiques, que je ne voyais pas durer trois minutes… J'avais les points de référence de l'album en tête, notamment Voici la mort. Les deux thèmes durent 13 minutes, Voici la mort en fait 14. Déjà, c'était trop long pour un simple disque, j'avais trop de choses qu'il était hors de question d'enlever, Light the way, Perfect World ou A ton nom… C'était logique pour moi, mais difficile à faire comprendre, mis à part à mon directeur artistique. Il a ensuite fallu que je me batte pour que le disque soit vendu au prix d'un simple… J'ai été au bout de mon idée, j'ai conscience que ça va en énerver certains (sourire)… Ca ne m'étonnerait pas que plein de gens descendent le disque par principe, parce que c'est " trop ", ou qu'une grande mégalomanie en ressort… J'ai tendance à penser que la mégalomanie n'est pas qu'une tare, cela dépend de sa fin. Si elle ne concerne que soi, je ne vois pas le problème… Graver sur bande puis vendre quelque chose qui sort de toi, c'est de toute façon forcément mégalo… Qu'est-ce qui t'a fait croire que toi, tu méritais mieux qu'un autre de livrer quelque chose ? Le narcissisme, ce n'est pas seulement le fait de se regarder dans la glace… Le narcissique est celui qui se suffit à lui-même et n'a pas besoin du regard des autres, à l'inverse du cliché, en fait…
Certains sont plus dérangés par le contraste entre ce que tu chantes et la publicité qui en est faite…
Dès le départ, je me suis fixé et tenu à une ligne de conduite. Il y a des médias que j'aime bien, et des médias que je n'aime pas, pour ce qu'ils sont. Certains font plutôt évoluer les choses, créent des envies ou apportent des points de vue. D'autres n'apportent rien, ils dictent, notamment la télévision qui ne nécessite aucun effort. Je pars du principe que celui qui fait l'effort de lire est beaucoup plus intéressé par ce qu'il lit que celui qui le voit passer comme on voit passer tout le reste, tout et n'importe quoi. Sur mon premier album, par exemple, on a sorti un single. Je n'ai pas de problème avec ça, du moment que je peux rajouter 3 ou 4 inédits. Les gens n'ont pas que ça à faire. Donc, avec ce single, et avec la logique d'entreprise suivie partout, par les plus " spé ", soi-disant, y compris, et à partir du moment où tu te retrouves à 40 000 ventes, on te dit : " Bon on va en pub télé ". Statistiquement, avec la pub télé, ça monte à 120 000 à peu près. Si ça suit, on repube le deuxième single, et on monte à 250 000. Voilà… Moi, je ne l'ai pas fait. Et un jour, ça a mis plus de temps, mais je pense que cela a été mieux fait, de façon plus honnête, l'album s'est retrouvé disque d'or. Et on me dit : " Tu sais quoi, Damien ? De tout Universal, tu es le seul à être disque d'or sans pub télé. " Je suis très fier de ça. Et pour God Blesse, il n'y aura pas de pub télé. Il faut juste que les gens sachent que l'album est sorti.
God Blesse, avec ses deux faces opposées, est une sorte de défi à ton auditoire… " Qui m'aime me suive ", d'une certaine façon…
Tout à fait. J'ai toujours eu pour modèle une logique comme celle de Radiohead, qui se renouvelle à chaque fois. Il y a un vrai cheminement, et un vrai caractère éducatif dans ce qu'ils font…
Tu étais présenté à l'époque de ton premier album comme l'emblème d'une génération sans plus aucun rêve ni valeur…
Je crois que God Blesse va changer pas mal de choses, en tout. Je pense que lorsqu'on écoute St Petersbourg, on est plus dans la même catégorie, c'est tout. Les hommes… Et je suis désolé, mais ce ne sont pas des textes pessimistes. La fin de St Petersbourg dit : " Puisque l'âme est la richesse ". C'est quelque chose de très présent chez les Slaves, ne jamais perdre l'espoir… Vu le siècle qu'ils ont eu, ils portent beaucoup de choses sur leurs épaules, mais ils ne baissent pas la tête. Je me reconnais dans cette façon de voir les choses. Mais évidemment, tu peux facilement faire de quelqu'un un cliché, à tous les niveaux. Par exemple, on a pu employer à mon encontre l'adjectif " rimbaldien ". C'est un cliché, ça… En termes de vocabulaire, ça se situe bien plus sur les traces, peut-être, de Baudelaire que de Rimbaud… Je ne sais pas s'ils ont lu Arthur Rimbaud pour dire ça… La seule chose qui nous rapproche, c'est la coupe de cheveux et le fait de faire ça jeune, la fougue. Le cliché est là, ainsi que la récupération…
Justement, que t'a évoqué la lettre de Noir Désir aux Victoires de la musique ?
C'est compliqué, ça regroupe plein de domaines différents… J'ai trouvé dommage qu'ils n'en fassent pas une chanson, en fait. Je pense que là, sur la scène, ta chanson qui commence avec " Camarade PDG ", ça aurait vraiment eu de la gueule… C'est bien que cela soit fait, mais il faut faire attention à ce que cela engendre. Je rentre l'autre soir et je vois les infos de la nuit, et un bandeau qui dit : " Le rock se rebelle. " La récupération commence là, et en fin de compte tout cela m'a gavé. C'est trop nombriliste, on s'en fout. Il y a la Palestine, tu ne peux pas te prendre la tête sur la récupération de ton nom en tant qu'artiste pendant une demi-heure, ce n'est pas possible… C'est en soi que la mondialisation est grave. Si le débat qui se lance tourne autour de nous en tant qu'artistes et nos paradoxes, nos problèmes de conscience par rapport à la multinationale qui vend nos disques, ça commence à me faire chier. Polygram s'appelait auparavant Philips, et c'est tout autant une multinationale. Barclay, c'est pareil, et Noir Désir a resigné son contrat… Il faut accepter le paradoxe ou se barrer… Qu'est-ce qu'on peut faire ? Se passer un coup de fil, tous, Zebda, Noir Désir… pour faire une lettre - pas à la télé - à ceux qui sont concernés en leur disant : " Non ". Est-ce qu'on le fait ? Eh bien non. Mais je ne vis pas bien cette situation…
La suite ?
L'éditeur Actes Sud m'a proposé de me mettre sur un roman. Cela m'intéresse beaucoup, c'est un vrai apprentissage que j'ai à faire, une vraie recherche, une aventure que j'ai envie de tenter. Le disque est fait, voilà… Je vais monter un label, aussi, il y a plein de choses à faire. Avec un micro et une guitare, tu fais un album. J'ai mis trois jours à enregistrer la seconde face du disque… Ce sont des projets qui me tiennent à cœur, ainsi que celui d'aller voir le monde, voire la planète et relativiser. J'en ai envie, et besoin.
Des conseils musicaux à nos lecteurs ?
Grandaddy, Led Zeppelin II, du jazz aussi, Thelonious Monk… Et pour ceux qui s'essayent à l'écriture… Brel. Le dernier album de Brel, avec Orly, Les Marquises… " Ces deux-là sont trop maigres pour être malhonnêtes " (sourire et fin).
Pierre Loechner