Jours Étranges, étrange nom. Damien Saez est attiré par l’obscur tout comme Howard Philipps Lovecraft. D’ailleurs, le titre de ce premier album est tiré - volontairement ou involontairement - d’une des psychotiques nouvelles du new-yorkais. En cette fin de millénaire rabanesque, les thèmes de l’apocalypse, du Diable et de Dieu, de la mort, de la peur et de la folie sont très présents (Comme un soleil de fin de siècle/… Viens, allons ensemble/ C’est un joli soir pour mourir/ Et si ta main tremble/ Dis-toi qu’il faut juste partir/ On ira voir au clair de lune voir si le Diable veut danser/… Puisqu’ici les Dieux nous condamnent/ Au nom de qui ? Au nom de quoi ?/ Moi j’irai tuer mon père/ Non je ne suis pas un ange/… « Jours Étranges »). L’écriture automatique soumise à une atmosphère tantôt désabusée tantôt révoltée ancre Damien dans une chronique adolescente de nos sociétés occidentales. Adolescence il y a car c’est à 17 ans que nombres de plages ont été écrites et composées (« Jours Étranges », « Jeune et Con », « J’Veux m’En Aller », « Amandine II », « Petit Prince »). Déjà, le caractère mégalomane du Dijonnais mêle rages, utopies et désillusions. Ce premier album peut-être considéré comme le réglage maladroit du génialissime God Blesse/Katagena. L’enfant/adolescent est nombriliste, ne voit le monde qu’au travers de ses yeux sans y intégrer sa propre personne. Il inspecte l’univers gravitant autour de lui. L’album éclaire l’adulte sur l’état d’esprit de son benjamin. Jours Étranges est ce melting-pot poético-réaliste, entre Jeff Buckley (dont il reprend l’orthographe du magnifique « Hallelujah ») et la référence du rock français : Noir Désir.

« Jeune et con », conte désabusé d’une jeunesse sans rêve, sans idéaux n’est autre que la référence de Saez, le titre par lequel on le reconnaît. Écrit à la sortie d’une boite de nuit quelconque, Damien réveille son sentiment d’inutilité, d’immobilisme face la vie sociétale. Perdu, il cherche un ailleurs plus beau, un ailleurs plus joyeux où la monotonie et la domination n’existeraient pas. Vaine illusion qu’est « J’Veux m’En Aller » (Encore une nouvelle rentrée/ Encore peupler ce putain de lycée/… Encore apprendre, mais y’a rien à comprendre/… J’veux m’en aller/ Je veux pas crever/ Dans cette inhumanité/…). Au contraire de la plupart des adultes tendant à créer ses petits bonheurs, l’adolescent recherche le confort douillet et préfabriqué. Le fait est qu’on ne le trouve pas, l’enfant a tendance à se plonger dans différents paradis artificiels. « Amandine II » en est la parfaite illustration (Entre valium et ecstasy/ Mais dis-moi qui va me sauver/ Depuis que j’ai perdu Amandine/ Moi je sais même plus où aller/ Faudrait que je calme un peu les bars/ Faudrait que je speed un peu moins aux novocaïnes/… ). Malgré tout, Saez ne manque pas d’humour cynique : « Rock’n’Roll Star » ou le pamphlet d’un show-business hallucinatoire reste une réalité ridicule de la célébrité (J’ai pas changé tu vois/ À quelques millions de disques près/ Je fais toujours dans l’humilité/… J’ai des masseuses pour chaque couille/… Je bouffe du Mac Do au champagne/… Je mets des lunettes de soleil dans les boites de nuit/…). Il reste à signaler l’unique reprise de l’album, « My Funny Valentine » du compositeur jazz Chet Baker.

Jours Éranges, polaroïd d’une jeunesse noire, sans espoir, incomprise, se veut être le reflet de l’état d’esprit d’une frange non-négligeable de notre société contemporaine. Lourd de sens mais d’une grande difficulté d’écoute pour l’adulte non averti, cet album reste de ces œuvres plaintives que l’on chérit ou déteste. L’imperméabilité face aux râles de Thom Yorke s’amplifiera d’autant plus avec Damien Saez. Sa voix rarement juste n’y changera rien.

Posthuman666

Source : www.destination-rock.com