Dis Damien… Il est de quelle couleur ton disque ? Il est bleu mon disque. Bleu. C’est dur d’y mettre plus de mots. Bleu comme le froid. Bleu comme la transe. La transe de Debbie. La transe qui revient, ailleurs, et qui teinte de rouge les textes à chaque fois que le rythme s’emballe. Il est clairement rock ce disque. Très rock. Pourtant chaque chanson aurait collé en guitare-voix. Vraiment. Chaque titre est une chanson. Mais non. Ici, pas de guitare-voix. Hors de question de mettre une ballade au milieu d’un disque rock. Une ballade qui arriverait là comme ça comme pour dire « sortez vos briquets ». Alors il reste bleu, ce disque. Un rock bleu. Et puis, juste devant cet horizon azur, il y a l’Ovni. Debbie. Celle qui ne ressemble pas au reste. La figure de proue. La petite tâche dans laquelle l’ensemble n’aurait pas autant de saveur. Debbie. Debbie, c’est pas bleu, c’est rouge. Voix et musique. Rouge.
La couleur n’a rien à voir avec God Blesse. L’instinct est toujours là, à l’intérieur, mais il est travaillé et retravaillé. Damien montre sa poitrine : tout sort de là. Mais, avant, les mots sortaient tout seuls, brutes, purs et impurs. Aujourd’hui, entre l’impression dans la poitrine et la main qui tient la plume, il y a autre chose. Il y a toujours la goutte de sang mais elle est diluée dans l’encre. L’encre des mots écrits et réécrits jusqu’à toucher juste. Les sons s’associent, s’emmêlent et se cognent pour faire naître l’image. Les jeux de mots sont partout, sans jamais être de trop. Il y a ceux qui jouent pour montrer qu’ils savent jouer. Ici, le sens n’est jamais loin, il est à découvrir, en se perdant dans la texture des phrases. « Dans la boîte d’ennui, c’est la soif qui a faim ». Entendre et réentendre les mots jusqu’à voir apparaître l’ombre de leur sens. Les lumières se déclinent tout en nuances et soudain, sous une apparente incohérence, la photo prend vie.
Les phrases sont presque toutes déconstruites. « Du céleste s’éteint, ma bouche. Aller vers toi. » D’un seul coup, le « céleste » devient un petit objet que l’on peut attraper. Loin de l’infini, il est dans le mouvement, l’infini. Dans ce mouvement qui se détache de tout le reste. Aller vers toi. En lisant et relisant les textes de Dijon. Il a fallu travailler les virgules, les pauses et les liens. Chaque signe de ponctuation à son importance. Il faut prendre le livret dans les mains et voir le dessin des phrases. Sinon, on finit par se laisser aller dans le flot de la musique en oubliant que les mots qui s’enchaînent ne sont pas forcément liés. Il faut se plonger dans cet univers où les sens sont déréglés. Où les mouvements d’ensemble sont donnés par des verbes nouveaux, gorgés d’exaltation sans limite. « Transe ». « Hallucine ».
Les textes sont tous des mises en scène. Les personnages sont presque palpables. Tous nés de rencontres. Ils ont une existence. Dans la vie et dans le texte aussi. Avant, il y avait « Toi mon frère ». Maintenant, le frère symbole d’une génération est loin, envolé. Cette fois, il a un nom. Debbie, Marie, Marilyn, Martha. Toi, toi, toi et toi. Plus les textes défilent et plus ce rapport à l’autre apparaît comme omniprésent. Pas une seule des chansons n’oublie le « tu ». Et chacun a son histoire. Debbie, ce sont ces filles qui dansent dans les bars la nuit. Ces filles qui prennent toutes des prénoms américains. Pour faire mieux. Cindy, Barbara, Debbie. C’est comme Marilyn. C’est soit « la » Marilyn, la vraie. Soit c’est « la Marilyn » au bal de son patelin. Et c’est cette ambiguïté qui est touchante aussi. Tout le disque respire cette magie de la rencontre. Les éditions Actes Sud voudraient publier les textes du disque. Damien voudrait expliquer leurs univers, ces « tu ». Les raconter joliment.
C’est l’album le plus romantique. On en revient toujours au poète. Le monde est vu à travers ses sens. En même temps, c’est l’album où le romantisme s’exprime le moins. Oublié le soleil qui se couche entre les bras de Stendhal. Place à Rimbaud et à « la beauté du sale ». Encore les images improbables. Encore les hallucinations évocatrices. Il y a plusieurs niveaux de compréhension. Comme quand Baudelaire parle de l’Albatros en disant « Exilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l’empêchent de marcher ». Soit on peut comprendre qu’il parle d’un oiseau… Soit on comprend qu’il parle du poète, qu’il parle de la foule qui en veut au poète. Le romantisme naît de la rencontre avec les personnages. Avec les autres. Et avec les autres, dans cette euphorique danse d’ombres familières, on en revient toujours au Je.
Les musiques sont venues après les textes. Et très vite, la couleur s’est imposée. Tout le disque est rock. Très rock. A la première écoute, on est frappé par les rythmes. Tous différents d’une chanson à l’autre. Ici, « Les tambours indiens nous montrent les chemins » sur un rythme qui rappelle les incantations du chamane, tout en nuances. Là, les saturations des guitares se superposent, maléfices « au royaume du sombre ». Cassés, irréguliers, les rythmes montent en puissance. D’abord, c’est la guitare qui bat la mesure. La guitare puis la voix. Les percussions n’arrivent qu’après. Pour l’explosion, pour le rêve. « Dis on le refera, dis on le refera. Allez, jure, susurre qu’on le refera… » Les cuivres de Debbie reviennent ici ou là. Le saxo accompagne les hallucinations, les évasions. Et puis le violoncelle, ce violoncelle qui glace le sang dans une atmosphère mystérieuse de chaleur nocturne.
Les crescendo et decrescendo se succèdent. D’abord c’est la nuit, on n’entend que le vent et soudain l’autre éclaire. Le texte colle aux notes dans ces envolées délirantes. Les instruments hurlent et tout s’illumine. La voix change et rechange au gré de ces aléas. « Allez délivre-moi du plaisir qui nous ronge. Allez libère-toi aux violons de nos songes. Allez transe avec moi sans jamais t’arrêter, toute nue sous l’orage je veux te voir pleurer. Hors de moi. » Tout le disque est rythmé pas ces invitations. Les mots fusionnent avec la musique dans une exhortation à l’exaltation des sens. Les lumières et les parfums se mêlent et se dérèglent. Puis la lumière s’estompe. Alors reviennent les ombres. Douceur des guitares à peine frôlées. Soupirs de la voix à peine audible.
Aucun arrangement. Presque pas. L’essentiel est fait quand on sort du studio. Les parties ont été enregistrées comme ça. Sans préjugé. Sans idée préconçue. Cette fois, c’est moins Damien qui écrit, moins Damien qui compose. Avant, les autres n’avaient qu’à suivre. Maintenant, tout le monde apporte ses parties. Il y a même un texte qu’il n’a pas signé. Pour Debbie, l’allusion aux années 1980 est claire. La Mano. Toute une époque. Debbie, c’est la plus rock, la plus punk de l’album. Noir Désir ? Mais non. Pas même le mot « écorché ». « Ecorché », c’est Brelien. Tu sais Noir Dez’, j’ai jamais écouté un seul album. Juste les chansons qui passent en radio. Alors. Et puis sur les deux albums, j’ai plus l’impression d’avoir été copié que d’avoir copié. Et puis là, pour Debbie, on a vraiment voulu tripper. C’est même Pat’ qui a fait la batterie ! Tu as vu ? J’ai réussi à faire quelque chose de pas trop triste pour une fois ! Et comment ! « Allez brûle la vie, la vie comme un éclair, le plaisir de la chair, le désir de plaisir, j’ai la soif de vivre et la fièvre qui monte… Et puis toi qui m’enivre ». Encore l’autre. Encore l’appel à l’exaltation. Encore.
La politique est présente dans une chanson. Une seule. Le reste n’est pas là-dessus. Et même là, même dans celle-là, l’individu garde la part belle. Entre social et humain. Elle parle du poète au sein du système. C’est pas A Ton Nom. Il n’y a pas la même immédiateté. Damien est fier. Je pense que c’est mon plus beau texte. Pour l’instant elle s’appelle : « Dans l’antre de ta main. » Y’a vraiment de très belle phrases. D’ailleurs, il y a un mot inventé qui ne faisait pas l’unanimité auprès de mon entourage. « Sodomination ». Et puis la, d’un coup, avec toutes les images d’Irak. T’aurais pas imaginé que ça aurait cette perspective là. Mais c’est vraiment ça ! Vraiment. Alors on se rappelle les slogans de la tournée God Blesse. De l’anti-Bush, il y en a eu. Il y en a encore. Mais les mots pour le dire ont changé. A la fin de « Tu ignores le vide devant toi », je retrouve la voix qui crie. Celle qui me rappelle Jours Etranges. Mais même le cri a changé. On ne crie plus « y’a plus rien à foutre ici », on soupire « toi tu vois bien, toi tu vois bien ».
On disait Juin. Finalement, ce sera après l’été. Derrière le délai, il y a le souci de ne pas se précipiter. De faire les choses sans stress. La jaquette par exemple. Damien veut se montrer sur la pochette. C’est aussi une façon de suggérer qu’il a mis beaucoup de lui dans ce disque. Un portrait. Mais bien sûr, pas un cliché pour vente de cosmétiques. Non. Les idées ne manquent pas. Quelque chose de noir. Un photographe a fait un truc sur Francis Bacon. Sur certaines photos, tu as l’impression que tout est noir. Au centre il y a le visage mais d’abord on ne le voit pas. Tu imagines une rivière et un corps sous l’eau. Quand tu es au dessus de l’eau, tu ne te rends pas compte qu’il y a des formes au fond. L’œil prend du temps avant de se mettre au diapason du noir. Et c’est hyper beau. Reste à voir si ça fonctionne sur un carré de douze centimètres. A voir. Dans le reste du livret, il n’y aura pas beaucoup de photos. Peut-être une seule.
Tu as vieilli ? Oui. On peut parler de maturité ? Oui. Une maturité de vingt-six ans. Comme si tout ne faisait que commencer. Jours Etranges, c’était vraiment le reflet de ce que j’étais. C’est un album que tous les jeunes de dix-huit ans rêvaient d’écrire. J’en rêvais aussi. Et je l’ai fait. Bien sûr, il y a des chansons que je ne pourrais pas rejouer. « Soleil 2000 » par exemple. C’est clair que je n’écrirais pas ça aujourd’hui. Mais « Jours Etranges », on est un niveau au-dessus. « Comme un soleil de fin de siècle qui se couche entre tes bras ». Et « Jeune et con », « Jeune et con » je ne la joue pas tout le temps. Mais c’est plus vraiment une chanson, c’est devenu un hymne. Quant à l’avenir, l’avenir un peu plus lointain. C’est dur de faire des projections. Dans dix ans. Peut-être plus calme. Peut-être uniquement des piano-voix. Peut-être pas. Et toujours ces projets d’écritures. L’envie d’écrire. Mais c’est le temps qui manque. Il faut se mettre dedans. C’est un travail de fou. Complètement différent. Cette fois, c’est écrire des histoires… c’est écrire une histoire.
« C’est le chant », « Il y a ton sourire », les autres chansons jouées en live à la Cigale ne collaient pas vraiment à la couleur du disque. Non. Ces autres chansons sont gardées pour autre chose. Peut-être un live où elles retrouveraient quelques ombres familières : « Usé », « Saint-Pétersbourg »… Un concert qu’on n’aurait jamais vu. Une vraie mise en scène. Avec une guitare. Un piano peut-être. En fait, il n’y aurait que « A bout de souffle » qui passerait sur cet album. Dès le début, « Définir les possibles pour défier l’impossible », tu es déjà dans le sujet de philo. « Et puisque Lisa chante encore ». Tout est dans le « puisque ». Le mouvement, la rencontre, les sens.
Ce qui est piraté, c’est pas les trucs de merde. Les victimes du piratage, c’est pas Star Academy. Donc si les maisons de disque ne faisaient pas la Star Academy, ils ne feraient plus de chiffre du tout. Là ils ne signent plus. Ils licencient. On peut tourner le truc comme on veut, là ils rendent les contrats. Des tas de gens n’ont plus de contrats. Des tas de gens que tu connais. J’y comprends pas grands chose du système économique… Mais par contre ce que je sais c’est que c’est pas normal, c’est pas gratuit. On peut me dire tout ce qu’on veut : la place de cinéma est à soixante balles. Et quand bien même le disque il est à cent vingt, tu le gardes toute ta vie. La Fnac déjà ils prennent trente balles. Je fais pas l’avocat de la maison de disque. La maison de disque en tant que système je m’en fous. Mon producteur de disque, celui qui met l’argent pour que j’enregistre, il vend le disque à un magasin soixante-dix francs. Le disque il est dans le magasin à cent quarante. Entre l’Etat qui prend 20 % et le magasin, on a quasiment doublé le prix du disque. Mais moi, pour parler bêtement. Moi je vais pas toucher sur les 140, je vais toucher sur les 70. Lui il en touche tellement, qu’il s’y retrouvera. Mais moi… ?
Alors maintenant il va falloir qu’on vende à cinquante balles ? Non ! Non ! Moi je ne suis pas d’accord pour vendre à la Fnac ce qui me coûte un an de travail moins du prix d’une place de ciné ! Non ! En quel honneur ? Sinon on a pas les mêmes disques. D’accord, je le fais chez moi, on fait du guitare-voix et là je veux bien le vendre vingt balles. Là je m’en fous. Je suis mon propre producteur. Je sais ce que les gens disent « ouais avec ce qu’il touche »… Mais regarde. Aujourd’hui tu galères pour vendre cent mille albums. Mais tu touches 10 % par disque donc ça fait 7 francs. Donc on arrive à 700 000 francs. Là-dessus, tu comptes 50 % d’impôts, ça fait 350 000 francs. Tu fais un album tous les deux ans. T’es richissime ? T’es pas richissime. Qui plus est chez le monde un peu alternatif où t’as pas de radio parce qu’ils osent pas jouer tes titres. Donc t’as pas de Sacem. Donc pas de droits d’auteur… Donc il te reste la scène. Moi j’ai pas de problème avec la scène, très bien, mais c’est la langue de bois qui me gave.
Moi je dis juste t’es un pirate, tu me dis « je suis un pirate » ! Tu m’expliques pas que celui que tu voles c’est machin. Dis le ! Mais après, faut pas crier contre la répression. Si tu voles, oui c’est répression ! C’est forcé. Surtout que c’est pas celui qui n’a pas d’argent de poche qui télécharge. Le problème c’est qu’à dix ans maintenant tu pars le cartable plein de CD vierges à l’école. C’est institutionnalisé. Et qu’en plus de ça tu te dis que mon cul va servir à faire vendre des connexions à Wanadoo. Parce que c’est ça qui fait qu’on va sur internet ! Et à faire acheter Macintosh. Ca me gave encore plus. Je suis pas une pute. Au moins la maison de disque je suis pas sa pute. Y’a quand même un contrat, on a un pouvoir dessus. Là c’est l’anarchie sans assumer l’anarchie. C’est pas gratuit internet. Tu les donnes les 100 balles par mois. Et à côté de ça, de qui fait que tu achètes l’abonnement, ça n’a pas de valeur ? Continue comme ça et puis t’écouteras plus de disque. Je le pense sincèrement.
Ceux qui me disent « on baise la multinationale » ça me fait rigoler. La multinationale, y’a personne qui la baise. Ca n’existe pas. Le jour où elle ne gagne plus d’argent, elle vend. Ils en ont rien à branler. La multinationale, quand elle perd de l’argent elle se démerde pour plus en perdre. Donc tu la baises pas. C’est le reste. Eux seront toujours là. Ils feront des basquets ou des slips portatifs ! Un môme paye 7 euros pour une putain de sonnerie pour téléphone portable et trouve ça normal. Et en même temps, il dit que le « prix du disque est trop cher ». T’es dans quel monde ? Un monde de sonneries de téléphone portable ! C’est tout ! La scène alternative, elle est mal. Vraiment mal.
Puis les chansons prennent le relais. Les réponses tombent, phrase après phrase. « Dans les économiques, dans la métaphysique, dans les trop vieux combats je n’en sortirai pas. Au gré des connections, les millions, les questions, dans la meute aux médias, je m’en sortirai pas. » Là, c’est mon point de vue par rapport à un système. C’est la World Company et les questions métaphysiques que tu te poses là-dessus. Les « trop vieux combats » que tu mènes par les mots… les « fausses rebellions »… Et à la fin de la chanson, tu as « Au gré des connections, t’as vu comme on se vend. Par les quatre horizons, t’as vu comme on nous prend. Dans le faux, dans le vrai, dans le brut, dans l’abstrait ». Plus loin, ça fait « Je serai le virus là dans le computer. De la foire au pognon, je serai le cracker. Comme une pourriture qui ne s’arrête pas ». Là tu assumes. Tu dis « je ». Assume-le que tu es un pirate. Ca te dit pas « Je serai le bon Dieu ». Si c’est le mal qui règne, alors moi aussi je serai le mal mais je l’assume. C’est pas parce que la pomme est sur l’étalage et que le vendeur n’est pas là que je peux la prendre.
Et au cœur de cette foire, il y a les ventes, la promo, l’image. Damien sait qu’il ne vendra pas beaucoup. Sûr qu’il sera téléchargé. Grave. Et puis il est rock donc de toute façon, t’as que trois radios qui te soutiennent. Mais ça, ça m’inquiète pas. Un bon disque il amène les gens sur scène et après tu peux continuer à faire ton métier. A en vivre. On va beaucoup tourner là. Essayer d’alterner grandes salles et petites salles, rock et plus épuré. Ca dépend des salles en fait. L’idéal serait de faire l’ensemble, de faire au feeling. Donc il faut bien répéter de façon à être libre. Novembre, décembre et puis enchaîner, enchaîner.
Et la promo, de toute façon, c’est juste la presse. Au maximum faire quelques trucs avec Le Mouv’ ou Ouï FM. On a pas loupé la façon de présenter God Blesse. Ce qui a été raté, c’est la part maison de disque. Je trouve incroyable que ta maison de disque ne se batte pas pour qu’une chanson comme « Saint-Petersbourg » passe sur les ondes. Ils avaient rien compris à qui je suis. Eux sont tellement formatés qu’ils captent pas. Et c’était un passage que j’avais besoin de faire. Payer ma liberté. Pas envie qu’il nous refasse un « Jeune et con » bis. Et pas envie de trop se montrer. Mais y’a quoi à faire ? Aller parler à côté d’une star du cul chez Ardisson ? Royaume des incultes. Et au niveau du choix des singles, je vais toujours là où je pense qu’il est plus pertinent d’aller. Je trouvais que « Sexe » était la chanson la plus rock du disque et que ça n’avait jamais été fait. Et il fallait passer par ce moment où, même sur les sites, on entendait les gens dire : « Mais c’est quoi ? ». Ben oui, t’as cru quoi ? T’as cru que t’étais venu manger à la maison hier et que le lendemain t’avais le même menu ? C’est pas un karaoké ! Donc c’était important. Et ce serait à refaire, je le referai.
Alors voilà… On allait donc en rester là. Arrêter de parcourir l’album. Suspendre les rencontres. J’ai quand même demandé où était passé le piano. A tout hasard. Et il était là. Simple. Majestueux. Soudain, voilà que cette fameuse couleur inonde mes oreilles. Voilà que les notes du piano raisonnent et que les mots se détachent.
Des ombres et des mystères
Qui tournent autour de toi
En dedans la lumière
Te souviens-tu de moi ?
On était volatile
Je ne savais pas
Le couteau dans la chair
Toi tu combats.
Des ombres et des mystères. La griffe de Damien Saez est là. Je l’ai mon retour au poète, mon retour au « je ». Damien acquiesce. C’est pour ça que j’ai assumé le piano. C’est une comptine. Une comptine où des mots très simples alternent avec des formules plus complexes. D’abord on se demande ce que peuvent bien être ces ombres, ces lumières, ce couteau… Et juste après, on a quelque chose de très commun. « Te souviens tu de moi ? ». L’alternance fait vibrer la chanson. Elle est simple et opaque à la fois. Je retrouve les reflets dans l’eau. Les reflets du poète qui se perdent dans l’autre. Le miroir qui renvoie toutes les images. « Toi », « moi », « je », « tu ». Comme si dans le jeu des ombres et des lumières, la silhouette de l’autre aidait à lever les mystères. A éclairer enfin le visage. L’ordre des titres n’est pas encore établi. Elle serait bien pour finir celle-là. Comme un ultime plongeon. C’est la chanson la plus aquatique. Sur beaucoup d’endroits du disque, on ne cherche pas la rime. Ici, il y a juste un mot sans rime. Tout seul. Au milieu. « Volatile ». Au début, j’étais parti sur « on n’était qu’éphémères », ces insectes étranges, semblables aux libellules. Mais ça faisait trop de rimes. C’est pareil dans le couplet suivant. En plus, c’est le genre de mots où, vu le sens, t’as pas envie de faire dans le joli. Rupture dans les sons. Cassure dans le rythme. Comme si cette petite brèche renforçait la construction de tout l’édifice. La musique aussi affiche une arrogante régularité. Quand soudain le temps semble s’arrêter. Le métronome suspend son rythme. Une pause. Le silence avant de reprendre son étrange va-et-vient envoûtant. La voix appelle. « Dis pourquoi ? ». La voix se noie à son tour dans le flot des notes. Une à une, les lumières s’éteignent. Des ombres et des mystères. Ca pourrait être le titre du disque. Le titre du disque non plus n’est pas encore établi. Oui, ça pourrait être ça. Des ombres et des mystères…
Tioum