Quand on débarque avec un single qui braille « Jeune et con », on appelle les coups de bâton. Ils ont plu sur Saez mais, avec eux, 230 000 albums vendus. Trois ans plus tard, Damien n'est pas calmé et guère plus aimé.
Damien Saez, leader, chanteur , guitariste et auteur quasi sans partage de son groupe, a fait de l'arrogance une vertu nécessaire et de l'art de déplaire une qualité première. Sorti en avril dernier, son double « God blesse », largement inspiré du 11 septembre, aurait dû faire grand bruit, au pire scandaliser. Il a été passé sous silence. Saez n'est pas tout à fait étranger à cet accueil. Deux heures trente de musique qui commencent sur les sons industriels de « J'veux du nucléaire » et s'achèvent dans les instrumentaux (et quelques chansons) de « Katagena », le second CD, ce n'était pas facile à faire passer dans un univers français corseté. Mais on comprend que son label n'ait pas retroussé ses manches après son refus du clip de « Solution » (« Je l'ai fait retirer au bout de deux semaines. Je ne fantasme pas sur le cinéma mais j'ai écrit et réalisé celui de « Sexe » pour ne plus être confronté aux mêmes conneries »).
Groupes non alignés
Le résultat, visible sur un site laissé en chantier (www.saez.com.fr) est pour le moins discutable mais on y trouve aussi l'excellente chanson « Fils de France », écrite aux lendemains du premier tour des élections. On peut y télécharger cette nouvelle preuve d'un talent qui garantit son avenir – si Dieu lui prête sa santé. Damien y trouve, lui, l'assurance de son futur au sein d'Universal. « Mon label ne sait pas quoi faire de moi mais Universal a un bon patron, Pascal Nègre. Avec lui, il y a au moins discussion et on parle d'artistique. Il a commencé par travailler chez Polydor avec des gens comme Bashung, Zebda ou Noir Désir, des artistes non alignés. »
Le plus étonnant n'est pas d'entendre notre mécontent chronique dire du bien de l'homme derrière « 1,2,3 Soleil » mais aussi Star Academy, L5 et autres tragicomédies musicales, mais de le voir saluer des confrères. « Dans une conversation entre nous, je ne dirais jamais que Noir Désir est de la merde mais quand le premier disque est sorti, on venait toujours avec cette comparaison. « Noir Désir, groupe engagé »... Mais non ! Leurs chansons, c'est de la poésie sur du rock, comme Bashung. Zebda, par contre, est engagé, sur des disques et en dehors. « Hexagone » de Renaud (sorti en 1975 mais chanté sans discontinuer en concert) est une chanson engagée comme on n'en écrit plus. »
Régime d'isolement
« Etre né sous le signe de l'Hexagone, c'est pas ce qu'on fait de mieux en ce moment » est un constat qui semble toujours actuel à un Damien Saez qui balance sans équilibre les tares de sa nation. « On est si fiers de notre culture, mais c'est pourtant en France que tous les records de la télé-réalité ont explosé. Des gens me détestent immédiatement, d'autres pourraient accepter ce que je dis si j'avais une bonne cause à défendre. Mais ce n'est pas le cas. » Saez chante plutôt « No place for us » (pas d'endroit pour nous), un titre emblématique qui s'applique aux personnages de sa chanson, aux jeunes de France (il joue au Zénith, preuve d'une popularité qui ne s'embarrasse pas d'intermédiaire médiatique) et à son groupe isolé dans le paysage musical français. « Quand on a commencé, personne ne voulait plus entendre de guitares électriques. Aujourd'hui, être rock est redevenu obligatoire. Moi la french touch ne me touche pas. Elle ne me dit rien sur notre monde. Que rest-t-il ? Au mieux le retour à l'acoustique, à la chanson de rues comme Les Têtes Raides. Mais tout tient dans une façon de chanter et de faire rimer. La forme prend le pas sur le fond. Au pire...Il n'y a que le pire. »
Saez, vingt-quatre ans dont dix ans de piano, mêle tout : électronique et bruit, le lyrique « So Gorgeous » enchaîné à « Stand By Me » (« pour faire comme U2 dont je suis fan »), grand orchestre et guitares acérées, piano et voix d'ange, instrumentaux pointillistes et improvisations chantées... Le plus gonflé est peut-être d'avoir rendu compte de sentiments mêlés après le 11septembre, de regretter Massoud sans oublier ses premières années en rude guerrier, de pleurer avec les victimes du WTC sans s'aveugler sur la violence propre de l'Amérique. « Je ne suis pas d'un courant anti-US de bon ton aujourd'hui mais ces attentats expriment aussi une réalité. Les Américains peuvent chanter « We are th world » (en 1984 pour l'Ethiopie, changé en « we fuck the world » par Les Guignols de l'Info) et découvrir seulement le 11 septembre qu'il y a un monde hors des USA, un monde qui ne les aime pas forcément. »
J.-L C.