Saez envisage le rock comme un vecteur expressionniste. Ecorché vif, rebelle, adulé par certains, détesté par d’autres, l’auteur de « Jeune et Con » sera le 2 avril sur la scène du Zénith de Lille. Pour avoir assisté à son concert à Douai, on lève les deux pouces vers le haut.
Sur scène, les orchestrations sont sensiblement différentes de celles de tes albums. L’atmosphère est aussi hypnotisante. Confirmes-tu cette impression ?
Ca bastonne plus. Le concert et les tempos sont plus rapides. J’aime que les univers changent un peu. Le fait qu’il n’y ait pas de séquences rend le concert plus vivant. C’est un réel voyage du début à la fin
Par rapport à ton précédent album God Bless, Debbie est moins expérimental…
J’avais envie de faire un album plus rock. Et puis, dans ma précédente écriture, il y avait vachement de « je » et de « nous ». Là, il y a beaucoup de « tu » et de prénoms féminins (Céleste, Martha, Debbie, Marie, Marilyn), des personnes que j’ai rencontrées.
Il y a aussi cette injonction « Allez viens » qui revient dans plusieurs chansons…
Je suis toujours sur la fuite. Cela signifie « allez vient, on s’arrache de ce monde ».
Il paraît que tu vas également effectuer une tournée acoustique à la rentrée…
Il y a une dichotomie profonde en moi qui est d’un côté le rock, et de l’autre la chanson. Finalement, je ne peux jamais donner tout l’un ou tout l’autre. Sur les concerts actuels, il y a 95 % de rock et 5 % de chanson. Et puis, je crois que la tournée acoustique peut attirer des gens différents. Dans l’un, tu as envie que ça hurle, dans l’autre que ça ferme sa gueule.
Tu as conscience de fasciner ou d’agacer…
Je n’en ai rien à cirer de ce que les gens pensent de moi.
Tu chantes une société désenchantée. Cela révèle un mal-être chez toi ?
Je ne m’y suis jamais bien senti parce que je ne crois pas à la société qui aide la personne. Je crois à la personne qui s’aide elle-même et d’un autre côté, il y a des choses auxquelles je tiens comme l’égalité des chances, l’égalité des sexes ou être soigné dans les hôpitaux sans déballer sa carte bleue. »
« Une République bananière »
Dans God Bless, tu parlais des jeunes comme d’une « génération ratée ». Or pour eux, tu es un peu comme un porte-parole…
Quand je les décrivais comme cela, j’avais le même âge. A un moment donné, tu parles en temps réel. Aujourd’hui, je ne pourrais plus employer ces termes parce que je n’ai pas le sentiment de faire partie d’une génération. J’ai eu de la chance d’avoir du succès sur des textes à un moment où j’avais le même âge que le public qui allait les chercher. Les gens ont vieilli avec moi. Mes préoccupations ne sont plus les mêmes et pour eux, c’est la même chose. Ils suivent la même érosion du temps.
Et donc, referais-tu aujourd’hui Fils de France, la chanson que tu as écrite entre les deux tours de la présidentielle ?
Là, on n’est plus dans la chanson. Ce n’est pas la même chose de faire un disque et un texte que tu mets en téléchargement sur internet deux jours après le résultat de l’élection. Ce n’est pas la même démarche. Cette chanson, je ne l’ai pas vendue.
Ce texte, tu l’as fait instinctivement ?
J’estime qu’il y a un média génial qui s’appelle internet. Quand il y a des évènements comme ça, tu n’as pas besoin qu’on te prête le CD. Cela évite de perdre du temps. Là, il s’agissait d’un instant T et à ce moment-là, qui est capable de dire ce qui va réellement se passer ?
Pendant ton concert, tu envoies un sacré tacle à Hervé Gaymard…
14 000 €, on se croirait dans une République bananière. Tu vois les chiffres de profit dans toutes les entreprises et on t’explique qu’il faut licencier les gens. On avait oublié ce que c’était réellement la droite.
Que penses-tu de la scène rock française actuelle ?
Pas grand-chose. Je n’écoute pas trop la radio, mais je n’adhère pas avec ces groupes qui font des chansons avec trois mots contre le FN et qui parallèlement font des podiums Europe 2 à côté de Kyo. Comment peut-on se dire engagé et parallèlement participer à la grande mascarade.
Pourquoi ne te voit-on jamais à la télé ?
Pour les même raisons. Il n’y a que des c…, c’est terrible. Je ne peux pas les encadrer. Il y a deux, trois émissions pas mal, comme « La Musicale » sur Canal +. Le reste, c’est pathétique.
On t’a vu néanmoins une fois aux Victoires de la Musique…
Je suis allé en 2001 et j’ai fait ce que j’avais à faire. Tu me parlais tout à l’heure du côté adulé et détesté et je suis détesté par le milieu parisien. A mes débuts, il voulait que je fasse partie de la famille. Or, ce n’est pas ma famille et ça ne le sera jamais.
Patrice Demailly