En moins d'un an et à l'aune d'un seul disque, « Jours étranges », Saez s'est imposé comme un des vecteurs incontournables du nouveau rock français. Ecorché et provocateur, bouleversant et arrogant, tout en restant profondément humain, il bouscule les certitudes, change les paramètres et impose du haut de quelques textes limpides, une véritable vision du monde. Tant il est vrai que, comme on le dit sur NRJ pour le présenter et malgré le fou-rire que ça déclenche chez lui. « Le verbe, c'est hyper important pour lui ! » Rencontre.
Montpellier, 25 mai. Ce soir, Saez joue au Rockstore, la salle locale. Hier, il était à Marseille, une ville qu'il connaît bien. Pas content Saez, le public n'a pas bien réagi. C'est que l'animal est exigent. Avec lui d'abord, donc avec les autres. Et puis, il est crevé. Tournée, fêtes, pas manger, peu dormir, Petit Prince est sur un nuage mais aussi sur les rotules. Mais il assure. Face à la mer, assis devant une pizza à laquelle il ne touchera pas, il se livre un peu sur le fond. Et pour la première fois. Il nous dit « honoré » que ce soit pour rock sound. Nous, on ne lui dit pas que tout le plaisir est pour nous mais on n'en pense pas moins...
Quand je t'ai vu la dernière fois, j'ai trouvé que ton groupe avait plus de liberté. C'est juste une impression ?
Non, et ça va être comme ça de plus en plus ! Je pense qu'ils ont un peu moins peur. Je dis cela sans prétentions... (silence) Moi, j'ai toujours eu un côté « je porte tout », tu vois !? Mais, dans tout ce que je fais, je veux dire. Je me fais un restau, je ne me fais jamais inviter par exemple. Enfin, sauf quand c'est professionnel... Mais pour qu'on me paie un coup, vraiment, il en faut ! C'est con ! C'est vraiment débile comme façon d'être, mais je suis comme ça !
C'est un trait de caractère ou c'est un truc d'enfance ?
C'est plutôt un truc d'enfance, je crois. Plutôt une espèce d'auto-prise en charge qu'un manière d'amortir les coups finalement. Tu vois, hier, à Marseille, le concert par exemple, les gens n'étaient pas « là ». A part les dix premiers rangs ou à l'inverse ça pogotait grave. Mais au-delà de cette partie-là qui vivait le truc à fond, tout ce qu'il y avait derrière, c'était...(silence) Alors, soit ils venaient à la messe et je ne m'en suis pas rendu compte, soit... C'était assez bizarre, des mecs qui ne bougeaient pas et qui chantaient toutes les paroles. Mais qui ne bougeaient pas, limite s'ils applaudissaient ! Très bizarre. Ben moi, très vite ça m'a gavé et on est revenu du rappel, Marcus (bassiste, chœurs – ndlr) et moi... et même les autres, on le sentait tous, ça ne le faisait pas et...
On a vraiment de la chance
Tu sens une différence entre les publics d'une région à l'autre ? Et c'est conforme aux clichés que tu peux avoir sur les régions en question ?
Pas du tout justement ! Strasbourg par exemple, c'était étonnant. Alors qu'à priori, j'aurais plus misé sur Toulouse par exemple que sur Strasbourg. Et vraiment Strasbourg, c'était fou ! Lyon aussi, c'était bien (c'est l) qu'a été enregistrée live la version inédite de « Jeune et con » que vous retrouvez sur votre sampler – ndlr). Cela étant, il ne faut pa non plus grossir le phénomène comme à Marseille l'autre soir, c'est quand même des problèmes de « riches » ! Pour n'importe quel groupe, le concert d'hier aurait été un concert super. Mais, après, on perd un peu les repères et on est là : « Et pourquoi ce n'est pas l'hystérie sur chaque phrase chantée !? » Hé, ça va !! Il faut tout de même pas exagérer, ça ne peut pas être tous les soirs, tu vois !? Il faut redescendre un peu... Il faut se souvenir qu'il y a plein d'artistes qui font des tournées pendant des années et il n'y a pas d'album et les gens ne connaissent pas les chansons par cœur. Et n'apportent pas directement ce soutien de : « je suis conquis avant même que tu arrives ! » C'est pour ça que je dis que ce sont des problèmes de « riches ». On a vraiment de la chance.
La scène, quand on a un jour approché la musique, on a tous rêvé de ça. Tu vis ça comment ? Je veux dire, tu as remarqué une évolution de ton ego par rapport à ça ?
Je me suis posé la question et... ça « n'existe pas ». Ce que je veux dire, c'est que mon ego ne change pas d'un iota. Je trouve les gens beaux, ça me fait du bien, je trouve ça émouvant, ça me touche énormément, notamment entendre les gens ou les voir captivés sur un texte comme « Jours étranges », ça me touche profondément mais ça ne change pas mon ego. Je trouve ça très fort émotionnellement et c'est pour ça que je dis que j'ai de la chance. C'est de l'énergie qui m'est donnée et je ne vois pas comment ça pourrait faire bouger mon ego dans un sens ou dans un autre, sincèrement. Ce n'est pas toi qui donnes, tu comprends !?
« Rock'n'roll Star », c'est de l'ironie pure et brute ou c'est un « désamorçage » par anticipation ?
C'est un désamorçage dans la chambre de bonne avant que le disque ne soit fait... C'est aussi une référence rigolote à plein de gens qui sont la « star » de leur domaine, de leur truc, de leur cage d'escalier. J'en ai rencontré plein comme tout le monde. Des « vedettes » à leur échelle, dans leur petite ville de province, dans la petite boite de nuit locale. Mais qui dans ce schéma-là, sont de véritables « rock'n'roll star », avec les mêmes tics et les mêmes clichés que les autres ! Moi, je trouve ça rigolo. Cela étant, à mon niveau, c'est pareil que l'ego ce n'est pas possible, « ça n'existe pas », ça ne PEUT PAS exister... C'est pour ça que, même si ça fait partie de « l'histoire du rock », de la mythologie et que ça a créé ds personnages, finalement, Billy Corgan c'est plus un acteur qu'un chanteur ! Si la mégalomanie en arrive à ce point là, il faut se calmer. Il n'est pas Mozart et ne le sera jamais. Ça reste un mec qui a fait quatre chansons et demi sur trois accords et demi, ça s'arrête là. Alors, soit il accepte ce rôle de chanteur qui écrit des chansons comme un Dylan peut l'accepter avec une beauté et une simplicité qui font partie de la vie, soit il se prend pour Dieu-le-père et, à ce moment-là, c'est juste un acteur.
Tu as de l'admiration pour une attitude à la Springsteen par exemple ?
Oh oui ! Evidemment, c'est ça la vérité. Bon maintenant, c'est vrai qu'on a envie d'un peu plus d'énergie qu'on est plus énervés, qu'on a peut-être envie de gueuler un peu plus fort que lui ne le fait. On 'est pas forcés d'être en permanence dans cet état de sagesse mélancolique – comme Dylan du reste, « Blowin' In The Wind », il a finalement tout dit dans cette chanson – qui répète : « Combien de routes il va falloir faire avant qu'on soit des hommes ? » ! Il y a des moments où l'on a besoin de ça mais il y a aussi des moments où le « My Way » des Pistols, il n'est pas mal non plus (sourire) ! Ouais, parce qu'il y a des moments où l'on pète les plombs... Mais c'est plus une attitude de gamin ça : « J'ai six ans et j'envoie tout chier parce qu'il le faut ! » Sans raison. Juste parce qu'il le faut.
Vous me faîtes chier
Tu détestes t'auto-justifier hein ?
C'est-à-dire ?
Quand tu fais quelque chose, bien ou mal, par besoin plus que par envie souvent, tu refuses d'avoir à le justifier face aux autres...
C'est possible. Je pourrais à la fois dire oui et non... C'est bizarre.
Je disais ça par rapport au pétage de plomb d'un gamin de six ans dont tu as parlé...
Oui, j'ai bien compris. Ouais t'as raison, il y a de ça. En plus...
Ouais, c'est ça : « Je me ronge les ongles et je vous emmerde ! »...
Oui, c'est vrai, je n'ai pas besoin de me justifier et je n'aime pas non plus qu'on me prenne trop au premier degré, ni qu'on fasse d'amalgame... Parce que les mêmes mots il y a un an et aujourd'hui ne sont pas pris de la même façon, ils n'ont pas le même poids, tu vois ce que je veux dire ? Aujourd'hui, le moindre « Vous me faites chier ! », d'abord tout le monde ferme sa gueule, alors que ce n'est pas forcément ce que je demande, et ensuite, c'est automatiquement dans la tête des gens : « Le voilà qui fait sa star ! » Ça, ça me gave ! Mais vraiment.
Ça te retient désormais sur certaines chansons, je veux dire de te laisser aller, parce qu'elles ne seront plus prises comme elles le devraient ?
Par exemple ?
« Sauver cette étoile » notamment qui aujourd'hui n'est certainement plus prise par les gens comme lorsque tu étais inconnu...
Je ne crois pas que ça me « retienne » comme tu dis mais il y a un truc qui me fatigue par-dessus tout : c'est que ce ne soit pas gai...
Que veux-tu dire ?
L'argent fait sur de la gaieté, je le trouve plus sain que l'argent fait sur le malheur.
C'est très judéo-chrétien, ça ! Et pour le coup, c'est de l'auto-justification, non ?
Moi, je ne dirais pas que c'est judéo-chrétien au contraire ! Le côté chrétien, ce serait plutôt : « Je me plains, je suis content de me plaindre et écoutez-moi pendant que je me plains ! » Et si on pouvait se flageller en plus, ce serait pas mal... Non, c'est pas ça !
Je suis d'accord sur le principe mais je ne parle pas de ça, je parle de la réflexion que tu as dessus... cette espèce de « morale ».
Non, ce n'est pas « moral », c'est sain. Et je parle de mon esprit, je ne parle pas au niveau social, ça, je m'en fous, je m'en carre totalement. C'est juste que ça me fait chier de chanter certains trucs « Monter là-haut », c'est vrai, j'ai de plus en plus de mal. C'était à Strasbourg justement je crois, on commence la chanson, il y avait un mec et une nana devant qui étaient en larmes, carrément, complètement. Genre, la tête posée sur la scène, les sanglots et tout. Et toi, t'es là : « Ça ne va pas ! Je suis curé ou quoi !? » Eh ben, tu peux retourner le truc comme tu veux, il y a un peu de ça, il y a un peu de curé là-dedans : « On viens sortir ensemble notre douleur. » Et c'est une messe, tu te rends compte, une messe ! Au bout d'un moment ça prend une ampleur... Regarde U2 d'ailleurs, encore une fois, quand ils vont dans une ville, ils ont le statut du Pape ! Voire plus. Et ça, c'est bizarre pour le moins, sinon dérangeant. C'est pour ça que je te disais tout à l'heure, « ça n'existe pas », ça n'est pas réel, ça n'est pas le « réel ». Et pour moi, ça ne le sera jamais.
Quelque part, c'est un peu le rôle assigné à l'artiste dans une société : être le récipiendaire des frustrations et des douleurs, non ?
Oui, tout à fait, d'autant que franchement, tu retranches la religion àa l'art, que rest-t-il ? Pas grand chose, non !?
Ces choses qui te sont révélées tu penses que ça peut influencer l'artiste dans l'intimité de l'écriture ?
Non parce que l'écriture c'est le réel.
Tu te contredis là un peu ! Imagine, tu écris une chanson, seul dans une chambre d'hôtel, elle t'es inspirée par un moment de cafard, tu la soumets au groupe, vous l'enregistrez, elle sort sur disque, elle plaît aux gens. Elle aura d'un coup un impact sans commune mesure avec ce que tu avais dans la tête au moment de l'écriture. Et on en revient au concept : « c'est pas très simple de faire de l'argent sur le malheur », non ?
Ouais, ouais, c'est vrai... Mais, regarde hier soir on sort après le concert et on tombe sur des nanas vingt/vingt et un ans, il y en a une qui me dit : « tu vois tes textes, c'est ma vie ! » Ben, c'est comme ça ! C'est comme les lettres que je reçois... une des toutes premières lettres que j'ai reçues, il y avait une seringue avec ! C'est tout con et c'est rien en soi, par rapport à la vie, c'est rien mais... C'est pas du Souchon, quoi. Tu vois ce que je veux dire !
Ces choses là te bouleversent dans ton intégrité d'être humain, je ne parle pas de l'artiste là !
Ouais, ça me fait chier. Ça me marque. Parce que moi, quelque part, j'aimerais bien un monde parfait, isolé, ou tu peux regarder, être touché par mais sans toucher, tu vois ? J'aimerais écrire sur des choses que tu veux voir, mais que tu vis par procuration...
Vivre des choses dans une bulle, par procuration, sans se faire mal. En même temps, la vie, ce n'est pas comme ça, ça fait mal...
Et là, ou tu te rends compte des choses, c'est que quelque fois, tu peux être dépassé par les mots. C'est con, ce ne sont que des mots mais ils peuvent être plus grands que toi. Parce que les mots sont toujours pris dans leur sens profond.
C'est pour cela que tu forces ta voix des fois ? Pour « désamorcer » certains mots ?
Bah oui, un peu. « Amandine » par exemple, ce n'est que ça. C'est : « je parle de quelque chose mais j'en parle d'une certaine façon. Au point qu'on oublie même le sujet de la chanson. Et les gens ne se focalisent plus que sur la manière dont tu la chantes, pas sur ce qu'elle dit. C'est évidemment une façon de désamorcer.
Quand tu sur-joues un texte, tu deviens un acteur, non ?
Oui je suis d'accord. C'est ça. Oui parce que je crois au théâtre. J'en reviens à hier, où il y a deux/trois réflexions intéressantes. Il y a un mec qui a dit à un moment : « Oh là là ! Il se la pète grave ! », un truc dans ce genre. Et je trouve ça normal que ça ressorte et qu'un mec dise ça. Mais, en même temps, il vient me le dire, la seule réponse que j'aurais ce sera : « Oui, mais toi tu paies cent balles pour venir le voir et moi, je ne paies pas cent balles pour venir te voir ! », ça s'arrête là. Si tu n'as pas envie de voir un mec qui est à un mètre cinquante plus haut que toi, qui parle dans un truc qui fait que sa voix, on l'entendra cent fois plus fort que la tienne, si déjà, tu ne peux pas supporter ça, alors ne viens pas ! Parce que moi quand je vais voir les gens, soit c'est les deux aspects cumulés – ce qui est très bien – soit c'est de l'émotion pure. Avec le paroxysme dans un sens d'un Springsteen par exemple : où chaque soir pendant trois heures c'est l'auto-analyse, « vous en faites ce que vous en voulez mais moi je me donne », soit c'est un show, c'est du théâtre, il y a des personnages, chaque mot devient un personnage, tu vois ? Quand les deux se cumulent c'est génial. Mais j'aime bien les deux. Bono, en Méphisto, avec ses cornes qui d'un côté peuvent sembler complètement ridicules mais c'est génial. Bowie, c'est pareil, tu enlèves cette dimensions à Bowie, il ne reste pas grand chose. Mais tu peux aimer Bowie et Lou Reed, c'est possible. Voilà pour le côté « acteur », le côté théâtre, moi, j'aime bien... Là, je ne le fais pas trop, c'est anecdotique pour l'instant mais de plus en plus je vais le faire. Et sérieusement. Quand je dis « théâtre », c'est vraiment le mot : maquillage, personnages, aller un peu ailleurs, donner un peu un sens... Comme la messe, on y revient !
Tu ne détestes pas l'arrogance, n'est-ce pas ?
Non c'est vrai (rires). Mais c'est ça le truc, c'est pour ça qu'Oasis me fait rire. Si je les prenais au premier degré, je n'écouterais pas une seule de leurs chansons. Maintenant, il y autre chose derrière qui m'intéresse. Ce dont on parlait tout à l'heure par rapport à la voix, si ce n'est pas de l'arrogance alors qu'est-ce que c'est ?
Dans l'idée même de se maquiller, de « monter » un spectacle, est-ce qu'il n'y a pas déjà en germe le reproche récurrent qu'on fait souvent aux artistes et spécialement aux chanteurs, de chercher à se dissimuler ?
Oui, si le chanteur n'est que ça. Si, du début à la fin de son spectacle, ce n'est que ça, alors évidemment il se dissimule. Si c'est ça parmi le reste, non. C'est autre chose... Je ne pourrais pas être travesti en chantant « Sauver cette étoile », ce n'est pas possible. Je ne pourrais pas et il n'y aurait aucun intérêt à l'être. Tu parlais de « prétention », mais commencer une chanson par « Ici Dieu le Père qui te parle... » tu vois (rires) ! A la base, c'est un peu dur ! Mais il y a la phrase qui suit.
Ce que j'aime bien chez toi, c'est ce sens assez déroutant d'assumer les choses qu'on ne rencontre pas souvent. Spécialement dans le milieu musical français où les gens passent leur temps à s'excuser de demander pardon de faire ce qu'ils font...
C'est exactement ça ! Ça rejoint ce que je disais par rapport au mec d'hier, celui de « il se la pète grave » tu sais... « Pourquoi il n'est pas que fragile Saez, que si on le touche il va se briser, qu'en plus il nous montre que vraiment il a besoin de nous et qu'il nous remercie, nous grand public énorme... » Moi, je suis désolé, si je me fais chier avec un public pendant une heure et demie, je le dis. A Marseille, ils n'ont pas été déçus : je leur ai dit que c'était le pire concert qu'on avait fait ! Parce que c'était vrai tout simplement. Et même si ça me fait chier de le dire parce que c'est une ville et des gens que je connais un minimum... Mais ils m'ont gavé, que ce soit pour le show-case ou pour le concert. Ce n'est pas que le public n'est pas présent mais c'est juste qu'à un moment, tu te demandes pourquoi il est là ! Donc, c'est vrai, j'estime qu'on arrive pas forcément quelque part en baissant la tête, voilà...
Mais justement, ce n'est pas de l'arrogance pure que de vouloir capricieusement qu'un public soit ci ou ça !? Après tout, il a le droit d'être comme il a envie le public !
Non. Il n'a pas le droit. Parce qu'évidemment, on peut prendre le truc dans le sens : « t'es payé pour le faire ». Mais, pour moi, il y a une autre notion dans le fait de chanter que d'être juste « payé » pour le faire. D'abord, ce truc n'est pas vraiment un métier et de plus sur une heure et demie, il y a des moments où il n'y a pas de maquillage... Tu vois ce que je veux dire ? J'ai ma conscience pour moi en quelque sorte. Mais on est en France et ce discours passe mal. Moi, si tu veux, pour reprendre le cas d'Oasis, je comprends tout à fait un Noël Gallagher qui, lorsqu'on l'accuse que sa musique ressemble à celle des Beatles, se contente de répondre : « Ecoute gars, j'ai vendu vingt millions d'albums, il y a vingt millions de crétins qui sont allés mettre cent balles dans le disque ; je suis multi-millionnaire, je suis gros, gras et riche et maintenant, que ça ressemble aux Beatles, je m'en fous ! » Eh ben, je préfère ça comme démarche – parce que je sais qu'il y a quelque chose derrière, que ce n'est pas du premier degré – à une attitude de carpette, maniant la langue de bois...
C'est une manière de te surprotéger aussi quelque part, non ?
Oui, bien sûr. Mais c'est aussi une manière de ne pas lécher le cul tout le temps. Et ce n'est pas parce que c'est « ton » public, que tu lui dois la vie. Il n'y a rien de méchant dans ce que je dis attention ! Mais moi, j'arrive sur scène, c'est : ou je les trouve beaux et je suis content et je suis même véritablement « honoré » par leur présence, avec tout ce que le terme contient comme respect ; ou rien ne se « passe » et qu'on ne compte pas sur moi pour me mettre à genoux. Parce que je n'ai pas à le faire et que je n'ai pas à caresser qui que ce soit dans le sens du poil pour qu'il y ait un échange. S'il y a communication, c'est parfait ; dans le cas contraire, pendant une heure et demie, je vais essayer de faire en sorte qu'il y ait une communication, d'aller chercher les gens, à cœur ouvert. Mais si ça ne marche pas je ne ferais pas « comme si » ! Je vais ouvrir ma gueule... C'est ce qui fait chier la maison de disque du reste. Il y a un truc qui les fait chier et c'est celui-là : le fait que j'ouvre ma gueule ! C'est une question de caractère. Et c'est vrai pour tout.
Ils te préfèreraient plus fade, plus lisse ?
Ben tiens ! Au Printemps de Bourges, je demande des pass à un mec qui me balade pendant dix minutes, d'ailleurs, je ne demandais même pas des pass à lui, je demandais qu'on m'appelle quelqu'un, nuance ! Bref, je parlemente pendant je ne sais combien de temps pour arriver à rien, au final, j'appelle mon tourneur pour lui dire : « Viens me démerder cette histoire de pass ». Et, qu'est-ce que j'apprends la semaine suivante ? Que le truc qui circule à la maison de disque c'est : « Ah ! Saez a encore fait des siennes, il a encore foutu le souk ! » Ça me fout en rage ! Ah c'est rock'n'roll ! Quelle grande famille ! Putain, même chez TF1, ils sont plus d'avant-garde ; et au moins ils sont polis ! Ça, ça me gave. Avant que je n'abonde dans leur sens, il en faudra des années ! Alors de temps en temps, on m'explique qu'il faut faire ci, qu'il faut faire ça, qu'il faut être « malin » ! Putain, pour moi « être malin », ce n'est pas ça du tout. Etre malin pour moi c'est être fidèle, c'est savoir où tu vas, pourquoi tu y vas et avec qui. Même s'il n'y a que deux personnes. C'est peut-être à trois que le truc va marcher. Tu sais, une relation avec un public, c'est comme une relation amoureuse, un cœur, des émotions mais il y a une limite aux choses...
N'y a-t-il pas un paradoxe entre ce qui semble être une de tes obsessions « ne pas se blesser » et les textes faisant plutôt état du contraire ?
Evidemment. Qui a envie de se blesser ? Je crois qu'il y a eu des moments qui m'ont calmé avec ça. D'autant que j'ai vaguement le sentiment de l'être constamment. C'est le truc des insatisfaits ça... Tu cours, tu évites les obstacles et parfois tu vas même te créer des obstacles que tu vas passer du temps à éviter ! Ce n'est pas très simple c'est vrai. Et ce paradoxe que tu relevais, je crois qu'il est dû au fait d'être en permanence insatisfait. Insatisfait pour moi, ça veut dire « blessé en permanence ».
Tu sembles quelqu'un d'animé par la compassion, par le souci de l'humain en règle générale et, en même temps, on a le sentiment que tu peux être impitoyable...
(silence) Ouais, ça, c'est vrai et c'est un défaut. Je peux être impitoyable. Je suis tellement droit que j'en suis rigide. Au point que ça devienne un défaut. Le côté « impitoyable » va avec le côté « je ne me justifie pas » je crois. C'est le côté « gamin de six ans » aussi. Plus impitoyable que les gamins, je n'ai pas vu... Un gamin est quand même ce qu'il y a de plus facho. « Tu donnes ? Tu veux pas donner ? Je ne te parle plus. Tu veux toujours pas donner ? Je crie, je hurle ». Et dans la cour de récré, c'est : « Tu vas voir ta gueule ! » Et pour peu que tu aies des lunettes et une tête de premier de la classe, tu morfles ! C'est cette logique-là, je le reconnais et c'est terrible parce que tu n'as plus ce réflexe instinctif de te mettre à la place des gens. Essayer de comprendre les gens. C'est : « Allez tous mourir ! » et c'est le plus gros inconvénient de cette attitude.
Est-ce que celé t'interroge sur une nature profonde relativement violent que, du coup, ton travail en tant qu'artiste essaierait d'humaniser ?
Tu as moitié juste, moitié raison ! C'est-à-dire que tu as raison (rires) ! Le truc, je crois, c'est « se regretter ». C'est dur ça. Quand je dis « se regretter », c'est « regretter ce qu'on était ». Et même ce qu'on a pu être dans les moments difficiles. Mais, il y a un moment où le « gentil », « l'humain » à l'état pur, il a trop pris, même inconsciemment. Je t'assure, il y a des moments aujourd'hui où je déprime parce que je me dis : « Putain, mais qu'est-ce que tu es devenu ? » « Putain, mais il est où, le môme que j'étais ? » Parce que contrairement à ce que j'ai dis tout à l'heure sur les gamins de six ans, j'avais une attitude d'un mec de vingt ans ! Très réfléchi. Pas de caprices. Essayer de comprendre les gens, de me mettre à leur place. De comprendre pourquoi le mal, etc. Tout le temps. Une maturité permanente et quasi instinctive. Et ça, ça continue de marcher dans la tête mais dans le comportement social de moins en moins... C'est pour ça que je dis « se regretter ». Et les chansons, ce n'est pas humaniser les choses, c'est d'être soi avec toute la sensiblerie et la naïveté que ça peut comprendre. C'est pour ça que, par rapport au public, je ne vais pas être non plus d'une indulgence totale et que je ne vais pas me donner corps et âme en plus de mes chansons. Parce que j'estime que déjà, dans les mots, j'ai pas mal donné. Je suis déjà là, je suis moi et il n'y a pas un mot qui est un mensonge. D'ailleurs, quand je sors de scène, je suis ailleurs, je n'ai pas de réactions, de sentiments. Et puis, au bout d'un moment, je reviens dans la réalité. Mais tout a un sens, j'en suis convaincu : partir de sa ville tout seul, se retrouver à Paris pratiquement tout seul, et puis un album rebelote, et puis maison de disques et tout ça sans argent, patron de maison de disques, tourneur et médias, ce n'est pas non plus de la franche rigolade, et c'est pas non plus de « l'humanité brute » ! Et ça aussi, je le « regrette », c'est pour ça qu'il va falloir que je passe un peu de temps avec moi. Contrairement à ce qu'on peut penser, je ne passe pas beaucoup de temps avec moi.
Ce que tu es en train de vivre tu t'en sers comme thérapie ?
Pas là, maintenant. Mais de ce que je suis en train de faire pour après, oui. C'est au moment de l'écriture qu'il y a une thérapie. C'est là où tout le monde se retrouve face à ses hésitations, ses doutes. Va-t-on arriver à faire sortir ses douleurs ? A le mettre là, noir sur blanc ? Après, ça ne l'est plus. Mais l'écriture oui. L'écriture du texte, il n'y a pas à chier, c'est vraiment la science de l'âme pour moi. D'ailleurs, au niveau de l'éducation en France, je trouve que c'est un drame, l'écriture... Autant je trouve que j'ai eu de grands pédagogues en ce qui concerne la littérature, la lecture, l'explication. Comment même un poème de deux strophes pouvait être pensé, calculé, mis en place comme une harmonie d'un morceau de musique. Comment la poésie par exemple, n'était pas que de l'inspiration. En revanche zéro au niveau de l'écriture ! Et au Conservatoire, pareil ! Moi, ça m'a marqué. Qu'on ne t'apprenne pas « à écrire » en fac de lettres, je trouve ça aberrant. N'appelez pas ça fac de lettres ! Appelez ça fac de lecture, fac d'histoire de la littérature ! On apprend bien la technique au CP, pourquoi n'apprendrait-on pas la composition plus tard ?
Pour des raisons sociales, politiques, morales et bien d'autres encore : certaines choses sont réservées à « ceux qui savent ». Après, on crée des musées, on institutionnalise le savoir, il y a des artistes officiels, etc.
C'est ça ! Ce côté : « On a déjà des génies, vénérez-les ! » Comme au Conservatoire ! « Quoi, tu veux composer ? Ben attends, t'es pas Mozart ! » La question, c'est pas que je sois Mozart ou pas, c'est l'envie de le faire. Est c'est sûr que je ne suis pas Mozart mais Mozart, il n'avait pas mon cœur et il est mort ! Alors, si on pousse ce raisonnement au maximum, on fait quoi ? On arrête tous de vivre ? Ça ne m'étonne pas qu'il n'y ait plus d'idéologies, plus de rêves, tout va ensemble finalement !
C'est une réaction par rapport à ta formation ça ?
Non, parce que ma formation, je la respecte. Le Conservatoire c'est une partie de moi que je ne renie pas du tout, loin de là.
Ça pourrait être un rejet aujourd'hui, parce que sur le côté « Ex-pensionnaire du Conservatoire », je trouve que tu n'en fais pas des tonnes...
Parce que ce n'est pas ma recherche aujourd'hui. Maintenant, quand je dis que le deuxième album va être différent et que j'ai envie de le faire tout de suite, ça te donne sans doute quelques pistes de ce côté... Mais, aujourd'hui, la réflexion que j'ai sur le Conservatoire, c'est plus un constat. J'ai fait du piano et de la guitare même si j'ai beaucoup plus travaillé le piano ; j'ai écouté autant de classique que de rock ; je me dis que s'il y avait une partie réservée à la composition ce serait vraiment l'endroit idéal ! Mais le Conservatoire, c'est magique, tu n'as pas à payer ! Tu te rends compte ? Tu ne débourses pas un sou et on met à ta disposition une maison avec plein d'instruments dedans ! C'est vraiment la « maison de la musique ». L'idée est extraordinaire. C'est pour ça que l'absence d'enseignement de la composition est d'autant plus dommage. Parce que c'est important de leur montrer que s'ils sont souvent considérés comme la moitié de rien, qu'ils sont surtout la moitié de quelque chose de formidable, tu vois ce que je veux dire ? Leur faire prendre conscience, ne serait-ce qu'il y a du chemin à faire, du travail à fournir. Mais que la base est là, que la petite graine est là, qu'elle va donner un bébé, qui apprendra le langage, avant lui-même devenir père ou mère ! A un moment, je trouve que c'est juste ne pas faire comprendre le stade de l'évolution, mais juste le résultat : là, le génial est là, le point zéro pour aller à 0,1. Ce qui est déjà un point énorme. Tu vois, c'est ça que je regrette... Cela dit, on pourrait aussi me dire : « Dis donc, peut-être que si on avait laissé la place à la composition, t'aurais peut-être pas eu l'envie d'y aller seul... » Peut-être que c'es vrai, que ça n'aurait pas fait monter en moi autant de frustrations qui m'ont permis d'avancer... C'est possible. Sauf que, pour moi, ce n'est pas vraiment une bonne logique ; même si on peut en constater les effets après. C'est comme si quelqu'un me disait : « T'as eu de la chance que ton père se casse parce que, comme ça, t'étais malheureux et ça t'a rendu sensible. » Tu vois, c'est un peu la même chose. Et c'est pas une bonne logique...
Tu as des tentations parfois ?
Ça, je crois qu'on en a tous. Et puis, moi je le dis : « Je ne suis pas un ange » et je ne l'ai jamais été. Ou alors, je ne m'en souviens pas (rires) ! Tu connais le truc : « Je n'ai jamais tué de chats. Ou alors ils n'étaient pas beaux et ils sentaient mauvais (rires) ! » Le mal, on a tous ça en nous, et on est tous tentés et on fait tous des conneries, et on prend même du plaisir à les faire. Tu sais, malgré les apparences, je ne suis pas très fort, très costaud. Au niveau des tentations, c'est vrai que je vais me pencher sur des choses mais je ne suis pas et je ne serai jamais Lou Reed pour résumer. Je ne pourrais pas. Je ne suis pas assez fort et il ne fait pas assez frois dan smon pays... Même si je me sens proche musicalement de Lou Reed et même de plus en plus, mais non... D'autant que je suis en contact avec des gens qui pont ces faiblesses – ou cette force, je n'en sais rien après tout – et ces tentations du mal, de la souffrance par le plaisir et du plaisir par la souffrance.
Yves Bongarçon