Presque cinq mois après la sortie de « Jours étranges », Saez s'est peu-à-peu imposé dans le nouveau paysage rock français comme une sorte de brouilleur de cartes. Estimé pour ses chansons, le personnage agace ou séduit et ne déteste pas lui-même jouer le rôle du poil à gratter. En pleines répétitions de sa première tournée, nous somme allés le retrouver pour un premier bilan et, aussi avouons-le, pour jauger un peu la bête. Verdict : Saez nous plaît de plus en plus.
Le public a l'air d'être extrêmement réceptif à « Jours étranges » ton album, réactions ?
Je crois que ça rassure mon orgueil sur l'album. Pas nécessairement mon orgueil personnel, mais plus ma fierté sur les choses importantes. Surtout que pour l'instant ça se passe essentiellement par le bouche-à-oreilles, par les points-écoute dans les magasins, ça veut donc dire que tout ça parle un peu aux gens. Et j'ai pu vérifier ça en show-cases puisque j'en ai donné quelques-uns ; il y a des villes où c'est assez surprenant...
Justement qui vient voir Saez en show-case ? Et pourquoi ?
C'est bizarre. Au début c'était surtout des étudiants et plus ça allait plus ça devenait des lycéens. Bon alors, qu'est-ce qu'ils disent ? Eh bien, je crois surtout qu'ils ont l'impression de retrouver des sonorités et des thèmes abordés qui correspondent à ce qu'ils écoutent à côté. Par exemple, dans chaque ville où l'on a joué, on a fait une reprise de Ben Harper et je me suis rendu compte qu'on avait le même public. Pareil pour Radiohead ou Smashing Pumpkins. Moi ça me satisfait puisque c'est ce que j'écoute (sourire) ! Finalement, il n'y a pas de hasard...
Ils disent qu'ils aiment
Et lorsqu'ils te parlent, c'est pour te dire quoi ?
D'abord c'est spontané. D'autant plus en show-case, comme il ne s'agit pas de vrais concerts, j'avais une attitude proche. Sinon, ils disent qu'ils aiment bien sûr, qu'ils se sentent proches des textes, qu'ils s'y reconnaissent, ce genre de choses...
Dans certaines lettres reçues au journal et te concernant, on retrouve les notions d'amitié, le fait que tu es perçu comme un « copain » potentiel ; ça te surprend ?
Non. Ça, c'est toi qui t'offres. Si tu n'as pas envie qu'on te parle, on ne te parle pas. C'est très simple. Mais il va de soi que si tu commences à instaurer le dialogue, à parler aux gens, à leur demander comme ils vont, etc. tu n'es plus perçu de la même manière, les gens te sentent plus proches. Sinon, si tu es froid et distant, les gens ne viennent pas et c'est juste normal.
Ça signifie que lors de tes « vrais concerts » à venir, tu vas jouer dans ce registre-là ?
Ça dépend. Je pense que lorsqu'on est dans un trip acoustique en show-case, c'est nécessaire, c'est un peu comme un feu de camp : en revanche sur scène, en plus dans la formation où l'on va être, ça ne sera pas le même délire du tout !
Il semblerait en effet qu'avec tes musiciens, la tonalité générale pour la scène soit encore plus grave et plus austère que le disque, c'est ça ?
Oui, je crois que c'est le cas. Au moment de l'enregistrement du disque, parce que, d'une certaine façon non est allés à l'essentiel, il y avait plein de pistes qu'on n'avait pas exploitées... Si je devais refaire certaines choses, je pense qu'il y a déjà des choses que je zapperais et d'autres dans lesquelles je m'engagerais. Là par exemple, « Jours étranges » sur scène, on va beaucoup entendre les samples, surtout au début, ça sera presque indus ; alors que sur le disque ça n'apparaissait pas du tout. Or, j'ai envie d'aller vers ce côté indus tout en conservant le côté mélodique qui, de toute façon, est là...
Ça fait quatre mois que ton disque est sorti, tu as déjà le sentiment que tu ne ferais plus les choses de la même façon ?
Oui, c'est clair. Ce qui ne signifie pas que je rejette ce qu'il y a sur le disque. Je trouve ça bien, même mais je le considère comme un instantané d'une certaine époque. Je pense que si j'appréciais toujours les chansons du disque telles quelles en me disant qu'elles sont parfaites j'aurais des questions à me poser. Je crois que je les apprécie maintenant dans la nostalgie...
C'était un gadget
Qu'est-ce qui provoque selon toi cette évolution ? L'air du temps ? Ce que tu as écouté entre temps ?
Non, pas ce que j'ai écouté. Mai tout est allé très très vite pour moi. Il y a un an tout juste je signais avec la maison de disques ; il y a eu l'enregistrement, la sortie, les répétitions pour la scène, tout est allé très vite. Dans ce laps de temps, il y a plein de choses que j'ai zappées, des trucs que j'ai fait dans l'urgence, sans me poser de questions sans analyser quoi que ce soit. Des choses m'ont échappé. Aujourd'hui, je me pose plus la question de ce que j'aime, de ce qui me plaît en tenant compte de ce qui m'inspire le plus, l'éternité en évitant l'effet de mode. Parfois tu craques sur une sonorité et tu te dis : « Il me la faut ! » Quinze jours plus tard, tu as oublié, c'était un gadget. Alors, en ce moment, je suis dans cette phase de poser les choses, de prendre du recul. Et je me rends compte que si on avait eu plus de temps pour le disque, on aurait peut-être réussi à livrer un album plus mature, plus abouti... Cela dit, je ne sais pas si c'est ce qu'il faut : s'il ne faut pas parfois justement graver des choses imparfaites ; des choses qui ont la franchise de la naïveté. Je crois que je tiens vachement à ça en fait...
Tu as eu beaucoup de réactions de la presse sur ton disque. Les commentaires ont été justes ?
Il y a des trucs qui m'ont énervé pour être tout à fait franc (sourire) ! Des choses qui faisaient preuve de peu de culture et de peu d'oreille. Des mecs qui se lâchent vraiment et pas pour l'idée de se lâcher mais pour régler des comptes. Comme si, moi, j'écrivais une chanson pour régler des comptes et en citant des noms !! Ce n'est pas fait pour ça. Chacun ses armes OK, mais il y a des fois où ça devient quand même très malsain. Moi, quand je lis : « Saez, le Balavoine de l'An 2000 qui ferait bien de faire son baptême de l'air ». Ce n'est pas l'allusion à Balavoine qui me gêne, c'est le « baptême de l'air » que je trouve de mauvais goût... Je pense juste que le type est un pauvre mec, point à la ligne.
Et ce genre d'attaques, ça te renforce dans ta conviction de musicien ou vraiment ça te blesse ?
Ça ne me blesse pas vraiment parce que si ça fait mal, ça fait mal pendant cinq minutes, pas plus. C'est simplement que derrière ce genre de choses, je sens une arrière-pensée pas saine. J'ai eu des chroniques pas valorisantes, dures même, mais justes. Et je ne réclame pas autre chose. Je demande un peu de talent dans la critique si l'on peut dire, parce que si le fond est important, la forme l'est aussi... Quand, dans une critique, je trouve la formule « péché de naïveté » me concernant, ça ne me fait pas spécialement plaisir mais je comprends ce que la personne veut dire et j'en prends note, je l'assume. Mais quand quelqu'un, sans écouter, dit que « Rock'n'roll Star » est la copie de « Un homme pressé » de Noir Désir, ça, ça me fait vraiment chier !
Tu as toujours ce que tu mérites
A l'aune des réactions que tu suscites, on te voit t'acheminer vers le statut de « porte-parole de sa génération », ça te gave ?
Non ça ne me gêne pas vraiment. Sauf si ça veut dire qu'il faut que j'ouvre ma gueule sur tout et n'importe quoi. Parler de ce que je connais, de la musique, de mon domaine, oui, pourquoi pas. En revanche si ça veut dire qu'il faut avoir un avis sir tout, genre « Que pensez-vous du dernier film de Machin ? » ou « Faut-il interdire les pit-bulls ? » Qu'on ne compte pas sur moi, je m'en carre ! Les gens, notamment à la télé, me fatiguent de causer à propos de tout et de rien. En revanche, si le fait de t'exposer en tant qu'artiste te fait devenir une sorte de porte-parole, il faut assumer. Cobain était tout le temps en train de râler : « Je ne fais pas ma musique pour les minettes de quatorze ans ! » Ça me fait toujours chier qu'un artiste n'assume pas son statut auprès d'un public. Parce que si les minettes de quatorze ans se retrouvent dans ta musique, ben, il faut non seulement faire avec, mais clairement en être fier. De toute façon, tu as toujours ce que tu mérites.
On mérite qu'Alain Bashung vende sa chanson « Ma petite entreprise » à Citroen pour vendre des fourgonnettes et qu'il apparaisse dans la pub ?
Putain, j'ai le droit de dire ce que je pense vraiment ? C'est pathétique. Bon, ça ne m'empêchera pas d'aimer son prochain disque, mais tu te dis qu'il n'y a vraiment rien de sacré ! Et ça fait chier, c'est pour ça qu'il ne faut pas mélanger les genres. Et il faut faire ç apour soi, rien que pour soi. A un moment être suffisamment fier pour se dire : « Ma chanson, c'est pas un spot de pub. » On ne fait pas ça. Même pour dix millions. Ça fait trop chier de voir les Stones avec Microsoft et « Imagine » exploité par le Crédit Agricole. Parce que ça revient à nier le fond même de la chanson : « Imagine » maintenant, ça veut dire : « On vous a mis le doigt bien profond ! » C'est d'une tristesse... Putain, quand j'y pense, pour une voiture en plus. Toute la société de consommation que tu te prends sur le coin de la gueule...
Yves Bongarçon