"Une oeuvre doit être gueulée"
Un rock en colère, entre Brel et Noir Désir, des concerts à guichets fermés, une passion pour les mots et un nouvel album, Messina. Parcours d'un chanteur atypique.
Inconnu célèbre, Damien Saez, 35 ans, en impose à la chanson. Depuis douze ans, il remplit les plus grandes salles en toute discrétion, suivi par une armée de fidèles. D'où vient donc ce chanteur phénomène?
Du conservatoire de musique. Sur scène, sa guitare prend feu. Pourtant Damien Saez, l'enfant terrible du rock, a fait ses classes au conservatoire de Dijon. "J'étais un gamin solitaire, confesse-t-il. Mon seul compagnon, c'était le piano. Plus tard, je me suis rendu compte que le choix de cet instrument sédentaire avait été une façon de m'opposer à la vie nomade que j'avais vécue petit, car on n'arrêtait pas de déménager." Sa mère est éducatrice spécialisée, son beau-père, réalisateur à France 3.
Des professeurs de français lui donnent le goût du verbe, il dévore les grands auteurs. "A 17 ans, je passais des nuits entières à discuter avec mes parents." Saez se définit encore aujourd'hui comme un "fils d'Artaud". Prêt à en découdre. Quand il s'installe à Paris, après des petits boulots en usine, il refuse de signer tête baissée des contrats avec les maisons de disques : "J'avais appris à dire non." Son premier album, Jours étranges, en 1999, est un électrochoc pour la planète lycéenne. 300 000 fans se rallient autour d'un hymne des années Luc Ferry : Jeune et con. Saez est lancé.
Du chant des révoltés. Mais d'abord de la chanson française. "Mes références à Brel, Barbara, Ferré ou Brassens [qu'il connaît par coeur] sont explicites. L'écriture poétique parfaite selon moi, c'est arriver à combiner la simplicité des Copains d'abord et le souffle de Supplique pour être enterré à la plage de Sète." Saez s'inscrit dans la tradition romantique, lyrique, tourmentée, et dans la chanson éditoriale impulsive, crachée. Ainsi le morceau Fils de France, posté sur Internet en réaction au premier tour de la présidentielle de 2002. Ou ce J'accuse, en 2010, coup de gueule façon Zola pour dénoncer la société de consommation. L'affiche - une femme nue dans un chariot - sera censurée. "La chanson engagée a tous les symptômes d'un cadavre. Moi, je m'envisage comme celui qui, au sein d'un village, fait chanter et danser. Je viens davantage de ce terreau que de Boboland." Dans son dernier disque, Messina, comme dans les précédents, les soleils noirs de ses amours s'imbriquent dans des airs militants. Et ses odes à la chair, dans des manifestes écorchés. Ce sont les cris d'un révolté. "Une oeuvre doit être gueulée. Un chanteur exprime son opinion avec sa voix, même si je trouve un peu mégalo de graver son propre cri."
De l'indépendance. Signé par Universal à ses débuts, Damien Saez s'en échappe en 2005. "Tout se passait dans la lutte et dans la douleur." Depuis, il finance ses disques et coproduit ses spectacles. Ses tournées sillonnent les Zénith sans aucune promotion. Damien Saez fait ce qui lui plaît, porté par un public qui le plébiscite quels que soient ses embardées discographiques et le rythme de son inspiration. Le triple album, Messina - en tête des ventes dès sa sortie en septembre dernier -, sera bientôt suivi d'un autre CD, Miami. "Ma démarche est artisanale, humble et cohérente, de la conception du disque jusqu'au prix auquel il est vendu. Je n'ai pas besoin de parler de moi dans des talk-shows. Ma musique se suffit à elle-même." D'une certaine manière, Damien Saez poursuit avec le public les conversations qu'il avait dans sa chambre, à 17 ans, avec ses parents.
Gilles Médioni
Source : www.lexpress.fr