La voix s'impose. "Ami prends ma lanterne/Car j'ai perdu ma flamme..." (Putains, vous m'aurez plus, 2008) Dans le noir, à La Cartonnerie de Reims, jeudi 22 novembre, Damien Saez débute son concert a cappella. Suit, guitare acoustique en plus, dans un halo rasant, Les Magnifiques, l'une des chansons, superbe, de Messina, nouvel album, triple, paru fin septembre. Trois, quatre autres chansons dans le même climat avant l'électricité, en groupe. Messine, Sur le quai, Légionnaire... Dès cette entrée, on est happé par l'imbrication du fragile et de l'assuré, l'émotion de l'instant qui dit une vérité artistique.
"Je ne peux pas faire quelque chose de mécanique sur scène, jouer, en acteur, la joie ou la souffrance en illustration des textes, soir après soir bien ordonnés, avec les rites du rappel absolument, la liste des chansons attendues. Je revis ma vie en direct, en donnant de mon corps, de mon ventre, sur le moment", insistait le chanteur, auteur-compositeur, guitariste, pianiste et arrangeur, 35 ans, peu avant ce troisième concert du Messina Tour 2012. Demain, dans quelques jours, cela débutera différemment, plus électrique ou pas, cela durera une heure ou trois. Seule certitude, la part belle faite aux chansons de Messina.
"Balancier"
Ce septième album (d'une discographie qui comprend un double et un autre triple) depuis Jours étranges, révélation du talent de Damien Saez en 1999, c'est un an et demi de travail. Sans tourner autour du pot, il dit être fier de Messina. "Il y a du travail, de la matière, ça prend du temps à écouter. C'est comme un roman, une montagne à gravir." Des cordes, des parties instrumentales très imagées, une puissance qui s'installe.
A Reims, le chanteur et son groupe (Franck Phan et Daniel Jamet, guitares, James Aller, basse, Maxime Garoutte, batterie) portent au loin les nouveaux thèmes. Avec une envolée folle durant Ma petite couturière, qui va vers Marguerite, de l'album J'accuse (2010). Et un triptyque tendu qui relie Les Echoués, Les Fils d'Artaud et Into the Wild. En deuxième rappel, Damien Saez revient seul, sur le fil de l'intime, pour Châtillon-sur-Seine. Frisson. Du public et du chanteur.
Il y a toujours l'idée d'un "balancier" avec Saez. Il a écrit et enregistré des disques d'urgence comme l'auront été Varsovie (2009), "lettre sur la rupture amoureuse", ou J'accuse, "le disque que devrait faire un gamin de 20 ans". Et des disques de maturation au long cours, comme Debbie (2004), ou ce récent Messina. L'ancrage dans un patrimoine de la chanson, Brel, Barbara et Ferré en point de mire, et celui du rock, parti du blues, menant au punk. Et les textes, du "poétique, tombé du ciel et des points de vue sur les maux du monde".
Méfiance du tout-à-l'image
En 2012, tous les concerts de Saez sont complets. Jauge moyenne de 1 000 à 1 500 spectateurs. Miami, nouvel album "différent", est déjà prévu pour décembre. A partir de mars 2013, ce sera une tournée des salles type Zénith. Jauge moyenne : 5 000 à 6 000 places. "Différente, avec un aspect spectacle plus prononcé." Vingt-cinq dates déjà annoncées, du 19 mars au 25 mai. Le public se passe le mot, sans passage dans les émissions obligées à la télévision ou partenariat radio, sans vidéoclips à tout-va ou affichage en quatre par trois. Idem pour les albums, dont il finance les enregistrements, contrôle la conception, la présentation et qui "dépassent tous les 100 000 ventes", nous indique un membre de Cinq7, maison de disques de Saez depuis huit ans. Messina est sur cette courbe.
Dans sa loge, Saez redit sa méfiance du tout-à-l'image, de la cacophonie du réseau mondial, son rejet du consumérisme, ses colères face à l'oubli de l'humain. Son goût, toujours passionné, pour les mots. Ses choix et décisions qui n'ont de finalité qu'artistique. "Ce que je gagne avec les disques et les concerts repart dans les disques et les concerts. Je vis avec 2 500 euros par mois. Une chance énorme par rapport à la majorité des gens." Et sa liberté préservée.
Sylvain Siclier
Source : www.lemonde.fr