Dur dur d’éviter les poncifs quand on en vient à parler de Damien Saez. Et pourtant, dans son cas, il semble difficile de faire autrement tant le poncif est évident. Alors allons-y gaiement : Saez, on aime ou déteste, mais ce qui est certain c’est qu’il ne laisse personne indifférent. La faute à sa voix : chevrotante, plaintive, elle peut irriter autant qu’elle peut toucher. Autant être clair tout de suite : j’adhère à fond !
L’avantage, c’est quand même que rédiger une critique de son nouvel album est assez simple. Vous n’aimiez pas Saez ? Peu de chances que vous soyez convaincus par ce nouvel opus. Vous aimiez ? Vous allez adorer, et pas qu’un peu, puisqu’après J’accuse, Saez revient à la formule du triple album , inaugurée avec Paris-Varsovie-L’alhambra.
Dans Messina, Saez reprend tous les ingrédients qui ont fait son succès. A la manière d’un éternel adolescent, il oscille entre la colère sincère et un peu naïve d’un chien fou révolutionnaire et le désespoir inconsolable d’un artiste maudit. La posture est toujours la même, mais Saez a mûri dans la façon de la partager. Et au-delà des références explicites, c’est un peu de Brel, de Ferré, de Cantat ou même de Reggiani que l’on sent affleurer subtilement par moments, preuve qu’il a su intégrer avec brio l’héritage des grands anciens sans s’y perdre.
Musicalement aussi, Saez a progressé. On retrouve ses habituels accompagnements intimistes, et ses accents plus rock, allant parfois se frotter au ska-punk, mais il assume désormais aussi complètement la tentation du symphonique, qu’il a toujours abordé timidement depuis son deuxième album, God Blesse. Dans Sur les quais, il se lâche enfin et il prouve non seulement qu’il peut livrer des compositions brillantes en elles-mêmes (Thème Quais de Seine), mais qu’il a compris ce qu’il pouvait apporter comme puissance à ses textes (Aux encres des amours) en s’accompagnant de l’orchestre symphonique.
Avec ce septième album, Saez nous amène donc vers des rivages qu’il n’avait encore jamais osé explorer et que seule une maturité nouvelle dans sa musique lui permet d’aborder. Et l’on découvre ces nouvelles contrées avec d’autant plus de plaisir que le bateau qui nous y mène est toujours le même. C’est d’ailleurs le seul regret que l’on pourrait avoir à son propos : ceux qui n’ont jamais réussi à y monter n’y monteront pas plus aujourd’hui. C’est bien dommage, car ils passeront à côté d’une vraie belle oeuvre.
Gilles Delouse
Source : www.poisson-rouge.info