Damien Saez est un véritable artiste français qui a gagné sa place, hautement méritée, dans le respect de ceux qui apprécient l’art en général. Après 11 albums à son actif échelonnés sur 12 ans de carrière, on aurait certainement pu craindre que ce triple album serait indigeste, mais l’artiste repousse encore plus loin sa créativité à chaque tentative, si bien que l’on pourrait se demander si ce dernier album en date ne serait pas son “Chef d’Oeuvre”?
Lorsqu’il a sorti son 1er triple album en 2008, Saez l’avait réalisé après 4 ans d’absence. Il avait donc compilé toutes les expériences de sa vie qui à l’époque lui paressait déprimante, épuisante et noire. Ce magma de tristesse, de mélancolie, d’amertume m’avait bouleversé puissamment. Mais pour être franc, il m’avait fallu plusieurs années pour appréhender complètement ces albums magnifiques de solitude, de franchise et de naïveté. Au final, Varsovie/l’Alhambra/Paris ressemblait à une thérapie de divan touchante, personnelle et universelle.
Cependant, cette année, Saez est à son apogée artistique. Sa carrière est une longue et lente progression vers les tréfonds de l’âme moderne. Cette cuvée regroupe le meilleur de cet artiste qui s’assume enfin pleinement. Sans détours, il s’ouvre à nouveau et encore une fois, il se donne jusque dans la bêtise assumée. En plus de ce “best of” musical, Damien nous a gâté avec des nouveautés hallucinantes qui complètent son univers : l’utilisation d’un orchestre classique donne une dimension encore inconnue jusqu’à lors à son œuvre.
Ici, tout devient magistral, même la simplicité. Les textes sont d’une efficacité, d’une poésie et d’un réalisme incomparable avec les productions françaises actuelles. Ils sont plus directs, plus compréhensibles, plus ambitieux, plus touchants et tout simplement beaux. Il parle au plus grand nombre sans tomber dans le populisme. Il aborde aussi bien le monde moderne, l’économie, la nature, les Hommes, leurs faiblesses et leurs grandeurs; des souvenirs personnelles et bien sûr l’amour sous toutes ses formes. Son engagement est total, il ne se permet aucune censure. Il n’y a pas de comparaison avec un artiste aussi totalitaire: tu aimes ou tu passes ton chemin.
Je ne détaillerais pas cet album en détail car je vous laisse le plaisir de le découvrir intégralement. Je parlerais surement des “Thèmes” instrumentaux magnifiques et ambitieux… Que dire de “Aux encres des amours”, “Marie” et ces autres chansons d’une théâtralité inédite orchestrées si précisément ? Dois-je commenter les chansons plus rock comme “Marianne”, “Sur le Quai”, “Betty” qui équivalent les meilleures chansons de J’accuse (2010) ? Mes mots sont limités quand il faut mentionner les chansons telles “Les Magnifiques” ou “Messine” qui mélangent tous ces ingrédients à la fois. Pour conclure la cartographie non exhaustive des styles abordés dans ce triptyque musical, il ne faut pas oublier de mettre en avant les morceaux folk envoûtés, les ritournelles, et évoquer les titres plus expérimentaux comme “Les Fils d’Artaud” ou encore “Fin des Mondes” disposés avec parcimonie dans cet ensemble.
Bien sur, tout n’est pas parfait. Tout n’est pas nouveau. Les grandes influences se font plus présentes qu’avant: Jacques Brel en 1er lieu, Bashung, Noir Désir et les poètes français du XVIIIème siècles. On retrouve des langueurs mais très peu de longueurs. Malgré la diversité des approches musicales, le tout reste homogène et les textes ont une grande part dans cette réussite. Saez progresse de façon exponentielle à chaque album, tant dans son écriture que par l’intermédiaire de son chant, même si certains resteront imperméables à l’émotion qu’il dégage. L’artiste est possédé et interprète ses textes avec justesse et conviction. Il chante, il susurre, il miaule, il hurle, il croone, il chantonne, il déclame, il murmure, il s’exprime sang pour sang.
Quand on sait qu’après ce triple album, Damien Saez s’apprête à sortir un autre album cette année intitulé “Miami” (le 03/12/12), à quoi doit-on s’attendre ? Encore mieux ? Encore différent ? avec une touche d’électro ? Attention Damien, tu pars pour devenir un artiste “Culte”. Es-tu prêt à accueillir toutes ces âmes perdues pour tes concerts attendus ? Pour une fois, je sens en toi une confiance en l’avenir. A tel point que comme tu le dis dans “Rois Demain” je t’imagine devenir vieux et c’est tant mieux…
Pierre Dieudé
Source : muzicity.fr