Ah, Saez. Avec lui, pas de demie-mesure, on aime ou on n’aime pas. Moi, j’aime. Heureux papa d’un double disque d’or avec l’album Jours Étranges (1999), popularisé grâce au tubesque « Jeune et Con », Saez n’a pas cessé les expérimentations. Du planant God Blesse (2001) au punchy Debbie (2004), en passant par un dépouillé Varsovie-L’Alhambra-Paris (2008) et un très étrange J’Accuse (2010), il se permettra même une symphonie publiée gratuitement sur le net (Katagena, 2001) et un album en anglais sorti sous le pseudo Yellow Tricycle, A Lover’s Prayer (2009). Saez revient donc cette semaine avec l’énigmatique Messina, et comme il ne fait pas les choses à moitié, il est composé de trois galettes, respectivement intitulées « Les Échoués », « Sur Les Quais » et « Messine ». Ambiance.
Review complète
Disque 1 : Les Échoués
01. Fin des Mondes : Le morceau démarre sur une guitare sobre et très vite, la voix si caractéristique de Damien Saez arrive. C’est sombre, presque triste, et instantanément, les fans déçus par l’album J’Accuse sont rassurés, leur bon vieux Damien est de retour. Une batterie presque tribale, des backvocals envoûtants, des paroles pertinentes, qui traitent d’un thème cher à l’auteur, la société de consommation et ses dérives. Peu après la troisième minute, c’est la claque dans la gueule, les guitares saturées arrivent, la voix est distordue, une petite allusion à la polémique de l’affiche censurée (« A mon amour dans son caddie« ), le ton se veut revendicateur (« Il faudra leur couper les couilles et puis tant pis si le sang coule« ). Une entrée en matière nerveuse, qui à elle seule nous fait dire « Ah putain, c’est bien Damien ! ».
02. Les Échoués : Chanson qui a donné son titre au disque, dans la continuité du track précédent, qui démarre doucement pour exploser peu avant la deuxième minute. On aura même droit à un solo de guitare (fait assez rare pour être souligné) juste avant la fin, qui n’est pas sans nous rappeler l’époque Debbie et ses sonorités brutales.
03. Betty : Peu avant la sortie de l’album, le groupe a proposé en téléchargement gratuit (c’est pas Muse qui ferait ça, hein ?) sur son site officiel trois morceaux complets, et « Betty » était l’un d’entre eux. Même recette que les deux tracks précédents, on démarre tranquille pour exploser dans tous les sens, et bon dieu que ça fait du bien. Simple, efficace, et digne d’une diffusion radio (comme beaucoup de morceaux de ce triple album, ce qui est étonnant venant de Saez), avec un refrain qui reste en tête (« Et si l’amour est noir, noir, noir, aussi noir que Bettyyyyy !« ).
04. Marie : Marie. Les fans de l’artiste connaissent bien ce morceau, joué depuis des années en live mais qui n’a jamais eu l’honneur d’un enregistrement studio, c’est désormais chose faite. Et paf, grosse surprise dans ta face, la chanson est totalement différente de la version live. La « Marie » de Messina pioche totalement ses sonorités et ses influences chez le grand Jacques Brel, on notera une ressemblance frappante avec le morceau Ces Gens-Là. Première division au sein des fans, entre les déçus, les adeptes, et les perplexes comme moi, ne sachant pas vraiment que penser de cet OVNI. Après une première partie monotone, un orchestre symphonique fait une apparition grandiloquente peu après la troisième minute (« Aller, jusqu’à Broadwaaaay« ). Une chose est sûre, c’est original, riche, et efficace.
05. Faut S’oublier : Sublime ballade aux paroles poignantes, tantôt dépouillée, tantôt rythmée, empreinte de poésie (« Dans la rue aux mauvaises étoiles, sur les avenues bateau sans voile, les ivrognes aiment bien naviguer comme des soleils au champ de blé« ). Des petits « lalala lala » interviennent à la fin, ce qui n’est pas sans rappeler… Raphaël (je vais me faire casser la gueule par les puristes), mais néanmoins très efficaces et de circonstance.
06. Les Fils d’Artaud : Également disponible en free download sur le site officiel, certainement l’un des morceaux emblématiques de ce triple album, on retrouve la sobriété hypnotisante de « Jeunesse Lève-Toi », des paroles presque murmurées, une mélodie douce et mélancolique, qui s’achève en douceur sur un instrumental agrémenté de choeurs s’étalant sur deux minutes.
07. Le Gaz : On se reprend et on enchaîne sur une chanson traitant de rupture (ah ben ouais, c’est Saez hein), efficace est simple, à mon goût un des morceaux les plus faibles de l’album – mais qui reste très honnête néanmoins.
08. Into The Wild : Je suis resté légèrement sur le cul en voyant ce titre dans la tracklist au moment de la découverte, Into The Wild étant un de mes romans préférés (et le film est tout aussi bon). Damien lui fait honneur avec un texte traitant d’évasion, pestant comme à son habitude après les portables, connexions et câbles qui, d’après lui, nous parasitent. Presque touchant de naïveté, l’auteur se reprend rapidement et réussit à mettre en musique des mots que beaucoup auront vu traverser leur esprit (« Je sais qu’on partira jamais, mais que c’est bon de penser que l’univers est possible, puisqu’ici tout est impossible« ).
09. À Nos Amours : La guitare est abandonnée au profit du piano sur cette neuvième et dernière piste des Échoués, un morceau magistral, on retrouve la mélancolie propre à Saez, sublimée par une chorale qui arrive à la moitié de ce morceau dont on ne sait finalement pas si c’est un appel au suicide ou au contraire, une ode à l’espoir, mais dans tous les cas, dont on ne sort pas indemne.
Disque 2 : Sur Les Quais
01. Marianne : Contraste total avec le CD précédent, Marianne aurait presque un air de Matmatah quand le morceau s’énerve, accompagné par un « Heyheeyyyy » caractéristique à Damien, dévoilant une dynamique accrocheuse et des paroles qui donnent envie de chanter (« Marianne elle est fumeuse de joints – Ohooohooooooh« ). Marianne sonne comme une rupture sentimentale entre le chanteur et la république, comme si, après tant d’années à essayer de la réveiller, il s’était résigné (« Démocratie c’est fini on t’a pendu au pilori, Marianne elle aime faire la salope, Marianne le solidaire aux chiottes » ou encore « Je crois que Marianne est morte, sur l’autel des libertés, pourvu que le diable l’emporte, faut la brûler sur le bûcher« ).
02. Sur le Quai : Pas de répit avec cette deuxième piste qui respire les chants marins, contant l’histoire d’un amour perdu avec de nombreuses références à la mer, on sentirait presque les embruns nous caresser le visage (ouais, moi aussi je fais de la poésie). Chose étrange, le chanteur se parle à lui-même (« Mais damien lui n’entends rien, à croire qu’il aime bien les chagrins, croire qu’il aime bien rester là, là sur le quai pour des putains« ). Le morceau le plus dansant de Messina avec les première et troisième pistes.
03. Légionnaire : En parlant de troisième piste dansante, j’ai un peu de mal à accrocher à ce morceau, qui n’apporte pas grand-chose finalement. Je zappe rapidement, donc.
04. Webcams de Nos Amours : Saez aime bien s’en prendre à Internet et aux connexions, mais il nous apprend ici qu’il est amateur (ou au moins, que le narrateur de la chanson l’est) du cyber-sexe. Voilà voilà, à l’image de « Légionnaire », pas grand-chose à retenir de ce morceau qui, pour moi, manque d’âme.
05. Ma Petite Couturière : On revient en terrain connu avec cette cinquième piste, puisque le morceau est disponible depuis 2010. Ouais, vous avez bien lu. « Ma Petite Couturière » a été diffusé gratuitement sur le site officiel peu après la sortie de J’Accuse, accompagné d’un laconique « Extrait du prochain album disponible en octobre 2010″. Bon, ben le mois d’octobre aura été bien long puisqu’il aura duré deux ans. Très efficace, il commence comme une ballade et explose à 2:01, et parle cette-fois de chômage, les demandeurs d’emploi étant symbolisés par des couturières ayant perdu leur boulot. Voilà qui fait relever la tête alors que je commençais à décrocher !
06. Je Suis Un Étranger : Si je devais comparer ce morceau à un autre, ce serait « Le Cavalier Sans Tête », de l’album Paris. Léger, aérien, sympathique et très doux, ce titre nous fait voyager à sa manière, presque innocente – si tant est qu’on ne s’attarde pas sur les paroles, bien plus sombres que la mélodie.
07. Planche à Roulettes : On retrouve le style presque marin de « Sur Le Quai » avec cette piste, qui me fait étonnamment beaucoup penser à notre bon Renaud (d’ailleurs, il devient quoi lui ?) avec son « Marche à l’Ombre ». Bon après, c’est peut-être juste moi hein. Morceau très entraînant et agréable.
08. Rois Demain : Magique. Une sublime ballade acoustique basée sur trois accords, poétique, inspirée, qui donne envie de serrer dans vos bras la personne que vous aimez, qui donne de l’espoir et montre que Damien Saez est capable de parler d’amour dans sa forme la plus belle (« Je serai avec toi combattant impossible, je t’apprendrai à voir ce qu’on garde invisible, et s’il faut que chaque jour je devienne soleil, pour éteindre la nuit pour éclairer ton ciel, oui nous serons rois demain mon amour toi et moi, j’irai chercher de l’or pour chacun de tes doigts »). Moi, ça me parle, ça me plaît, ça me laisse sur le cul, bref, j’approuve.
Disque 3 : Messine
01. Thème Quais de Seine : Comme à son habitude, Saez parsème ses disques de thèmes instrumentaux, et Messina n’échappe pas à la règle. Après une introduction au piano viennent les cordes tout en douceur, pour s’envoler à la deuxième minute, n’étant pas friand de thèmes je dois avouer que celui-ci passe plutôt bien.
02. Aux Encres des Amours : Un morceau piano-voix-cordes qui respire le chagrin et le désespoir, chanté du bout des lèvres, presque suffoquant, qui traite à nouveau de séparation et dont la première partie nous poignarde droit au coeur, contrastant totalement avec « Rois Demain » qui nous laissait sur une note d’espoir. Vient une transition assez étrange, rappelant une fois de plus les grands classiques de la chanson française, Brel en tête, mélangé avec un tango très intense. Encore une fois, on aime ou on n’aime pas. Là, pour le coup, je n’aime pas.
03. Messine : Troisième morceau disponible sur le site off’ avant la sortie de l’album, et certainement un des points forts de ce triple décidément pas comme les autres, on y retrouve la structure classique des morceaux Saeziens (une première partie douce contrastant avec une deuxième partie beaucoup plus nerveuse), toujours aussi efficace.
04. Les Magnifiques : Surprenant morceau que celui-ci, pour une fois le chanteur ne semble pas parler de son couple mais bien de ceux qui l’entourent ! Une chanson qui donne le sourire malgré des paroles plutôt tristes, où le rêve et la réalité sont étroitement liés. On pense d’abord que Saez les méprise (« Ils ont des airs de religieux quand ils se disent leur prénom, ils se disent qu’ils seront éternels et pire encore, ils le croient« ), puis finalement on découvre une certaine admiration (« Ils se déversent, ils me dégoûtent, et pourtant putain qu’ils sont beaux, que même leur bêtise fait bien, oui qu’elle fait bien sonner les mots« ), et très vite le doute n’est plus possible (« Les magnifiques sont magnifiques quand ils se chantent leurs quantiques, au Pont des Arts il y a des regards qui font que la vie semble belle« ). On se retrouve avec un Damien presque compatissant pour tous ces couples qui finiront éclatés par une rupture, selon lui, inévitable.
05. Les Meurtrières : Le sourire retombe vite avec cette cinquième piste, où on replonge dans la tristesse d’un Damien ayant perdu son amour un 11 septembre (j’aime penser que c’est vrai) et qui fait donc le parallèle avec les attentats (« 11 septembre au gré des cendres, le monde en pleurs pour le Center, et moi qui pleure pour mon amour je sauterais bien du haut d’une tour, bien sûr la mienne est fille unique mais elle aurait le goût du ciel, elle aurait le goût du tragique, des meurtrières« ) et surtout au fait que sa rupture lui occupe totalement l’esprit au point qu’il n’éprouve aucune émotion pour le WTC (« Je les regarde faire leur deuil, non moi ça ne m’émeut pas, mon coeur est pris par d’autres crimes, il est pris par l’amour de toi« ). Un morceau poignant et interprété avec brio, où chacun se retrouvera pour peu d’avoir un jour vécu une rupture douloureuse.
06. Bouteille à la Mer : Après la bouleversante piste précédente, difficile d’accrocher à ce morceau, rappelant la grandiloquence de Marie malgré une introduction à la « Varsovie ». Personnellement, ça ne passe pas.
07. Ami de Liège : Un nouveau morceau piano-voix, humble et presque religieux, qui est un hommage aux victimes des tueries ayant survenu à Liège en décembre dernier. Triste et honnête, j’ai malgré tout du mal à m’identifier à cette chanson, n’ayant pas suivi l’actualité à l’époque. Les familles des victimes seront néanmoins certainement très touchées, la voix de Damien et ses accords se prêtant particulièrement bien à cet exercice.
08. Le Bal des Lycées : Le morceau le plus mélancolique de ce triple album, qui parle de la jeunesse perdue, des désillusions, des regrets du temps passé, des amours perdus où même jamais nés. Une réussite sans faute.
09. Thème Aux Encres des Amours : Honnêtement, j’ai vraiment du mal à trouver une utilité à cette piste, qui me semble n’être qu’un simple instrumental du morceau éponyme, ou si ce n’est pas le cas, une version bien trop proche. La seule raison possible à mes yeux étant un moment de pseudo-répit avant de clore l’album sur la dernière piste, Châtillon-sur-Seine.
10. Châtillon-sur-Seine : Le triple album s’achève sur un piano-voix du plus bel effet, où Damien rend hommage à deux de ses proches, une dame nommée Nelly et son professeur de musique Bruno, qui seraient, à ce que j’ai pu lire, tous deux décédés au cours de l’année dernière. Empli d’émotions, on se sent presque voyeur et intrus à l’écoute de ce morceau, définitivement très personnel.
Conclusion : 18/20
C’est sans grande surprise que je peux affirmer que Messina est l’un des meilleurs albums de Saez, si ce n’est le meilleur. Les quelques points faibles sont vites balayés par le nombre élevé de chefs d’oeuvre, et c’est avec plaisir que nous retrouvons un Damien plus mûr et sûr de lui, alors que nous l’avions laissé révolté et moins inspiré sur J’Accuse. Un grand bravo et surtout, un grand merci.
Ma sélection : Betty, Rois Demain, Les Meurtrières
Taz
Source : morethanrecords.wordpress.com