Le triple album Messina contient « Les échoués », « Sur les quais » et « Messine » (Messine est une ville italienne de Sicile – pas de quoi, ça me fait plaisir…). Sorti le 17 septembre. 27 titres, dont deux thèmes instrumentaux.
Son dernier album, J’accuse (2010), avait, assez inexplicablement, fait scandale (l’image du poster, une jeune femme nue dans un caddie, avait choqué les bien-pensants, persuadés du caractère sexiste de cette dénonciation…). Les fans attendaient avec impatience de nouvelles tribulations musicales. Ils ne seront pas déçus ; Après Messina, on attend Miami , le 3 décembre prochain. Vous n’êtes pas sans connaître le triple album Varsovie - L’Alhambra – Paris (n’est-ce pas?). On s’attend, avec Messina au même travail de ce chevalier de l’amer, protecteur des échoués, pourfendeur des injustices commerciales et de l’absurdité du monde : un travail à l’encontre des tubes de l’été.
Les retrouvailles sont à la hauteur des espérances.
On trouve, en effet, dans cet album à trois têtes, une nouvelle perle ajoutée à ce fier collier de lyrisme désenchanté porté par une voix perpétuellement en mue (Saez déteint sur ses auditeurs, j’ai déjà remarqué : ils se piquent de poésie…). On y trouve des chansons aux prénoms féminins (Betty, Marie, Marianne), comme à l’accoutumée ; « Planche à roulettes » rappelle « Sur mon tricycle jaune ». Et on renoue avec une révolte adolescente qui n’a pas pris une ride.
Saez est décidément un poète des temps modernes : toujours révolté, toujours écorché.
Mais, la différence profonde de cet album triplé se situe dans… la musique.
Car, si ce chanteur étrange nous transporte parfois jusqu’à nous donner l’envie irrépressible de voir le monde tel qu’il est (et tout ça n’est pas joli joli, croyez-moi), on se demande toujours un peu pourquoi il a fait de la musique son domaine d’action plutôt que d’écrire des poèmes, entre la lucidité d’un Rimbaud, la cruauté d’un Baudelaire, et la révolte d’un Artaud (dont il se réclame dans le joli morceau intitulé « les fils d’Artaud », d’ailleurs).
Messina nous apporte une jolie réponse.
Première chose : Damien Saez évite de pousser sa voix dans les aigus et d’hurler dans le micro. Tout est doux, presque psalmodié, entre chant et parole. On apprécie l’acoustique et le ton quasiment intime donné à ses attaques acerbes. Au point que les albums s’écoutent sans fatigue et l’on est pris par un rythme général presque ancestral. Tout est fait pour porter la voix au mieux : l’instrumentation, complexe mais subtile, s’efface juste assez pour mettre en valeur les mots et les sublimer. On écoute chaque morceau comme un petit fragment de révolte, en cohérence absolue avec les autres. Notre artiste dresse ainsi un portrait-robot d’un échoué, poète marginal, écorché transpercé de joie de vivre, qu’on a envie de consoler. « Mais Damien n’entend rien, à croire qu’il aime bien le chagrin »… Un retour sur soi transparaît : une sorte de maturité peut-être (fallait bien que ça arrive un jour).
Joli ensemble.
On peut toutefois préciser que « Les échoués » est plutôt acoustique (piano et guitare), « Sur les quais » est plus rock, et enfin « Messine » est baigné de musique orchestrale, classique. Du plus simple au plus ciselé, donc.
On entend dans cet album des influences intéressantes. Ainsi, le titre « Marie » ressemble étrangement (au niveau instrumental en tout cas) à la chanson « Ces gens-là » de Jacques Brel (mais si, souvenez-vous…). On a parfois l’impression d’entendre une bouture de Noir Désir (« Faut s’oublier », « Le gaz », « into the wild », « Sur les quais »,…), des étincelles de Gainsbourg, de Brassens, et d’autres fantômes encore planent vaguement dans les coins…
La pochette, mosaïque de photos prises par Damien Saez et Mathieu Morelle, est noire et sulfureuse à souhait. Eros et Thanatos ; le sexe et la mort se battent en duel pour attirer le regard, à l’instar du chanteur qui supplie « Laisse pas mes yeux dans leur sueur ». A bon entendeur, amis de la poésie…
Thierry De Pinsun
Source : bringmtsound.com