L'enfant terrible du rock français est de retour avec un nouvel album incendiaire
Plus de dix ans après son premier opus qui l'avait révélé d'entrée de jeu au public, Damien Saez renoue avec une chanson engagée, quasi insurrectionnelle. Servi par un rock sauvage et quelques perles acoustiques, son sixième album – il avait sorti A Lovers Prayer en 2009 sous le pseudonyme de Yellow Tricycle – multiplie les références libertaires, nihilistes et anarchistes. Baptisé du titre choc lourd de sens J'accuse, il n'était pas encore dans les bacs que sa pochette, présentant une jolie blonde longiligne nue lovée dans un chariot de supermarché, était censurée par les régies publicitaires chargées de son affichage public. Maudit ? L'artiste – bien qu'il préfère le mot artisan – revenait sur l'affaire, sa carrière et son nouvel album avec Rolling Stone dans un café parisien. Entretien.
Que diriez-vous au garçon que vous étiez en 1999 si vous le rencontriez aujourd'hui ?
De ne pas perdre son temps avec les filles ! C'est difficile de répondre à cette question. J'ai fait ce que je voulais faire quasiment juste après avoir quitté le lycée, mon bac et mon diplôme du conservatoire en poche, quand d'autres galèrent des années pour percer dans la musique. Je lui dirais de croire en la chance car j'en ai eu, même si j'ai été confronté à pas mal de galères. Je fais aujourd'hui mes disques moi-même et dois donc les financer aussi. Malgré tout je sius satisfait de mon parcours, même si c'est un peu prétentieux.
Votre carrière s'est-elle déroulée comme vous l'aviez imaginé ?
Non. Je voyais les choses plus simplement qu'elles ne l'ont été. Je voulais juste faire de la musique et des concerts, mais dans le même temps, le disque est devenu une industrie, de mauvaises habitudes ont été prises, si bien que je me suis rapidement rendu compte que je n'étais plus en phase avec un tas de trucs.
Lesquels ?
Ma première maison de disques par exemple. Il faut comprendre que mon premier album avait très bien marché et allait participer à son fonctionnement, comme aux salaires de ses employés. J'attendais donc un peu plus de considération qu'un de ses artistes préfabriqués, mais le jour où j'ai refusé d'aller à une émission de télé, l'attachée de presse n'a plus voulu travailler God Blesse, mon deuxième album. Elle aurait été virée si elle avait été chez Colgate et avait refusé de travailler un dentifrice ! Il faut aller jusqu'au bout de la logique de produit quand on veut vendre des sonneries de portables pour faire du cash. Il en était hors de question pour moi.
Vos relations avec les médias n'étaient pas évidentes non plus...
Je me souviens d'un journaliste qui m'avait dit, lors d'un festival que j'étais le descendant de Rimbaud, alors que Moby était en train de jouer sur scène. J'aurais pu le prendre pour un compliment, mais ce n'était tellement pas ce que je suis, ni le moment d'en parler, alors qu'il ne l'avait peut-être en plus jamais lu, que je me suis senti écœuré par tout ce cirque.
Que s'est-il passé avec la pochette de votre nouvel album qui a déclenché une polémique ?
Je n'y ai d'abord pas cru lorsque j'ai appris qu'elle serait censurée pour la campagne d'affichage. Cette photo pouvait tout à fait susciter un débat, mais de là à censurer. Puis je me sus rendu compte qu'il y avait réellement des associations qui ne voulaient pas de cette affiche. Voilà où en est ce pays !
Qui l'a interdite en définitive ?
L'autorité de régulation de la publicité n'a fait qu'émettre un avis. Ce sont les régies publicitaires, qui se sont autocensurées et m'ont censuré du coup. Elles n'assument pas leurs propres règles capitalistes ! On peut me dire ce qu'on veut, mais elles n'avaient rien à craindre. C'est à moi qu'on aurait collé un procès, pas aux réseaux publicitaires !
Le titre de l'album J'accuse aurait cependant pu lever tout ambigüité.
Il donne une orientation sur la manière d'interpréter la photo, mais ce n'est que le titre d'une chanson qui permet de clarifier mon propos sur l'ensemble de l'album. J'y dénonce une époque sans foi, ni loi, où les gens ne croient plus à rien. On peut le comprendre sans connaître Zola. Je suis sûr qu'il a déjà été utilisé dans le Rap, sans référence à l'affaire Dreyfus. Mais je ne vois pas de problèmes à ce qu'on y voit un hommage à son article paru jadis dans L'Aurore. Il y a longtemps que la Presse n'a pas joué un rôle aussi fort !
L'anarchie a t-elle encore un sens aujourd'hui ?
Je pense que nous vivons en pleine anarchie, mais qu'elle est économique ! L'économie n'a en ce moment ni Dieu, ni maître. Le monde n'est finalement gouverné par aucune loi. C'est terrible parce que je me sens réactionnaire en le disant ! (Rires) Mais je sais de quoi je parle et ne me sens pas déconnecté du réel. Je la vois, l'augmentation des prix ! On a voulu faire croire au gens que n'importe qui pouvait devenir artiste et que nous étions tous gavés de tunes. J'ai passé trois ans sans Carte Bleue à l'époque de l'enregistrement de Varsovie parce que je n'avais plus d'argent. Je me suis un peu renfloué à sa sortie, mais je sais dans quelle armée je me suis engagé, je n'ai pas de cas de conscience par rapport à ça !
Est-ce l'envie de chanter qui vous a poussé à écrire, ou l'inverse ?
Il y avait beaucoup de lectures musicales au conservatoire, mais c'est l'écriture. Je n'étais pourtant pas spécialement doué en français jusqu'en seconde ou première, mais mes profs ont su m'intéresser au programme, au travail des auteurs, à la musicalité de certains poèmes. Je me suis mis à lire et à m'entraîner à écrire. Mes premiers textes avaient toutefois plus valeur de psychanalyse, que littéraire.
Pourquoi vos textes paraissent-ils si extrêmes ?
Je n'ai pas d'autre choix que la chanson d'amour ou la chanson socialement engagée ultra-réaliste. Il n'y a pas d'entre-deux. Sur le nouvel album, ils se lient beaucoup les uns aux autres dans un cheminement qui part du plan large, d'un décor, d'une époque, avec Les Anarchitectures et Pilule, puis se resserre vers l'humain avec des prénoms, comme avec Marguerite. Cette chanson a un côté Renaud, un peu titi parisien un peu. Il fallait ramener les choses à ce qu'elles ont d'important, c'est-à-dire les relations entre deux êtres, bien qu'elle parle d'un amour assez toxique. C'ets plus chrysanthèmes que marguerites au final ! Ce n'est pas la fille dont on a forcément envie qu'elle revienne (Rires.)
Vous vous êtes souvent adressé à la jeunesse avec des titres comme Jeune et con ou Jeunesse lève-toi. Pourtant elle n'a jamais paru aussi endormie que ces dernières années. Vous écout-t-elle vraiment ?
Ou peut-être m'écoute-t-elle trop ! (Rires.) Elle se sent rassurée parce que je suis là et qu'il suffit de chanter des chansons. De tout façon, c'est moi qui me tape les procès ! (Rires.) La réponse à votre question était déjà dans Jojo sur le dernier album de Brel, lorsqu'il écrit : « Tu me parles d'une jeunesse vieille. » Les cours de collèges me font flipper. La tâche des profs me paraît désormais insurmontable. La société a fait le sacrifice de choses essentielles au niveau des fondations de qui nous sommes en tant qu'homme et femme pour justifier d'un tas de conneries !
Quel est le nouveau combat aujourd'hui ?
Se rééduquer ! Il y a trop de fractures dans le monde et entre les gens. Ça sent le soufre. Je pense sérieusement que le feu couve.
Quand avez-vous commencé à travailler sur ce nouvel album ?
En mai 2009. Je n'ai pas vu le jour pendant un an. J'avais dans l'idée qu'il soit très incisif, après le larmoyant Varsovie, et donne envie d'être écouté en concert. C'est aussi une réponse à Jours Etranges, mon premier album, dix ans plus tard, avec un jeu de miroir entre les deux disques. J'y parle à nouveau de cours de lycées. C'est quelque chose qu'il faut assumer quand tu as plus de 30 balais. Le public me retrouver enfin !
Pourquoi avez-vous vite eu une réputation d'artiste, hum... comment dire... caractériel ?
C'est vrai qu'à une époque, j'ai réagi très durement à certaine choses. J'avais laissé deux choix à mon ancienne maison de disques car je lui devais encore un album contractuellement après Debbie. Soit je partais, soit j'enregistrais un disque que j'ai toujours eu envie de faire avec des textes d'Antonin Artaud sur de la musique électronique. Elle avait une grosse avance financière à mettre, que j'aurais prise pour composer l'album dans ma chambre, sachant qu'elle n'en vendrait pas des masses. Ma demande de conditionnelle a logiquement été acceptée !
Cette censure est-elle embêtante ou bénéfique pour vous ?
C'est embêtant car j'ai été obligé de me justifier pour qu'il n'y ait pas de doute sur mes intentions, loin de vouloir faire un coup de pub. La photo est née un peu par hasard. Un gars est revenu au studio avec le chariot après avoir fait des courses au supermarché pour toute l'équipe. Je vends mon disque, donc autant l'assumer, l'image de l'objet me paraissait parfaite. La beauté de la femme à l'intérieur devait poser la question de savoir qui allait prendre le dessus ? Se complaisait-elle dedans ? Elle fait aussi référence au cinéma de Marilyn Monroe et de Monica Vitti. Jean-Baptiste Mondino savait que je ne le paierais pas une fortune pour cette photo. Il voulait juste participer à une création.
Faites-vous la part des choses entre vos textes à messages ou plus littéraires et vos histoires personnelles à but thérapeutique ?
C'est très difficile. Debbie était un album qui ne sortait pas de la douleur ou de la joie. J'avais mis quatre mois à écrire les textes, tandis que ceux de Varsovie l'ont été en une semaine et demie. C'était quasiment de l'écriture automatique sur un seul sujet, très conceptuel et très personnel. Le nouveau est encore différent. Il ne se pose pas de question. J'aimerais maintenant arriver à écrire comme Boby Lapointe ou Serge Gainsbourg, une sorte de pop ultime où la légèreté implique aussi de la réflexion.
Pourquoi aimez-vous regarder les filles pleurer dans la chanson du même nom ?
On va encore me faire passer pour un sexiste ! Ce texte est une pure fiction avec un côté très Brel. Le personnage est un peu l'idiot de l'histoire, comme s'il avait apporté des bonbons à une fille, alors que les filles d'aujourd'hui s'en foutraient complètement. Mais la fin de la chanson est aussi un hymne aux femmes, car finalement ce sont souvent elles qui morflent dans le monde actuel.
L'argent fait-il le bonheur ?
Tout le monde court après ! Voilà ce que l'on est devenus. J'ai cependant remarqué que parmi tous mes potes d'enfance, fils d'immigrés ou de boulangers, aucun ne s'est suicidé, alors qu'il y en avait beaucoup parmi les élèves des collèges et lycées plutôt bourgeois que je fréquentais à cause de mes études au conservatoire de Dijon.
Vous n'avez pas été tendre avec ses habitants dans vos déclarations.
Pardon Dijon ! Il faut comprendre que j'étais bien content d'en partir et de découvrir Paris à l'époque. C'était lunaire au niveau des bars. La ville était très orientée à droite, bien que la mairie soit passée à gauche depuis, mais les mentalités étaient vraiment très bourgeoises ! Sa jeunesse dorée de bonnes familles issues des grandes propriétés viticoles se gavait de techno dans les boites de nuit. C'était une vision terrible. Et les rues de Dijon n'étaient que des bacs à fleurs pour mémés à chiens.
Quelles sont vos fondations ?
Je dirais les tours de béton. Là où j'ai grandi.
Comment est le public de vos concerts ?
Les gens qui viennent me voir sont assez différents. Je ne sais pas s'ils se retrouvent en moi et dans mes textes, car j'ai aussi l'impression que l'attitude que j'ai décidé d'adopter au début, c'est-à-dire de ne pas participer au grand juste prix et rester en contact avec la réalité, parle autant aux gens de nos jours que mon travail. J'ai vraiment voulu incarner mes chansons.
Sous quel soleil vous sentez-vous bien ?
J'aime bien la montagne et la nature en général. C'est agréable de pouvoir relativiser les choses à son contact, « auprès de mon arbre », comme disait Brassens. Donc c'est à l'ombre du soleil.
Avez-vous vu la lange anglaise comme un fruit défendu dans lequel vous avez fini par croquer sur l'album A Lovers Prayer sorti l'an dernier sous le pseudo de Yellow Tricycle ?
Oui. On peut le dire sachant qu'il y avait aussi quelques titres en anglais sur God Blesse. L'album A Lovers Prayer m'a surtout permis de faire ma bande originale de film. Il m'a fallu un an pour l'écrire avec une traductrice de poèmes. Il était près avant Varsovie. Je ne trouve pas que les textes sont si éloignés de ce que j'aurais pu écrire ne français. Je n'ai jamais pensé que l'anglais sonnait mieux que le français. Le lyrisme de la voix est différent. Il va me permettre d'aller faire des concerts à l'étranger, dans des pubs, de manière très simple, ce que je ne peux plus faire en France. J'ai vraiment envie de refaire ça, de refaire ce pour quoi je fais ce métier.
Julien Gaisne