Attendu comme une sorte de messie musical, le nouvel album de Saez.
Après avoir passé les étapes du deuxième puis troisième album, c’est aujourd’hui, anniversaire de mai 68, que l’on attend Saez au tournant. Icône d’une jeunesse rock’n’roll mais consumériste, désanchantée mais rebelle dans les idées, en adéquation avec son discours.
Triple album, trois villes, trois voyages, mais un seul dont on ramenera des souvenirs.
Car ce triple est une déception cuisante. Quelques extraits des paroles :
"Au dela du brouillard c’est encore le brouillard"
"De l’automne à l’été cest toujours l’hiver"
"L’amour c’est la mort et t’aimer c’est mourir"
Saez a toujours donné dans la poésie "simple", les images faciles et universelles. Mais ici, l’absence de mise en musique donne l’impression plate d’une philosophie de comptoir, niveau Brice de Nice.
L’absence quasi totale d’accompagnement sur L’alhambra et Varsovie offre des textes déclamés, psalmodiés ou murmurés, le plus souvent marmonés sans être articulés. C’est aussi palpitant que Le jour du Seigneur sur France 2.
Le "chant" est nasal, se rapprochant dangereusement d’Olivia Ruiz. Les rythmiques sont très basiques. Au final, , ce qui aurait pu passer pour de l’épure totale devient de l’hyper -prétention autocentrée.
Ce que Wagram a payé en promo aura préalablement été économisé en artistique. Quasiment aucun musicien à payer, pour une production faite de simples accords plaqués, sans volume.
Arrive l’album Paris. Premier titre ; le fameux buzz "Jeunesse lève toi". C’est plus rapide, plus sympa, tout à fait écoutable. La chanson est orchestrée, il y a des instruments, un mixage, des arrangements. Les paroles sont dans une veine "J’veux du nucléaire", un peu comme avant. Il y a même une batterie !
"S’en aller" continue sur la lancée, mélancolique et pessismiste, parsemée d’images à la Saez, quelques mots clés, de l’amour désespéré...
"Alice" : premières notes prometteuses, western, solitude désertique, mots wagabonds... On commence à retrouver Saez. Des basses, une ambiance, "Apocalypse enfin". On est entre "Jeune et Con" et "Debbie" , "à hurler du silence". D’un coup d’un seul, les paroles paraissent moins mièvres, car accompagnées. Tout est dans l’ambiance, et dans la proposition musicale.
"Le cavalier sans tête", est comme du folk sensible. La voix est légère, les paroles touchantes comme une réminiscence enfantine.
"Putain vous m’aurez plus" est la chanson à écouter si vous voulez déprimer, si vous allez partir ou que vous venez d’être quitté. Cette chanson va coller à vos descentes d’utopies, à vos pertes d’espoirs, à vos colères flasques. Saez, enfin.
Le problème de cet album pour Saez, est peut être le même que celui de Lorie : une déconnexion entre l’artiste et son public. L’artiste a changé, le décor de la société a changé, et il a suffit de quelques années pour que le public grandisse en parallèle.
Aujourd’hui Saez a peut être perdu une partie du contact infime et intime avec son auditoire. Comme un amour s’estompe, s’efface, puis s’oublie. Il reste sans doute le même, en tous cas cette oeuvre tente de nous le faire croire : nous donner ce qu’on aime de Saez, ce qu’on a aimé.
Mais ce qui touchait à l’époque de Jours étranges, puis -surtout- pour God Blesse , commencait déjà à perdre consistance avec Debbie. Il y avait bien plus d’énergie rock dans Debbie, mais déjà moins de colère intérieure.
Saez trouvera-t-il un nouveau public sans tout perdre de ses anciens adeptes ? Les premiers chiffres tendent à répondre oui. Entrée directe en 3ème position du top album (semaine du 20 au 26 avril) avec 17 000 exemplaires vendus (après Madonna et Cabrel). Plus en entrée en 6ème position du top téléchargement (Source : Musique Info Hebdo). Une très belle réussite pour un label indépendant (Cinq7).
Varsovie est comme la peinture d’une époque gâchée, d’ores et déjà perdue pour nous. "Regarder l’apocalypse, attendre la fin de l’éclipse". Ce triple album est donc un constat de peine perdue, de trop tard, de plus rien à faire à part survivre.
Un autre artiste aurait fait ça, l’album aurait été considéré comme chevrotant, expérimental, triste, et surtout ennuyeux.
Reste le profond mérite d’être indépendant, différent. Il est certain que Saez ne peut se cataloguer avec Garou, Empyr ou Cali.
Le véritable 4ème album de Saez restera Paris, le triple étant une intégrale avant l’heure destinée aux purs fans.
Mathieu Beurois