Refusant de passer à la télé, le chanteur Damien Saez, 30 ans, s'est construit un public fidèle. La preuve : ses fans s'arrachent son quatrième disque, troisième du Top dès sa sortie. Et ses concerts aux Bouffes du Nord affichent complet.
SEUL contre tous. Voilà qui pourrait résumer Damien Saez. « Cela me plaît. C'est le héros du film, le mec qui n'a pas d'attaches. Si t'es seul, t'es libre. C'est aussi le fait de l'affirmer haut et fort qui agace, dire par exemple aux médias : Je vous emmerde, je n'ai pas besoin de vous . » Il ne veut pas plaire à tout le monde. Cela tombe bien : beaucoup le détestent, exaspérés par son côté donneur de leçons, voire mégalo. Son nouveau disque ne devrait rien arranger. « Varsovie - l'Alhambra - Paris », quatrième CD qui vient de sortir, est un triple album de 29 titres. Pourtant, l'enregistrement gargantuesque a effectué un démarrage tonitruant. Il y a quinze jours, lors de sa sortie, il faisait une arrivée fracassante en troisième position du Top, juste derrière Cabrel et Madonna avec 17 000 exemplaires vendus. Cette semaine, il pointe encore en dixième place. Pendant ce temps, ses deux concerts au Théâtre des Bouffes du Nord prévus les 25 et 26 juin se sont remplis en une journée et les fans faisaient monter les enchères sur eBay pour s'arracher une vulgaire affichette annonçant la sortie de son nouveau disque.
« Cela fait du bien de ne pas m'entendre brailler »
A 30 ans, le Dijonnais Damien Saez ne laisse pas indifférent. Et cela depuis la sortie en 1999 de son premier album, « Jours étranges », et du tube rock « Jeune et con », « un hymne que l'on entend encore à la radio », balance-t-il sans complexe. « Je sortais de nulle part et j'en ai vendu 300 000 sans pub télé. Chez Universal, ils n'en revenaient pas. » Depuis, il a quitté cette grosse maison en refusant l'avance importante accordée pour son quatrième album. « Je suis parti sans rien, je n'ai plus eu de carte bleue pendant huit mois mais cette boîte m'insupportait. Elle a choisi son camp quand elle s'est maquée avec TF 1 pour créer « Star Academy » . Je n'avais pas envie que mes disques soient défendus au milieu de tous ces trucs pourris. »
La singularité de Saez réjouit ou irrite, au choix. Son chant emphatique et ses envolées lyriques singeant Brel ou Noir Désir confinaient au ridicule dans ces précédents disques. De mauvaises habitudes qu'il a toujours assumées. « Oui, j'en ai fait trop parfois mais à l'époque je ne m'en rendais pas compte. Mon premier album est sorti quand j'avais 22 ans. Il avait été écrit quatre ans avant. Ce n'est rien de plus que des chansons d'un mec de 18 ans. »
Cette fois, sur ce nouveau disque, Saez a débranché l'électricité, baissé sa garde et oublié souvent ses tics vocaux pour un enregistrement, essentiellement en guitare-voix, d'une sobriété inattendue. « Cela fait du bien de ne pas m'entendre brailler, je me suis fait violence pour ne pas me lâcher. » Le propos s'y prêtait. « Varsovie - l'Alhambra - Paris », disque de rupture puis de réconciliation avec la vie, chemine par de multiples sentiments amoureux et présente un Saez moins en lutte. « J'essaie surtout de la comprendre. Avant, j'avais un comportement frénétique, boulimique avec de l'alcool, de la drogue, du cul. Je passais du monastère au sexodrome. Désormais, j'essaie de revenir à mes fondations et de creuser ailleurs. »
Pour la première fois en quatre albums, il montre même son visage sur la pochette. « Ne pas apparaître, c'était une religion. Aujourd'hui, je suis plus en paix. » Ce n'est pas pour cela que Saez va se laisser tenter par les sirènes cathodiques. « J'ai toujours refusé la télé. Je ne veux pas raconter ma vie dans un talk-show à côté d'une actrice de porno, aller à la pêche pour dire aux gens d'acheter mon disque. Je préfère la voix anonyme. »
Emmanuel Marolle