Son arrivée sous les projecteurs ressemble à une marche triomphale. Micro en main, Saez s'avance en étirant une litanie à capella. Des cris partent d'un chapiteau surchauffé dès les trois coups. Sans tarder un rock solide, sans concession jusque dans ses subtils raffinements, s'installe au coeur de Nancy Jazz Pulsations. Le claquement de la guitare fait mal, un véritable coup de semonce qui se pose sur cette nuit saturée. A genoux au centre de la scène, le corp plié en avant, le chanteur va chercher au plus profond de lui des cris d'une interminable colère. Tracé au feutre d'une écriture nerveuse, il y a sur le dos de son t.shirt trop grand, le titre à scandale de Virginie Despentes ["Baise-moi"]. La provocation fait partie, elle-aussi, de l'histoire de Saez. Une façon de briser les lieux communs qui freinent notre marche en avant. Le climat de ce prélude hésite entre un blues rugueux et la furia déjà. Très vite, le mouvement s'accélère, les accords percutent la peau. Les murs de guitare tourbillonnent, hallucinants de virulence. Le bonnet enfoncé sur la tête au lever de rideau finit parmi les premiers rangs.
"Nancy, je n'ai pas oublié. C'était il n'y a pas longtemps, mon premier concert". Après quelques notes d'un classique du Pink Floyd d'où il a extrait une phrase clé de sa réflexion, "we want no more education [sic]", Saez peut placer sa première banderille. La version scénique de "Jeune et con" est plus échevellée, plus obsédante encore que l'original. Le bras accompagne les phrases lapidaires d'un va-et-vient nerveux. Les décibels partent en rafales autour de ces phrases qui font mal tant elles multiplient les arrêts images sur l'état de la planète ... "Puisque des hommes crèvent sous les ponts et que ce monde s'en fout". La main mouline sur la six cordes. La batterie tape dans le même registre assourdissant. Avec les ballades, tout aussi mordantes, le son d'un orgue puis un piano ont toujours cet accent de folie torturée. La voix traînante, plaintive par moment ne laissent pas de répit.
Saez, soutenu par un gang de premiers couteaux, ne fait pas partie de ces poseurs encombrant le genre. Il est à classer parmi ceux qui, à l'instant de monter en première ligne, posent tout sur la table. A la troublante ode à son "héroïne" fait suite une mise en coupe réglée d'un classique de la variété, "Titanic". Il précise dans une moue de mépris pour "Di Caprio et Céline"... Tout est question de culture. Le chant est devenu grandiloquent et aigu jusqu'à la répultion avec pour toile de fond ces dissonances cultivées, avant lui, par les punks. Au rappel, "Jours étranges" avec sa "mélodie" pleine de nuances a des allures de coup de grâce.
Jean Paul Germonville