Marginal dans le milieu du show-business, Damien Saez remplit les salles où il se produit sans faire parler de lui dans les médias.
Oui, Saez est agaçant. A 27 ans, ce jeune homme originaire de Dijon, en concert à guichets fermés ce soir au Zénith, en fait effectivement des tonnes. Le musicien a notamment des accès de lyrisme inutiles qui confinent à la sottise. Et puis, on aura toujours du mal à l'entendre chanter « écorchai » au lieu d'« écorché » ou « méga-citai » à la place de « méga-cité ». A cause de ça, Damien Saez est détesté par les uns, ignoré par les autres. On pourrait en rester là. Sauf qu'il se passe quelque chose avec lui. Un phénomène que l'on observe rarement autour d'un artiste méprisé par la profession, quasi-absent des radios, refusant les télés mais qui remplit les salles.
Exemple, le 23 mars dernier au Transbordeur de Lyon, où s'entassaient près de 2000 personnes fuyant la musique prémâchée par la télévision, auxquelles ses chansons parlent, incontestablement. Il suffit de voir, pendant plus de deux heures, tous ces bras levés, toutes ces voix hurlant les textes, tous ces spectateurs criant régulièrement « Merci Damien »... « Il aborde beaucoup de sujets de société et donne envie aux jeunes de se bouger », explique Mathilde, 20 ans, après coup. C'est d'ailleurs comme ça que Saez a commencé, en 1999, avec son premier single, « Jeune et con », « Puisqu'on est jeune et con, puisqu'ils sont vieux et fous », clamait le refrain, au milieu d'un rock à la Noir Désir.
« Ce premier album était le journal intime d'un ado de 17 ans », raconte aujourd'hui l'intéressé à propos de « Jours étranges », qui s'était vendu à près de 300 000 exemplaires. De quoi donner des ailes à une grande gueule. Après, Saez a eu un avis sur tout : le commandant Massoud, le président Bush, le 11 septembre... Cela s'est transformé en « God Blesse », en 2002, double CD certes mégalo, mais où l'on sentait que, derrière cette poésie adolescente mal digérée, se cachait un vrai compositeur capable de fulgurances. Une intensité rock que l'on retrouve dans son dernier disque, « Debbie », et actuellement sur scène, où le public boit chacune de ses paroles.
« Il emploie des belles images, des métaphores, souligne ainsi Antoine, un fan de 19 ans. Dans « Fils de France », plutôt que de citer Le Pen, il préfère chanter « Au royaume des aveugles, les borgnes sont les rois. » Ce titre résume peut-être tout le phénomène Saez. Ecrit à toute vitesse après de premier tour des présidentielles d'avril 2002, il dénonçait le score historique du Front national. Disponible uniquement sur internet quelques heures plus tard, la chanson est devenue un hymne en concert. Parole spontanée, maladroite, mais succès à l'arrivée.
Une tournée acoustique à l'automne
La semaine dernière à Lyon, Saez entretenait encore ce lien direct avec les spectateurs, alors que les ventes de son dernier album ont à peine dépassé les 50 000 exemplaires. « On parle beaucoup du téléchargement, mais il n'y a jamais eu autant de monde dans les concerts, lançait-il au public. C'est ce qui se passe quand on évite les intermédiaires entre vous et moi. » Damien Saez semble cracher dans la soupe en évoquant ainsi, à demi-mots, sa maison de disques Universal. « Pour moi, c'est déjà fini avec eux, même si je leur dois encore un disque, assène-t-il. J'ai fait le tour de ce milieu où je n'ai pas un ami. Je réaliserai une tournée acoustique à la rentrée et je pourrai ainsi enregistrer un album sur scène. » On sait qu'il parviendra encore à remplir les salles sans l'aide de personne. Il a l'habitude.
Emmanuel MAROLLE