Alors que ces dernières années, le public et les professionnels de la musique ne cessent de plébisciter la « Nouvelle scène française » -Vincent Delerm, Sanseverino, Bénabar, Keren Ann ou autre Benjamin Biolay- (Damien) Saez fait figure d'intrus, voir carrément d'extraterrestre.
Car, quand ses confrères utilisent avec finesse et modération, comme accompagnement de leurs chansons, piano ou accordéon, le jeune Damien abuse sans modération aucune des guitares électriques, aux sons saturés de préférence.
Héritier de Rimbaud, des Sex Pistols et de Noir Désir
Il sait marier avec bonheur sa révolte post-adolescente et son inspiration musicale nourrie par la scène rock anglaise. A l'écoute de « Jeune et con », « J'veux du nucléaire » ou « Fils de France », on s'étonne de sa clairvoyance, de sa voix adolescente et de ses textes rageurs. Alors, lucide ou simplement désespéré Saez ?
Damien Saez voit le jour le 1er août 1977 à Marseille. Ensuite vers la moitié des années 80, il vit à Dijon, avec ses deux jeunes frères. Contrairement à ce que pourraient laisser penser ses textes, il passe une enfance sans histoire, et surtout sans conflits familiaux ni drogue. Sa mère est éducatrice pour adolescents en difficulté et son beau-père est réalisateur à France 3. Des parents qui lui laissent faire ses propres choix, tout en l'orientant vers la culture et le savoir. Ainsi Damien rentre-t-il au Conservatoire de Dijon dès l'âge de huit ans pour apprendre le piano, qu'il abandonne à l'adolescence pour la guitare, plus en phase avec ses idées du moment : Pink Floyd, Noir Désir, U2, Blur, Led Zeppelin et Georges Brassens. Saez viendra à la chanson, au rock, par l'écriture, puisque pour lui, le déclic n'est pas musical mais littéraire. Il se produit lorsque le jeune homme rentre en classe de première et fait la connaissance d'un professeur de français atypique. Ce dernier lui inculque le plaisir des mots, de la lecture et de l'écriture. Dès lors, Damien s'évertue à faire coïncider sa musique avec ses mots.
Ses premières compositions datent de cette époque, fortement influencées par ses écoutes musicales et la lecture des poètes. Mais Dijon n'est pas ville à plaire au jeune rebelle. En 1995, il décide donc de passer à l'assaut de Paris. Il n'a pour seul bagage que son bac et quelques cassettes en poche, et surtout il est bien décidé à faire parler de lui.
Pari réussi puisqu'il signe rapidement chez Island et rencontre le guitariste et réalisateur Markus Bell. Les deux hommes s'entenent à merveille et produisent le premier album de Saez en 1999, « Jours étranges », après sept mois d'enregistrement et avec un mécène qui n'est autre que William Sheller.
C'est à cette époque que Damien forme son groupe qu'il appelle Saez, avec deux copains de classe Antoine et Frank (aux claviers et à la guitare), auxquels s'ajoutent Jean-Daniel à la batterie et Markus à la basse. « Jours étranges », dont le titre est la traduction littérale de « Strange Days » des Doors, surprend d'emblée par la teneur de ses textes et la maturité musicale de chacun des titres.
Mi-ange mi-démon, le jeune homme crache son mal-être sans fard ni paillettes
Dans son vocabulaire emprunté au romantisme noir, les mots « morts », « fin », « sexe », « révolté », « violence » côtoient une analyse fine de notre société et de l'évolution des hommes. Cet étrange contraste entre sa jeunesse arrogante et sa conscience d'adulte fait de lui une révélation. « Jeune et con », le premier extrait de l'album, est soutenu par toutes les radios et passe en boucle sur les chaînes musicales. Saez dérange et aliment les conversations. Encensé par le public, notamment durant sa première tournée en 2000 qui le mène dans toute l'Europe (Belgique, Suisse, France...), acclamé par la critique, on le compare à Lou Reed, Jim Morrinson, Jimi Hendrix, Rimbaux et Bertrand Cantat.
Le jeune écorché vif est déjà une star dérangeante et agressive. Tout ce qu'il faut pour faire décoller les ventes de son diques, qui passent rapidement la barre des 250.000 exemplaires.
Loin de se reposer sur ses lauriers, il a encore beaucoup à dire. Sans tarder, il rentre en studio pour enregistrer un double album racé et brillant, « God blesse », qui sort le 26 mars 2002, juste après la parution d'un recueil de textes anciens et nouveaux : « A ton nom ». Dès sa sortie, ce disque a provoqué un mini scandale parmi les fans : certains ont adoré et encensé l'album, d'autres ont détesté l'aspect « on fait tout en une prise » et certains choix de Saez (faire une chanson sur Massoud par exemple...)
Loin d'être comme il chante « jeune et con », le chanteur fédère autour de lui une jeunesse révoltée et ouverte au monde. Celle-ci prend appui sur son nouveau leader pour crier ses colères.
Des références anglo-saxonnes
Au lendemain du premier tour des élections présidentielles de 2002, alors que le candidat d'extrême-droite Jean-Marie Le Pen obtient le second score, plongeant toute l'Europe dans la stupeur, Saez rentre en studio et enregistre dans l'urgence « Fils de France », faisant écho à la réaction de toute une génération. Une prise de position qu'il partage avec le groupe Luke qui sort « La Sentinelle » à la même période et pour les mêmes raisons.
Le 31 août 2004 sort « Debbie » son troisième album, avec onze titres d'où se détachent les singles « Debbie » et « Marie et Maryline ». Ce dernier opus est un véritable kaléidoscope rock que Saez secoue sans scrupules pour mieux faire s'entrechoquer les couleurs de ses influences anglo-saxonnes. Certainement le disque de la maturité.
Depuis, le jeune artiste ne cesse de se produire sur scène -il était en concert à Paris, au Zénith en avril dernier- et de séduire un public de plus en plus nombreux. Intelligent, charmeur et révolté, ce rebelle n'a rien d'un chanteur éphémère et compte bien laisser son empreinte indélébile dans le monde musical contemporain. Tout un programme !