Les vendredis rock, c’est l’occasion de faire découvrir ou redécouvrir des groupes qui comptent pour nous, contributeurs. Si je ne devais choisir qu’un seul artiste, ce serait celui-là.
Parfois, on vit des rencontres musicales. Des artistes qui nous parlent, qui nous embarquent, le temps d’une chanson, d’un album, d’une décennie, d’une vie.
Et puis il y a des évidences. Des échos, des ressemblances. Des « cette musique, c’est moi ».
Et quand on a de la chance, on trouve l’artiste qui nous correspond. Qui met des mots sur ce qu’on n’ose pas dire. Avec la musique qu’on aime. Non. La musique qui touche cet endroit au tréfond de notre âme, de notre cœur… cette partie tapie qui ne se révèle à personne.
Saez, c’est ça pour moi.
En 20 ans, on a eu des hauts, des bas, des « je t’aime, moi non plus », des passions, des dégoûts, des rejets. Mais il est toujours là quand ça saigne à l’intérieur, comme un écho qui fait du bien.
Saez, c’est à la fois le nom d’un groupe et de son leader et tête pensante. Damien de son prénom, né en 1977, est un artiste clivant : écorché vif à la Cobain et Gainsbourg (dont il partage le goût pour l’autodestruction), anarchiste, provocateur, voix nasillarde et articulation étrange (il avait un accent très prononcé étant jeune : né en Haute-Savoie, enfance à Marseille puis à Dijon…, ceci explique apparemment les « i/é/è/a »), on disait en 1999, à la sortie de son premier album : « Saez, on adore ou on déteste. »
Artiste décomplexé, parfois carrément habité, impudique, inclassable. et provocateur, il n’est pas facile à écouter pour tout le monde. Il peut faire du rock, alternatif, pop ou agressif, évoquant parfois Radiohead ou les Smashing Pumpkins, de l’instrumental, de la chanson française (avec des hommages à Brel, Barbara, Ferré ou même Renaud) et est même passé par la techno/electro pour quelques titres (ISN’T IT LOVE et SEXE).
Certains diront que c’est un artiste « engagé ». Il leur répondrait qu’un artiste est forcément engagé, sinon ce n’est pas un artiste.
Saez agace. Par son arrogance, mais aussi parce qu’il dénonce, depuis 20 ans, les mêmes lieux communs. Le capitalisme, l’impérialisme, la société consumériste, l’inertie des peuples face à l’état du monde, la dégradation de la culture, la censure, le pouvoir.
On lui reprochera de ne savoir écrire qu’autour de ça, de ne pas se renouveler. Je leur dirai que tant que la société se portera mal, et tant qu’il pourra écrire, vous l’entendrez, comme ce poil-à-gratter qui rappelle que non, le monde ne tourne pas rond.
On ne peut nier son authenticité puisqu’il refuse lui-même d’être un produit de consommation, dans cette « meute aux médias ». Il a d’ailleurs quitté Universal en 2005 pour s’auto-produire.
Ses apparitions télévisuelles se comptent sur les doigts d’une seule main. Ses passages aux Victoires de la Musique restent des moments de grands malaises. Et lorsqu’il intervient dans une émission, c’est pour dénoncer la censure dont il est victime.
En effet, il a un certain goût pour la provocation, cherchant à réveiller les consciences, en utilisant souvent les images chocs, ce qui n’est pas au goût de tout le monde. Ses affiches promos seront donc régulièrement refusées ou modifiées dans les métros ou pour nudité, ou pour arme à feu, ou pour atteinte à la religion (je passe sur le phallus géant recouvert de dollars de l’album MIAMI)… Il emmerde un peu toute la bienpensance, en fait. L’ironie ultime étant quand ce sont des associations féministes qui hurlent à la misogynie quand il dénonce l’objetisation de la femme à travers une pochette montrant sa petite copine nue dans un caddie…
Damien Saez n’a jamais supporté la censure. On n’a plus le droit de fumer dans les lieux publics ? Il écrit le titre CIGARETTE, hommage au groupe The Clash et à son LONDON CALLING, continue de fumer pendant tous ses concerts et s’affiche cigarette à la main sur la pochette de son dernier album. Il déteste faire des concerts face à des téléphones, pourtant il n’empêchera personne de filmer. Par contre, il protège son œuvre sur Internet et demandera donc à son public de ne rien partager sur les réseaux sociaux durant les tournées…
Certains lui reprocheront son manque d’inspiration ou de créativité, parfois même des plagiats (qualifié parfois de « sous Noir Désir »). C’est là le gros point d’interrogation… Certains hommages sont assumés, confirmés, mais quelle est la frontière avec le plagiat ? Que doit-on en conclure quand une ligne mélodique est reprise à l’identique sous couvert d’un hommage ? Quand une intro est calquée sur un autre morceau ? On en trouve pas mal dans l’œuvre de Saez, lui-même reprenant ses propres mélodies ou accords sur différents titres…
Saez est un poète avant d’être un compositeur. Sa démarche n’est pas de « faire de la musique », mais de mettre en musique ses mots. Il reprend donc souvent les mêmes airs/accords/mélodies qu’il arrange différemment. Pour autant, il a su trouver son propre style. Ainsi, parfois, en commentaire sur certains titres , on peut lire « On dirait du Saez »…
Une chose est sûre : qu’on aime ou qu’on déteste, on ne peut nier le profil atypique qu’il représente dans l’horizon de la musique française. PS : je dédicace cet article à notre Boss (qui doit s’étouffer dans son café en lisant ses lignes), tout simplement parce que je retrouve en lui certaines valeurs défendues par Damien Saez : l’insoumission, la lutte contre toute forme d’intolérance, mais surtout des coups de gueule qui dissimulent une profonde sensibilité et un grand humanisme…
1 – JOURS ETRANGES, 1999
A 22 ans à peine, Damien sort son premier album. Seul album qu’il ne fera pas seul. En effet, il a le soutien de William Sheller et est pris sous l’aile du regretté bassiste Marcus Bell, ex membre du groupe The Opposition, Londoniens exilés en France dans les années 80, aux influences très « Curiennes ». Ce qui explique peut-être le succès de l’album, sans doute le plus accessible au grand public, avec ses sonorités pop-rock.
Surnommé rapidement le « Petit Prince du rock » (double allusion à l’œuvre de St Exupéry et au magnifique titre PETIT PRINCE , il se présente arrogant, insolent, bref, le sale gosse par définition.)
Pour ce premier album, le thème dominant est à la fois délaissé depuis longtemps et pourtant évident : la jeunesse désabusée.
L’album de 12 titres est fait pour être écouté d’une traite puisqu’il n’y a pas de coupure entre les morceaux. L’écoute en mode « aléatoire » ou « random » est donc déconseillée ! Saez utilisera le même procédé sur l’album suivant.
On y trouve des morceaux très rock (JEUNE ET CON, SAUVER CETTE ÉTOILE, ROCK’N’ROLL STAR, AMANDINE II), des morceaux un peu « délirants » (JOURS ÉTRANGES, HALLELUJAH, CRÉPUSCULE), des petits bijoux de tristesse et de mélancolie (PETIT PRINCE, MONTÉE LÀ-HAUT (les mélomanes reconnaitront un air de Renaud…)) et une reprise d’un morceau de jazz (MY FUNNY VALENTINE).
Saez y dénonce la mondialisation, l’arrivée d’internet et du satellite, le côté « mouton » des « jeunes », celui inerte des « vieux », le star system (qu’il incarne dans le titre ROCK N’ROLL STAR). Il y aborde également le « feu suicidaire » de sa génération (SOLEILS 2000). Et un peu de « romantisme » (AMANDINE II, la fin de CRÉPUSCULE qui reprend une partie de MONTÉE LÀ-HAUT ( Je t’emmènerai loin de ce monde et je remercierai Dieu de t’avoir fait ; et les bras vers le ciel, je te tiendrai la lune si tu veux de moi, si tu veux un mois, un jour…)
JOURS ÉTRANGES est un album qui possède encore une certaine candeur et un côté assez pop dont s’éloignera Damien Saez dans les albums suivants. On y retrouve une « forte inspiration » provenant d’Oasis (SUPERSONIC pour l’intro de JEUNE ET CON) et de Blur (SING pour J’VEUX M’EN ALLER).
JOURS ETRANGES, titre éponyme et hommage aux STRANGE DAYS des Doors : si je ne devais en garder qu’une, ce serait celle-ci. Celle qui a créé notre lien. Celle qui a déjà le schéma classique que j’aime : le calme avant la tempête. Cette douce montée qui progresse vers une explosion bien énervée et ses envolées lyriques. Peu importe qu’il reprenne ce schéma dans beaucoup de ses chansons. Sa voix me touche à chaque fois…
2 – GOD BLESSE, 2002
En mars 2002, Saez revient avec un double album composé de GOD BLESSE et de KATAGENA.
GOD BLESSE est aussi rock que KATAGENA est intimiste.
Ce double album est sorti peu après les attentats du 11 septembre 2001, qui l’ont fortement influencé. Saez y exprime plus clairement ses idées politiques : anticapitalistes et surtout anti-impérialistes.
Avec des titres comme J’VEUX DU NUCLÉAIRE ou encore SOLUTION, purement rock, il dénonce ouvertement le système politique et appelle à la révolte. Un thème qui reviendra dans quasiment tous ses albums. (J’VEUX DU NUCLEAIRE ne passerait certainement plus aujourd’hui, pouvant presque être considéré comme un appel au terrorisme…)
Mais c’est aussi l’heure de l’amour. Saez déclare sa flamme à sa première muse, celle qui lui inspirera ses plus belles chansons : Katarzyna, qu’il surnomme Katagena (ou Kasia, selon les albums).
Il écrit ainsi de superbes titres comme SO GORGEOUS (Si l’Amour est un temple et qu’il y faut prier, comme on prierait le ciel, si l’Amour est un temple, toi tu seras ma religion…) ou encore NO PLACE FOR US (Mieux vaut tracer la route, traverser la lumière vers l’étoile perdue que de vivre à moitié, que de collaborer dans leur monde vendu) sur des mélodies pop ou mélancoliques.
Il (m’)offre aussi un titre à la fois simple et émouvant, rappelant la mélodie de Radiohead et leur sublime NO SURPRISES : PERFECT WORLD.
Et pour reposer les oreilles de ceux que la voix de Damien fait saigner pour l’article, j’ai opté pour une œuvre instrumentale :
3 – KATAGENA, 2002
Dans cette deuxième partie, Saez révèle son amour pour Brel, Ferré et Barbara. Fini le rock, place à l’acoustique : piano, guitare, cordes.
Certains titres sont particulièrement difficiles d’accès (le monstrueux VOICI LA MORT, qui reste une œuvre impressionnante, du fait de sa longueur (presque 13 minutes…) et de ses multiples parties, et prenante avec son « maman » sorti tout droit de ses entrailles …), d’autres sont « seulement » des pistes instrumentales (c’était déjà le cas sur le God Blesse avec 5 titres uniquement instrumentaux).
D’autres encore rappellent Ferré et Brel avec USÉ ou MENACÉS MAIS LIBRES. À noter qu’il reprendra les premières paroles de MENACÉS MAIS LIBRES sur FILS DE FRANCE, un titre écrit en quelques heures et qu’il mit aussitôt en téléchargement gratuit, suite au 20 avril 2002. Le refrain s’inspire beaucoup du titre YOUTH NATION de P.O.D.. Je me rappelle qu’à l’époque, on pouvait en entendre une version (ou pub ?) radiophonique censurée. À savoir des *bip* à la place de « honte ». Parce que « Honte à notre pays, honte à notre patrie », ça ne se dit pas, c’est un gros mot. (Ah merde, Boss, peut-être que tu vas te faire censurer toi aussi, du coup…)
Tout ça pour dire que j’aime particulièrement USÉ (qu’il a écrit à moins de 25 ans, quand on y pense…) et MENACÉS MAIS LIBRES par l’espoir qu’ils dégagent. S’ajoutent à cela deux autres titres magnifiques : À TON NOM et SAINT PETERSBOURG.
A TON NOM dénonce les atrocités commises au nom de Dieu…
4 – DEBBIE, 2004
Il s’agit d’un simple album. Il est l’antagoniste du GOD BLESSE : aussi noir que le précédent était blanc.
C’est un album assez différent de ce que Saez a fait et fera : un des albums que j’ai le moins aimé sur le coup. Moins engagé, moins « authentique ». Des thèmes qui me parlent beaucoup moins.
Porté sur le sexe et la drogue, je ne m’y suis pas pleinement retrouvée. Après la quasi perfection du deuxième album, j’en attendais sans doute trop.
Avec le recul, je dois reconnaître que c’est un de ses meilleurs albums rock. Et au final, c’est un de ceux que je préfère. Ironique, non ? Parce qu’il y a ces petites pépites, comme MARTA ou TU Y CROIS (un des rares textes – le seul ? – écrit par un autre que lui). L’album est arrivé 2ème dans les ventes de disque, ce qui n’est pas négligeable.
Le disque possède un titre caché, après 4 minutes de silence, à la suite du titre TU Y CROIS, dernière piste de l’album : SAKURA, une chansonnette japonaise chantée/racontée par des voix féminines japonaises sur une instrumentalisation typiquement Saezienne.
Mais il a marqué une coupure entre Saez et moi, à cause de AUTOUR DE MOI LES FOUS. À la limite du divorce. Damien déposait pour la première fois tout son mépris pour la « sous-culture ». Malgré ces mots, ça reste le titre que je préfère musicalement…
DANS LE BLEU DE L’ABSINTHE, pour cette voix grave que j’adore, un titre qui m’a servi de berceuse pendant plusieurs semaines tellement je le trouve envoûtant…
5 – VARSOVIE, L’ALHAMBRA, PARIS, 2008
Comme Saez aime faire simple, cette fois-ci, il s’agit d’un triple album. Ecrit en 15 jours selon l’intéressé.
À noter qu’il est possible d’acheter l’album PARIS indépendamment , celui-ci étant plus accessible que les deux autres (ceux-ci étant uniquement en voix/guitare ou incluant des titres piano sans voix). Ce triple album est la thérapie de Damien Saez pour se remettre de sa rupture d’avec Katarzyna.
Dans le disque VARSOVIE, il annonce direct la couleur, avec des titres comme QUE TOUT EST NOIR, JE SUIS PERDU, ANÉANTI ou encore ON MEURT DE TOI.
Je me moque un peu, mais cela donne quand même de beaux titres malgré les lamentations (les pires étant JE SUIS LE CHRIST et JE SUIS PERDU). Quelques morceaux tirent leur épingle du jeu : VARSOVIE, où il relate un voyage en Pologne, DIS-MOI QUI SONT CES GENS, CEUX QUI SONT EN LAISSE, ON MEURT DE TOI…
Côté voix, si vous n’aimez pas les manières vocales de Saez, fuyez. Voix brisée, voyelles distordues, envolées quasi lyriques : je pense qu’il n’a fait qu’une seule prise pour chaque titre… même moi, j’ai du mal avec ses « è » qui deviennent « a » (c’est un de ses tics, déjà assez présent habituellement, mais là il s’est lâché !).
Mais il le reconnait lui-même, si ça c’est pas de la franchise : « Oui je sais je suis glauque, Avec mes chansons tristes, Mais j’emmerde le monde, Et il me le rend bien. »
Pour L’ALHAMBRA, ce n’est pas beaucoup mieux : CHANSON POUR MON ENTERREMENT, AU-DELÀ DU BROUILLARD, QUAND ON PERD SON AMOUR,
L’ABATTOIR.
Celui-là, je n’ai jamais réussi à l’écouter en entier… trop peu de mélodies… Le seul titre que j’apprécie et que j’ai découvert par hasard récemment, c’est TANGO. 9 minutes d’un tango qui se lance pour s’enflammer sur « L’amour, c’est la mort, et t’aimer c’est saigner » …
Enfin, pour PARIS, on a également droit à des titres sur la rupture : TOI TU DIS QUE T’ES BIEN SANS MOI, et une magnifique déclaration à Katarzyna avec KASIA.
Mais la plus emblématique, son étendard, son « NE ME QUITTE PAS » à lui, c’est l’incroyable PUTAINS VOUS M’AUREZ PLUS : longue litanie entrecoupée d’un refrain composé de « hé hé héhé hé » où il décrit avec détail toute sa peine. La magie étant que quiconque se prétend fan de Saez connait ce poème par cœur (jolie performance quand on sait qu’il n’y a pas de livret de paroles dans la plupart de ses albums). Et que, schizophrènes que nous sommes, nous les femmes sommes les premières à chanter avec lui que quand nous faisons l’amour, il n’y a qu’à la nature que nous tenons parole…
Mais Damien n’a pas perdu toute sa verve envers la société : c’est sur cet album que se trouve JEUNESSE LÈVE-TOI.
Ce titre détonne par rapport à tous les titres bien rock que Saez nous avait proposés en appel à la contestation. Guitare sèche, mélodie « légère », en contraste avec les paroles, et un clip qui parle de lui-même.
Et puis il y a des titres plus légers, comme S’EN ALLER, chanson d’amour douce, délicate, avec sa guitare et ses airs presque entraînants, LE CAVALIER SANS TETE (mes préférés) ou encore ON N’A PAS LA THUNE, encore une musique légère en contraste avec des paroles sombres, puis DES MAREES D’ECUME. Bon, ok, tout l’album…
Comme Damien n’a autorisé que quelques extraits de cet album sur YouTube, le choix est très limité, j’opte pour LE CAVALIER SANS TETE, titre qui illustre son côté « imaginaire ».
Après cela est sorti un album entièrement en anglais (A LOVER’S PRAYER) sous le nom de d’artiste Yellow Tricycle sur lequel j’ai honteusement fait l’impasse, … Ouais, les 3 titres mis en ligne sur son My Space ne m’ont pas convaincue… Je crois que le mélange accent marseillais/dijonnais/anglais n’a pas marché sur moi… Pourtant j’adore les 3 titres en anglais de GOD BLESSE. Mais tout un album en anglais, hum, non, il me faut aussi sa plume.
6 – J’ACCUSE, 2010
Pour son sixième album (et le cinquième sous le nom de Saez), Damien nous offre un retour au rock agressif et engagé, pour quasiment tous les titres de l’album.
L’album commence par LES ANARCHITECTURES, qui résume bien l’amertume du chanteur, mélangeant clin d’œil aux Bérurier Noir et attaques envers la jeunesse (« Finie la parole sacrée, bonjour la parole au plus con, finis les ni bon dieu ni maître, l’heure est aux clients du paraître, fini le temps de nos jeunesses, fini le chant des rossignols, fini salut à toi mon frère, l’heure est aux champs des électrons, abonnez-vous peuple de cons par satellite à d’autres cons… ») …
Les thèmes sont dans le titre de l’album : tout le monde en prend pour son grade. Saez y va fort ; agressif, vulgaire, il veut montrer tout ce qu’il ne supporte pas dans notre société. PILULE s’attaque à la routine « métro – boulot – dodo », tandis que CIGARETTE dénonce le puritanisme qui s’empare peu à peu de notre société, sous forme d’hommage au LONDON CALLING des Clash. DES P’TITS SOUS, hommage aux PTITS TROUS de Gainsbourg, dénonce le monde qui tourne autour de l’argent, l’impunité des hommes politiques et l’exploitation de la main d’œuvre pas chère. Un des meilleurs morceaux de l’album. Une chanson anti-Macron avant l’heure.
SONNEZ TOCSIN DANS LES CAMPAGNES était sorti en écoute libre avec d’autres paroles. Elle s’appelait à l’époque POLICE. Dans SONNEZ TOCSIN, Damien reprend une partie des paroles des ANARCHITECTURES. Le seul titre que je n’aime pas de l’album. Trop agressif pour moi.
Vient ensuite le fameux J’ACCUSE. Accusé d’être une copie de l’HOMME PRESSE. Là où Noir Désir s’attaquait aux producteurs de télévision qui s’en mettaient plein les poches, Saez accuse le peuple d’être un mouton. Et une claque de plus dans la tronche de son public.
Après avoir bien craché sur les auditeurs, Damien se calme et dévoile des petits morceaux plus légers comme LULA, REGARDER LES FILLES PLEURER (où il s’imagine idiot du village/psychopathe qui dessine des sourires sur les joues des princesses… Moi je voudrais leur dire qu’elles sont belles, puis qu’il faut pas qu’elles pleurent pour un idiot, puis qu’il faut qu’elles arrêtent d’être connes et de toujours tomber amoureuse de celui qu’il faut pas… »), MARGUERITE (étrange déclaration de non-amour mais amour quand même, rappelant DANIELLA mais en tellement plus jolie, plus poétique, mention spéciale à son « J’en ferais bien ma religion, j’en ferais bien mon horizon, c’est sûr que j’peux mourir demain tant qu’elle m’habite entre ses reins. »), TRICYCLE JAUNE (très enjoué, ça change), puis une petite ode encore à la révolution, avec LES PRINTEMPS, tristement mélancolique. Et un écho à son J’VEUX M’EN ALLER du premier album avec LES COURS DES LYCEES.sic
J’ACCUSE est pour moi son dernier bon album rock. J’en déconseille quand même l’écoute auprès des jeunes oreilles… J’ai arrêté son écoute en boucle quand mon fils de 2 ans et demie s’est mis à crier « CHAAAAATTE » quand on écoutait J’ACCUSE (« La carte bleue dans la… » …)
7 – MESSINA, 2012
MESSINA est un étrange album. Selon beaucoup de fans un des meilleurs. Moi je suis passée à côté. Il faut dire que j’ai l’habitude d’écouter un album non-stop et de m’en abreuver jusqu’à la lie. Or ici, il s’agit de nouveau d’un triple album, composé de LES ECHOUES, SUR LES QUAIS et MESSINE. 27 titres. Et malheureusement peu qui m’ont accrochée… Et puis il faut parler d’un des tics de composition de Damien : souvent le même accord qu’il joue pendant 6 minutes, puisqu’il n’y a pas de refrain, avec une montée en puissance ou une montée dans les aigus (souvent doublement de voix, une grave, une aigue), soit vers la fin, soit, au mieux, au milieu du morceau. C’est le cas de beaucoup de morceaux de MESSINA. Alors certes, j’adore cette manière de faire, mais je n’ai clairement pas eu la patience d’aller jusqu’au bout des 3 disques. Je pense que Damien applique à la lettre la règle qui dit qu’il ne faut jamais négliger les préliminaires… Mais Damien, parfois quand c’est trop long…
C’est avec la préparation de cet article que j’ai découvert de nouvelles merveilles, celles qui me hantent de nouveau, comme A NOS AMOURS l’avait fait à l’époque.
L’album dénote des autres albums de par les thèmes abordés. Pour la première fois, Saez aborde l’amour avec optimisme, comme dans la magnifique ROIS DEMAIN. Il rend également hommage à ceux qui l’ont élevé dans la musique et la culture, disparus depuis, dans CHÂTILLON-SUR-SEINE. Puis un hommage à Brel et CES GENS-LA, à travers MARIE. J’aime Brel pour ses interprétations, et j’adore CES GENS-LA pour le moment où « Il y a Frida ». C’est ce que Damien fait avec Marie, la statue de la Vierge, qu’il rêve d’emmener à Broadway (oui, il y interprète un esseulé complètement ivre). CES GENS-LA dure 4’39 minutes, MARIE, 6’36… Durée moyenne des chansons de Damien, soi-dit en passant…
LES MAGNIFIQUES est comme une réponse à CEUX QUI SONT EN LAISSE, mais avec tellement plus d’amour, tout en rendant hommage à la fois à Brel avec LE PORT D’AMSTERDAM et à Gainsbourg et à LA CHANSON DE PREVERT (« Les navires échoués se ramassent à la pelle »).
Bien que j’aime LES MEURTRIERES (superbe titre sur la rupture) ou ROIS DEMAINS, mais qui sont longues à se mettre en route, il y en a une qui marche immédiatement sur moi.
Rien de bien extraordinaire, des accords joués au piano, pas de refrain, des phrases qui n’ont de sens que pour lui et celle à qui elles sont destinées. Mais peu importe. Cette chanson pourrait être dans une autre langue que ça me ferait presque le même effet. Il pourrait parler de n’importe quoi que ça serait pareil…
Et ce moment où sa voix aigüe se rajoute à sa voix grave, pour dire ces doux mots : « Il paraît que l’océan chante »… voilà la chanson qui m’accompagnera jusqu’au bout.
Alors, avant d’attaquer la suite, deux mots sur l’album qui a suivi Messina. En 2013 est sorti MIAMI, l’antithèse de MESSINA. Quand l’un représentait la France d’avant, l’autre part dans les extrêmes de l’Amérique. J’ai détesté, et je déteste toujours. Le seul album que je ne peux pas réécouter. Et celui qui a marqué la fin de mon assiduité envers Saez. Oui, un triple album dont je n’aime pas tous les titres, un simple dont je n’aime aucun titre, c’était fini, remballé, au revoir fidélité. Je ne parlerai donc pas plus de MIAMI, succession de titres agressifs et sans aucune saveur auquel je n’ai pas adhéré.
8 – LE MANIFESTE 2016 2019
Après MIAMI, je suis quand même revenu à Saez… Pourquoi ? Parce qu’il a le chic pour « m’envoyer » des messages par des voies détournées… Les réseaux sociaux, notamment, à coup de « Je n’aime pas Saez, mais… ». C’est comme ça que j’ai renoué avec le Sieur Damien…
Mais sinon, LE MANIFESTE, qu’est-ce que c’est ? Concrètement, cela se résume à cela :
2016 : sortie de l’album L’OISEAU LIBERTE, composé de deux disques dont un de trois titres (j’ai appris récemment qu’il s’agissait en fait d’un préambule à l’album d’après, deux des trois titres se retrouvent donc sur LULU).
2017 : sortie de LULU (triple album, Acte II du Manifeste)
2018 : #HUMANITE (Acte III)
2019 : NI DIEU NI MAITRE, qui reprend 15 titres des 3 précédents albums, et 24 inédits.
Je passerai sur les 3 premiers actes parce que d’abord je n’ai que le premier, et puis parce qu’on en retrouve une partie dans ce MANIFESTE 2016 2019. C’est donc de lui dont on va parler.
Concrètement, il s’agit d’un double album composé chacun de deux disques… Premier album : L’HUMANITE, deuxième album : L’HUMAIN.
La pochette : recto : Damien qui fume, verso : Damien/Jésus Christ. On ouvre et là, une claque : en lettres capitales blanches sur fond noir : à gauche NI DIEU, à droite NI MAÎTRE. On déplie encore, et là on voit les 4 listes de pistes : deux pour L’HUMANITE, deux pour L’HUMAIN.
J’ai encore du mal aujourd’hui à comprendre vraiment l’intention derrière ce quadruple album.
Les thèmes abordés sont variés : bien sûr, il y a tout le volet politique, avec ces 7 titres sortis gratuitement en EP sous l’intitulé LIBERTAIRE, à l’occasion des 1 an du mouvement des Gilets Jaunes. D’où est extrait le fameux MANU DANS L’CUL (pour ceux qui ne sont pas au courant, c’est un titre dans lequel Saez s’imagine être un Gilet Jaune qui s’en prend vertement à notre Président et à sa femme… sur l’air du PETIT ANE GRIS d’Hugues Aufray !). Mention spéciale à CAMARADE PRESIDENT, plus fort et raisonné que MANU DANS L’CUL et qui présente l’intensité et les accords d’A NOS AMOURS… Mais il y a aussi un certain nombre d’œuvres qui m’ont complètement prise au dépourvu. Je connaissais le Damien contestataire, je connaissais le Damien romantique, mais je ne connaissais pas le Damien humaniste… Et surtout, au vu de l’album GOD BLESSE et de ses propos envers les stars exilés pour ne pas payer d’impôts, je ne m’attendais certainement pas à plusieurs titres hommages aux victimes des attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, et encore moins à un hommage au Taulier…
Et puis il aborde des thèmes plus personnels, comme la mort de son grand-père maternel, centenaire immigré d’Algérie. Il aborde également la fin de vie et la façon dont on laisse mourir nos « vieux », dans ses « abattoirs pour vieux où l’on stocke la viande », dans l’émouvant MA VIEILLE (« C’est elle qui perd la tête et c’est moi qui ai mille ans… »). Il y a également beaucoup de titres sur les femmes, la plus marquante étant NONNE OU PUTAIN, un équivalent à MARIE OU MARYLIN mais en beaucoup moins rock et plus flatteur, dans laquelle il clame, pour le plus grand plaisir de ses fan.e.s que « la Femme est Dieu sur Terre ». Il rend aussi hommage à Renaud avec LULU qui rappelle MANU, mais surtout avec MA GUEULE, dans laquelle il reprend la mélodie de EN CLOQUE pour aborder le thème de la paternité.
Enfin, il y a des titres totalement WTF, avec BONNIE, qu’il a dû écrire complètement torché ( Bonnie torchée, Bonnie torchon, Qui donne à bouffer aux cochons ) ou encore BURQA ( Moi j’dis « Les moches en burqa et pis les bonnes en bikini »)
On retrouve également ses critiques sur la société et les réseaux sociaux, ainsi que sa vision de la province et plus globalement de la France, des déclarations à diverses femmes imaginaires et des hommages à Notre-Dame-de-Paris.
En termes de composition, c’est un peu moins varié qu’a son habitude… l’écriture est identique sur beaucoup de morceaux, à savoir la répétition des mêmes mots à chaque début de ver (« Il y a », « C’est », « Je suis » etc., selon les chansons). Musicalement, on repart sur son style classique : des accords identiques pendant 6 minutes, avec des arrangements. Beaucoup de titres très calmes, et puis certains qui remuent bien (BONNIE et BURQA en tête).
Personnellement, il ne détrônera pas les premiers albums, puisqu’il souffre ce que je reprochais déjà à MESSINA, c’est-à-dire un ensemble très hétérogène, pas de bons titres rock, et, il faut le dire, une certaine paresse niveau paroles et aussi mélodique pour un certain nombre de titres…
Maintenant, on peut espérer qu’après une fin d’année 2019 difficile, Saez se reprenne en main et nous revienne en meilleure forme, à tous les niveaux…
J’ai opté pour celle qui est la plus rock à condition de tenir les préliminaires de 4 minutes. Je souligne l’exploit que ce type est capable de faire : arriver à rendre modernes les vieux prénoms comme MARGUERITE et maintenant celui-ci. C’est ainsi que, si vous pouviez me voir derrière mon écran, vous me verriez en train de hurler « GERMAAAAAAAIIIIIINE » le volume à fond….
Voilà, le tour d’horizon est terminé. J’avoue, j’ai pris mon temps pour écrire cet article, pour plusieurs raisons : quand je me remets à écouter Saez, c’est comme une drogue… Puis je dois faire un sevrage forcé, pour remettre mes idées au clair et penser à autre chose, avec interdiction de replonger. Et puis, cet article me tient particulièrement à cœur car il présente une partie de moi assez importante que je ne confie que rarement, et même difficilement…
Enfin, cette immersion fut un réel plaisir. Il s’agit même du seul article que j’ai pu lire, relire et modifier sans gêne aucune ! Parce que quoi que j’en dise, cet artiste, par sa musique, ses mots, sa voix, fait déborder mon cœur comme aucun autre…
Bonus, parce que quand j’aime, c’est passionnément, et donc j’en ai encore sous le coude : un inédit qui n’a vécu qu’en live, jamais sorti en album, mais qui aurait mérité de l’être…
Source : www.brucetringale.com