On devait rencontrer le rockeur Damien Saez le 12 décembre avant son concert au Zénith de Nantes. Pour parler de son quadruple album, « le Manifeste 2016-2019 », de son pamphlet « Manu dans l'cul » sur le président, de sa première AccorHotels Arena triomphale malgré des soucis de santé, de son étonnant succès en marge des médias depuis son hymne « Jeune et con », il y a vingt ans.
Mais la veille, le chanteur-guitariste, auteur-compositeur de 42 ans, a dû annuler les trois dernières dates de sa tournée. Pour « raisons de santé ». Après plusieurs rendez-vous manqués pour cause de grèves, nous l'avons joint à Bruxelles. C'est la première fois qu'il s'exprime depuis la fin abrupte de sa tournée.
Comment allez-vous ?
DAMIEN SAEZ. J'ai quelques soucis à la tête, qui seraient liés à l'oreille interne et à des vertiges. Rien de très grave. J'en saurai plus en janvier. À la fin de la tournée, c'était très violent, j'avais des coups de couteau, des décharges dans la tête. J'ai eu un traitement de cortisone assez lourd pour pouvoir faire Bercy et Lille, mais après, cela n'a fait qu'empirer, le bordel. Les trois derniers concerts, je n'arrivais pas à mettre un pied devant l'autre. L'ultime à Lyon, c'était carrément insupportable. J'ai fini le concert avec tout le son coupé sur scène tellement je souffrais.
À Bercy, vous fumiez et buviez sur scène. Ce n'était pas très raisonnable…
Non. Il faut que je me reprenne en main. C'est le message global qui m'est adressé (NDLR : par les médecins). Trois-quatre paquets de clopes par jour, les tournées à trois bouteilles de Jack Daniels par soir… Le problème de mes addictions, c'est le plaisir. Sur scène, l'alcool a un effet anxiolytique. Quand les musiciens jouent, il y a quelque chose de tribal, de l'ordre de la transe, et l'alcool permet le lâcher prise. Et l'autre problème, c'est que je ne suis pas quelqu'un de mesuré. Mais c'est un chemin que je dois apprendre si je veux continuer à faire vingt concerts par mois et des concerts de quatre heures. Avec mon rythme de vie et mes addictions, ce n'est pas possible.
Votre concert a été excellent malgré votre fragilité. Vous avez dû chanter assis la plupart du temps. Comment l'avez-vous vécu ?
Je sortais de l'hôpital, où j'avais fait plein d'examens, j'étais extrêmement fatigué. J'avais dix de tension. Je n'ai pas pu faire les balances, je suis monté sur scène directement. Et quand j'ai levé la tête pour la première fois, sur « les Enfants paradis », voir tous les briquets, ça m'a fait un petit vertige quand même (il rit). Le public a été super, vraiment gentil. L'échange était beau.
Avez-vous reporté les concerts annulés ?
Oui, je repasserai à Clermont-Ferrand, Nantes et Tours, mais je ne sais pas quand et sous quelle forme, acoustique en solo, électrique en groupe… J'ai annulé très peu de dates dans ma vie, je déteste ça.
Votre quadruple album « le Manifeste » réunit des chansons écrites depuis 2016 sous la bannière « Ni dieu ni maître ».
Il y a l'idée d'une fresque sociale d'une époque. Le départ des Gilets jaunes, c'est « J'accuse », il y a dix ans, avec cette phrase « Il faut du gasoil dans la bagnole ». La lutte contre le consumérisme, c'est ma vie. J'ai été chez Universal à 20 balais et j'ai toujours refusé de faire des pubs pour ma chanson « Jeune et con », d'aller à la télé.
Avec « Manu dans l'cul », vous y allez fort !
C'est ce qu'on m'a dit, mais c'est mon pote du PMU qui dit ça et je le partage. Et franchement, la dureté de la vie, c'est autre chose que la dureté des mots. Le ras-le-bol est énorme et je ne peux qu'être avec. Les difficultés à survivre dans une société de plus en plus dure et individualiste, ça me met dans une colère… C'est peut-être parce que ma mère est éducatrice spécialisée.
Cette chanson est devenue un hymne des Gilets jaunes…
Oui, j'ai vu ça ! J'en suis flatté, cela me touche. Mais je ne suis le porte-parole de personne.
Vous avez le temps d'écouter vos contemporains ?
Je n'écoute que du classique et des morts. Depuis un an, je passe tellement de temps à bosser que les rares moments de pause, je préfère aller en forêt. Là, je suis au studio ICP à Bruxelles en train de préparer la suite, de travailler sur des thèmes classiques, un grand concert pour l'été prochain… Et je suis perfectionniste à un niveau pathologique.
Il paraît que vous vivez au studio…
J'y passe ma vie. Je n'ai pas vu une plage depuis cinq ans. À Noël, je serai en studio. Je n'ai pas de chez moi, je n'ai plus d'appartement. Je suis un vrai saltimbanque (il rit). J'ai la guitare et… les mots. Mais ce n'est pas une complainte. Ça va. Je sais qu'il n'y a pas une ville de mon pays où l'on ne me logera pas si j'en ai besoin. Pour un gamin qui a quitté le conservatoire à 18 ans pour faire des chansons, quelle chance ! C'est parce qu'il y a tout cet amour que ça me coûte d'annuler des concerts.
Pourquoi vous ne chantez pas sur scène votre hymne, « Jeune et con » ?
Parce que je suis vieux maintenant (il rit). Mais je pourrais inverser les paroles et chanter « Puisque je suis vieux et fou et vous êtes que des cons ». Oui, c'est ça qu'il faut faire (il rit).
Eric Bureau
Source : www.leparisien.fr