Loin d’être jeune et con… Jeune homme réaliste, à la fois étrangement indestructible et fragile, Saez nous entraîne dans un voyage rock intimiste. Des textes incisifs ponctués d’ambiances plutôt conceptuelles au sein d’un double deuxième album, s’il vous plaît ! Par Marion Renard
Saez est-il un artiste solo ou un groupe ?
Je crois que c’est pile à la frontière. Ce disque-là est un double album. La première partie, c’est un ensemble de musiciens, avec Franck et Antoine. La deuxième, c’est moi, Damien.
Saez, c’est ton vrai nom ?
Oui, et en fait, je trouvais que c’était un bon concept, ça ne voulait rien dire. On pouvait se demander si c’était un mec, un groupe… Je n’ai pas cherché de nom, ça me semblait évident. C’est peut-être là qu’a commencé le narcissisme ! [rires] Même mon nom je le kiffais !
Tes premières armes dans la musique ?
Dix ans de conservatoire – j’ai commencé à 8 ans et demi – puis guitare vers 13-14 ans. Mes premières chansons, au piano, parlaient de mon père, un exutoire. Puis j’ai eu ma période de chansons un peu plus niaises genre « Je suis amoureux, j’ai une guitare » ! Bon, c’est sympa au bord de la plage… Vers 18 ans, j’ai eu envie de parler d’autre chose.
Quand on te compare à Noir Désir, c’est gonflant ?
Non, mais quand « Jours étranges » [son premier album, ndlr] est sorti, il n’y avait rien d’autre en France en rock. Alors, on te sort que c’est comme Noir Désir : ça n’a pas été cherché bien loin ! On m’a aussi dit Louise Attaque, alors que je n’ai pas beaucoup de notes de violons ! La différence avec Noir Désir, c’est que je pense être beaucoup plus culture française qu’eux… Et puis, je me suis un peu retiré de cette plume post-adolescence du premier album. La référence est plus « brelienne »… Si je suis capable un jour de faire une chanson qui se rapproche du talent de Brel, ce sera déjà pas mal.
En as-tu marre d’être catalogué « jeune rebelle en mal de vivre » ?
Non, c’est plutôt agréable. C’est comme quand on dit que mes textes sont « rimbaldiens », tout ça parce que je suis jeune. Mais je suis beaucoup plus influencé par Baudelaire que par Rimbaud ! A 10 ans, Rimbaud faisait déjà des versions grecques et latines, ce que je suis incapable de faire à 24 ans… On peut lire un poème de Baudelaire sans prendre le dico.
Enervante, cette allusion à « de faux airs de Johnny Depp » ?
C’est vachement moins énervant que la référence à Noir Désir ! [Rires.]
Avec un bac S, tu te destinais à quoi ?
Maths sup, pas vraiment… Si je n’avais pas fait ce métier-là, j’aurais fait psy ; remarque, j’aurais été capable d’analyser mais pas capable de me taire !
L’ego, la starification, ça n’existe pas pour toi ?
L’ego, oui, la starification non. L’ego, c’est seul avec soi-même. On doit avoir un ego aussi grand dans une chambre de bonne que dans un hôtel. Ce n’est pas une maladie, c’est un moteur. Pour chanter ne faut-il pas estimer qu’on chante le mieux du monde ? Je ne sais pas… Ca permet aussi de savoir ce qu’on veut, de savoir dire non…
Te sens-tu rockstar ?
Au bahut, je l’étais déjà, j’étais seul à la savoir ! A un moment donné, j’ai pété les plombs : je me levais le matin, je me disais que j’étais une légende ! Besoin de personne, dans mon univers, barré total ! Je n’avais pas beaucoup de potes, pas du tout la cote, je n’étais pas du tout le playboy ! Je suis monté à Paris à 18 ans étant sûr que j’allais y arriver. J’y suis allé à fond. Depuis, j’ai relativisé un peu. Quand j’ai écrit « Rock’n’Roll Star » sur le premier album ; ma piaule faisait 9 m2 ! Je bossais à l’usine, je passais les enveloppes dans les machines à affranchir le courrier et je n’ai jamais fait autant de chansons !
Et là, les mètres carrés, ils ont augmenté ?
Oui, un peu, et ce n’est pas forcément un bien, on s’endort. On a une copine, la vie normale, on crève à petit feu. Si, déjà jeune, je sens que suis en train de vieillir, il y a un problème…
Pourquoi un double CD partagé en « God Blesse » et « Katagena » ?
On a même échappé au triple ! « God Blesse », c’est un jeu de mots et un album de groupe. « Katagena », c’est comme un nom sur un absolu. En cumulant les deux, ça fait une phrase : Katagena est le prénom polonais de jeune fille que j’ai rencontrée. Elle a fait partie du voyage, c’est un hommage, un plaisir personnel. Quoi qu’il arrive dans nos vies, ce disque-là portera toujours son nom, c’est faire un enfant à son échelle.
Certaine de tes textes ont été écrits après le 11 septembre, tu l’as vécu comment ?
Trois phases : la phase Hollywood, le happening du siècle. Le côté catastrophique, dur. Le monde économique : et là, on est pris en porte-à-faux. On a le choix entre faire une minute de silence par respect et le fait de se dire que c’est quand même de l’irrespect par rapport à toutes les autres minutes de silence qu’on ne fait pas… De savoir qu’à Halloween, ils font des masques de Ben Laden, ça m’écœure. Le terrorisme est un acte immonde mais ce n’est pas pour ça qu’on doit adhérer à des notions de bien, de mal, de bon Dieu, de diable, de monde libre face au reste du monde. J’ai l’impression qu’on est deux mille ans en arrière…
Sur « Solution », on te découvre fan de José Bové…
Vachement de respect pour ce mec-là. Je ne suis pas anti-américain, ni anti-quoi que ce soit. A une période, dans le TGV, il y avait une carte de France avec un truc noté : les McDo ! Faut arrêter, c’est grave ! Ca ne veut pas dire qu’il ne faut plus qu’il y’en ait, c’est libre, mais la dictature économique, à un moment, elle fait chier !
Penses-tu faire partie d’une génération perdue ?
Non, je pense qu’on a été un peu calmés par beaucoup d’informations, d’analyse des problèmes du monde très tôt. Finalement, à trop savoir, on ne fait rien. On n’a plus d’idéologie. A une époque, on pouvait avoir son bac, partir voyager pendant deux ans puis reprendre ses études ou trouver du boulot ; aujourd’hui, de n’est plus possible. C’est un luxe de travailler… Plus le sida. Et la paranoïa totale sur le fait qu’on doit fermer ses portes à clefs. On vit d’un poste de télé et des fantasmes qu’il y a dedans. C’est triste.
Le morceau « Sexe », qu’on retrouvera sur la BO du prochain film de De Palma, est un ovni porno sur un beat techno…
C’est une musique de boîte de nuit. Ca parle de danse, de corps, de sexe. Je suis très déçu par l’image de la femme aujourd’hui, les critères de beauté sont faussés. On s’est encore américanisés à fond. Je trouve ça fasciste. Ce me gêne que Loana existe, ça me fait chier ! Quand je pense qu’il y a des nanas qui se sont battues pour une idéologie, pour un respect, on est retombé dans une vision de la femme qui n’est que du domaine de la soumission et du sexe. J’en veux également aux femmes par rapport à ça. De ne pas manifester contre ça.
Tu as publié un recueil de tes textes et d’inédits, il va y avoir une suite ?
Oui, un roman, une histoire d’amour entre un jeune mec d’environ 16 ans et une femme de 45ans. Un « Le Rouge et Noir » d’aujourd’hui.
Le rock est-il mort ?
Ca dépend de ce qu’on entend par là. Du bruit avec des guitares, oui, ça reviendra. Mais pour moi, Nick Cave, Leonard Cohen, c’est du rock. Mozart, c’était du rock. Rimbaud aussi : il brisait les conventions d’écriture.
Saez, « God Blesse/Katagena ». Concert le 23 avril à Paris (Elysée-Montmartre). Le 14 octobre à Paris (Zénith).